La procédure de taxation d'office, en ce qu'elle constitue une dérogation majeure au principe du contradictoire, est subordonnée au respect scrupuleux des garanties offertes au contribuable. S'agissant des mises en demeure, le juge de l'impôt nous précise que ni la signature d'un gardien d'immeuble ni l'envoi à une adresse non-siège non réceptionnée ne peuvent régulariser une procédure.
Le cadre du litige est celui de la taxe annuelle de 3 % sur les immeubles codifiée à l'article 990 D du CGI applicable aux entités, qu'elles soient françaises ou étrangères. Pour échapper à cette taxe, les entités doivent souscrire une déclaration (article 990 E).
À défaut de dépôt de cette déclaration, l'administration fiscale peut engager une procédure de taxation d'office, conformément à l'article L. 66 du LPF. Toutefois, cette procédure ne peut être mise en œuvre qu'après l'envoi d'une mise en demeure, régie par l'article L. 67 du LPF, invitant le redevable à régulariser sa situation. La régularité de cette mise en demeure est une condition substantielle de validité de l'ensemble de la procédure d'imposition. C'est sur ce point précis que la Cour de cassation exerce sa censure.
Rappel des faits :
Une société de droit espagnol, la société M, propriétaire d'un château en France, n'a pas souscrit ses déclarations au titre de la taxe de 3 %. L'administration lui a adressé, en août 2017, deux mises en demeure simultanées : l'une à son siège social en Espagne, l'autre à l'adresse du bien immobilier en France.
La première, envoyée en Espagne, a fait l'objet d'un avis de réception signé par le gardien de l'immeuble. La seconde, envoyée à l'adresse du château, a été retournée à l'administration avec la mention "avisé non-réclamé". En l'absence de réponse, l'administration a procédé à la taxation d'office pour les années 2012 à 2017.
La société a contesté la procédure, estimant que les mises en demeure étaient irrégulières. La CA de Montpellier a validé la position de l'administration, jugeant les deux notifications régulières. Concernant l'envoi en Espagne, les juges du fond ont estimé que le gardien avait accepté de recevoir le pli et que la société ne pouvait opposer les pratiques postales espagnoles (pas de notification en août) ou l'absence d'identification sur sa boîte aux lettres. Concernant l'envoi en France, ils ont jugé la notification valable au motif, pourtant inopérant, que la société avait postérieurement utilisé cette adresse dans sa correspondance avec l'administration.
La société s'est pourvue en cassation.
La Cour de cassation vient de casser l'arrêt d'appel sur les deux branches du moyen
Concernant la notification au siège social
La Cour rappelle que la notification dont l'avis de réception n'est pas signé par le destinataire (ou son fondé de pouvoir) n'est régulière que si le signataire, un tiers, a avec le redevable des "liens suffisants d'ordre personnel ou professionnel" permettant d'attendre de lui qu'il transmette le pli.
Elle censure la cour d'appel qui a validé la notification pour des motifs inopérants (le gardien a accepté le pli, la société devait avoir une boîte aux lettres)
sans rechercher, comme elle y était invitée, si le gardien [...] avait qualité pour le faire et, dans la négative, s'il avait des liens suffisants"avec la société.
En omettant cette recherche essentielle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale. La simple signature d'un concierge, sans preuve d'une habilitation ou d'un lien spécifique, ne vaut pas notification régulière.
Concernant la notification au château en France
La Cour rappelle ensuite que la notification à une adresse autre que le siège social n'est réputée régulière que...
...s'il est établi que le pli de notification a été effectivement reçu par le contribuable ou par l'un de ses préposés
La cour d'appel a validé la notification tout en constatant qu'elle avait échoué (retour "avisé non-réclamé"). Elle a tenté de régulariser cet échec en se fondant sur une correspondance postérieure où la société avait utilisé l'adresse du château.
La Cour de cassation sanctionne ce raisonnement : un fait postérieur à la notification ne peut rétroactivement valider un pli qui n'a jamais été "effectivement réceptionné". L'envoi à une adresse alternative, lorsque le pli n'est pas reçu, est un acte manqué qui vicie la procédure.