Le juge de l'impôt adopteuune lecture stricte de l'article 1737 du CGI, en limitant l'application de l'amende pour facture de complaisance aux seuls cas expressément prévus par le texte. Ainsi, le simple paiement effectué au profit d'un tiers, bien que pouvant justifier le rejet de la TVA déductible, ne suffit pas à justifier l'application de l'amende, qui nécessite la démonstration d'une dissimulation d'identité ou d'une utilisation sciemment acceptée d'une identité fictive ou d'un prête-nom.
Pour mémoire, en matière de TVA, les articles 271, 272 et 283 du CGI posent les principes du droit à déduction. Ce droit est refusé lorsque la facture est établie par une personne qui n'est pas le fournisseur réel de la marchandise ou de la prestation. La jurisprudence a précisé que dans le cas où l'auteur de la facture est régulièrement inscrit au RCS, assujetti à la TVA et se présente comme tel, il appartient à l'administration de démontrer à la fois le caractère complaisant de la facture et le fait que le destinataire le savait ou ne pouvait l'ignorer.
Concernant les sanctions, l'article 1737 du CGI prévoit, en son paragraphe I, une amende égale à 50% du montant des sommes versées ou reçues en cas de travestissement ou de dissimulation de l'identité ou de l'adresse des fournisseurs ou clients, ou d'acceptation en connaissance de cause de l'utilisation d'une identité fictive ou d'un prête-nom.
La doctrine BOFIP précise quant à elle :
Le 1 du I de l’article 1737 du CGI prévoit qu’entraîne l’application d’une amende égale à 50 % des sommes versées ou reçues, le fait de travestir ou dissimuler l'identité ou l'adresse de ses fournisseurs ou de ses clients, les éléments d'identification mentionnés aux articles 289 et 289 B du CGI et aux textes pris pour l'application de ces articles ou de sciemment accepter l'utilisation d'une identité fictive ou d'un prête-nom.
Le 2 du I de l’article 1737 du CGI prévoit qu’entraîne l’application d’une amende égale à 50 % du montant de la facture, le fait de délivrer une facture ne correspondant pas à une livraison ou une prestation de services réelle.
Rappel des faits :
La société O, exerçant une activité de travaux de maçonnerie générale et de gros œuvre de bâtiment, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 31 décembre 2015, 2016 et 2017. À l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale lui a notifié des rappels d'impôt sur les sociétés, de TVA, ainsi que des amendes sur le fondement de l'article 1737 du CGI, en raison du caractère complaisant de plusieurs factures. Le tribunal administratif de Montpellier ayant rejeté sa demande de décharge, la société a fait appel devant la CAA de Toulouse.
La société O conteste les rappels de TVA et les amendes infligées en soutenant que l'administration n'établit pas le caractère complaisant des factures litigieuses. Elle affirme que l'administration ne rapporte la preuve ni de la réalisation des prestations par un tiers, ni de son absence de bonne foi. Elle considère également que l'amende prévue à l'article 1737 du CGI ne lui est pas applicable.
De son côté, l'administration fiscale soutient avoir démontré le caractère complaisant des factures sur la base de plusieurs éléments :
- discordance entre les factures et les modes de paiement,
- règlements effectués auprès de personnes sans lien avec les fournisseurs apparents (y compris des salariés de la société Orcom),
- factures émises par des sociétés radiées ou n'ayant pas les moyens humains d'assurer les prestations facturées.
Elle considère également que la société O ne pouvait ignorer ce caractère complaisant, compte tenu du caractère systématique des anomalies constatées et de l'encaissement des chèques par ses propres salariés.
La Cour administrative d'appel de Toulouse adopte une position nuancée, en distinguant deux aspects : le droit à déduction de la TVA et l'application de l'amende pour facturation de complaisance.
S'agissant des rappels de TVA
La Cour valide entièrement la position de l'administration sur ce point, en confirmant le rejet du droit à déduction de la TVA mentionnée sur les factures litigieuses. Elle distingue deux catégories de factures :
- Les factures de location d'équipement ou d'achat de matériaux, pour lesquelles elle relève plusieurs anomalies : règlements effectués auprès de tiers sans lien avec les fournisseurs apparents, factures émises par des sociétés radiées ou à des adresses d'établissements fermés, paiements partiels effectués auprès des dirigeants ou salariés des fournisseurs plutôt qu'auprès des sociétés elles-mêmes.
- Les factures de prêt de main d'œuvre, pour lesquelles elle constate une impossibilité matérielle d'exécution des prestations, les fournisseurs n'ayant pas les moyens humains suffisants pour assurer les services facturés.
La Cour considère que ces éléments établissent "l'élément matériel de la facturation de complaisance". Elle retient également que la société O ne pouvait ignorer participer à un système de facturation de complaisance, compte tenu notamment du caractère quasi-systématique des anomalies de paiement et de l'encaissement de certains chèques par ses propres salariés.
S'agissant de l'amende pour facturation de complaisance
Sur ce point, la Cour rappelle que l'article 1737 du CGI ne sanctionne pas...
le seul paiement effectué au profit de tiers, bénéficiaires effectifs des sommes mentionnées sur les factures concernées.
...mais uniquement le fait de travestir ou dissimuler l'identité ou l'adresse des fournisseurs ou clients, ou d'accepter sciemment l'utilisation d'une identité fictive ou d'un prête-nom.
Dès lors, la Cour considère que l'amende est justifiée uniquement pour les factures dont l'administration a établi qu'elles ne pouvaient matériellement avoir été réalisées par les sociétés émettrices (société en cessation d'activité ou n'ayant pas les moyens humains suffisants).
En revanche, elle décharge la société de l'amende pour les factures dont le seul défaut était d'avoir été réglées auprès de tiers et non auprès des sociétés émettrices, ce simple fait n'étant pas sanctionné par l'article 1737 du CGI.