Même si le Comité de l'abus de droit fiscal écarte la simulation, l'administration et le juge peuvent retenir que la dissimulation d'une donation indirecte sous l'apparence d'une vente constitue en soi une manœuvre frauduleuse donnant lieu à une majoration de 80%.
L'article 1729 du CGI prévoit une majoration de 80% applicable notamment en cas de manœuvres frauduleuses ou de dissimulation d'une partie du prix stipulé dans un contrat. Cette disposition vise à sanctionner les contribuables qui, sous couvert d'une vente apparemment régulière, organisent en réalité un transfert patrimonial à titre gratuit.
La jurisprudence a progressivement défini les contours de ces "manœuvres frauduleuses", qui se caractérisent par la mise en œuvre de moyens destinés à égarer l'administration sur la réalité économique de l'opération. La simple sous-évaluation, même importante, ne suffit pas à caractériser de telles manœuvres...encore faut-il démontrer une intention délibérée de tromper l'administration par l'organisation d'une opération artificielle.
Si la notion de "manœuvres frauduleuses", peut se recouper avec celle de l'abus de droit fiscal, régi par l'article L. 64 du LPF elles demeurent distinctes. Un acte peut ne pas être qualifié d'abus de droit, notamment en l'absence de simulation avérée, mais néanmoins être considéré comme constitutif d'une manœuvre frauduleuse s'il procède d'une volonté de dissimulation.
C'est justement cette distinction qui a été au centre de la stratégie de l'administration et de la décision du tribunal.
Rappel des faits :
L'affaire trouve son origine dans la cession en 2008 par un couple de retraités âgés de 86 et 82 ans de la nue-propriété de leurs parts dans la SARL E à leur neveu U, moyennant un prix de 54 835,20 €, soit 24,48 € par part. Cette société détenait des bâtiments industriels d'une superficie de près de 10 000 m² édifiés sur un terrain appartenant à la SCI B, terrain dont l'acquéreur des parts allait devenir propriétaire à 98%.
L'administration fiscale a suspecté une sous-évaluation manifeste compte tenu de l'importance des actifs détenus par la société. Sa suspicion s'est trouvée renforcée par le fait que l'acquéreur contrôlait également la société propriétaire du terrain, créant une situation où il maîtrisait l'ensemble de la chaîne patrimoniale.
Confrontée à cette opération suspecte, elle a initié simultanément deux procédures distinctes : une procédure de rectification classique fondée sur la sous-évaluation des parts sociales et une procédure d'abus de droit fiscal au titre de l'article L. 64 du livre précité
Lorsque le Comité de l'abus de droit fiscal a rejeté la qualification d'abus de droit en décembre 2012, estimant ne pouvoir déterminer si le prix était manifestement sous-évalué et relevant l'absence de simulation par fictivité, l'administration a abandonné cette voie pour se recentrer sur la procédure de rectification, tout en requalifiant l'opération en donation indirecte justifiant l'application de la majoration de 80%.
Le litige est porté devant le tribunal. Un premier jugement avant dire droit en 2021 a écarté tous les moyens de procédure du contribuable et ordonné une expertise judiciaire pour éclairer la question cruciale de la valorisation des parts en 2008.
Sur le fond, M.U a tenté de justifier la faible valorisation des parts en mettant en avant les contraintes pesant sur l'exploitation des bâtiments. Il a notamment insisté sur :
- l'incertitude liée à l'échéance du bail en 2012,
- les coûts de remise aux normes estimés à plus de 2,3 M€,
- la présence d'amiante dans les toitures,
- et le départ programmé du locataire principal C.
Le tribunal vient de débouter M. U de l’ensemble de ses demandes et de confirmer la valorisation retenue par l’Administration soit 1 500 800 €.
Concernant la valorisation des parts
Le Tribunal a rejeté les arguments de M.U fondés sur de prétendus risques (départ d'un locataire, fin du bail sur le terrain) en soulignant leur caractère soit postérieur à la cession, soit non crédible. En effet, le tribunal a fait valoir le conflit d'intérêts du neveu, acquéreur des parts de la société locataire (E) tout en étant propriétaire de la SCI bailleresse du terrain (B), ce qui rendait l'incertitude sur le renouvellement du bail factice. S'appuyant sur l'expertise judiciaire qu'il avait ordonnée, le tribunal conclut que la valorisation retenue par l'administration était justifiée.
Concernant la majoration pour manœuvres frauduleuses
Le tribunal a validé le raisonnement de l'administration selon lequel la cession dissimulait une donation indirecte. Il a jugé que la qualification de manœuvres frauduleuses était établie. En effet, il a estimé que le fait de présenter à l'enregistrement un acte de vente, avec toutes les apparences de sincérité, tout en dissimulant une intention libérale matérialisée par la vileté du prix, constituait...
...indéniablement une manœuvre destinée à égarer le pouvoir de contrôle et d'appréciation de l'administration
La décision souligne que l'acquéreur se trouvait...
...en réalité dans le cadre d'un transfert de droits patrimoniaux importants sans aucune contrepartie.
C'est cette dissimulation consciente de la véritable nature de l'opération qui caractérise la fraude et justifie l'application de la majoration maximale, distinctement du terrain de l'abus de droit précédemment abandonné.
Autrement dit, la majoration de 80% pour manœuvres frauduleuses peut s'appliquer même sans procédure d'abus de droit aboutie, dès lors que l'administration démontre une intention délibérée de dissimuler la réalité économique de l'opération.