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Contrôle et contentieux

Signification d'un jugement fiscal au ministre : l'erreur matérielle sans incidence sur le point de départ du délai d'appel

Le juge nous rappelle, en matière de contentieux fiscal, qu'une erreur matérielle dans l'indication de la juridiction compétente mentionnée dans un acte de signification par huissier ne remet pas en cause la validité de cet acte, dès lors qu'elle n'a pas induit le destinataire en erreur sur les conditions d'exercice de son droit au recours. Il confirme également l'efficacité de la stratégie consistant, pour un contribuuable, à signifier un jugement directement au ministre pour écourter son délai d'appel. 

 

Pour mémoire, le régime des délais d'appel en contentieux fiscal obéit à des règles spécifiques articulées entre le code de justice administrative et le livre des procédures fiscales. L'article R. 811-2 du code de justice administrative (CJA) fixe le délai d'appel de droit commun à deux mois à compter de la notification du jugement. Ce texte précise que si le jugement a été signifié par huissier de justice, le délai court à dater de cette signification à la fois contre la partie qui l'a faite et contre celle qui l'a reçue.

 

Toutefois, l'article R. 200-18 du LPF institue un régime dérogatoire pour le ministre chargé du budget. En l'absence de signification directe, ce dernier dispose d'un délai de quatre mois pour interjeter appel, ce délai courant à compter de la notification du jugement au directeur du service de l'administration fiscale. Ce délai se décompose en deux périodes : deux mois pour que le service local transmette le dossier au ministre, puis deux mois supplémentaires pour que le ministre décide de faire appel ou non. Le ministre bénéficie donc de quatre mois au total, indépendamment de la date réelle de transmission du dossier par le service local.

 

Toutefois, comme le rappelle la Cour : 

le contribuable est en mesure d'écourter le délai ouvert à l'administration, en application de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales, en signifiant directement au ministre, seul compétent pour faire appel, le jugement dont il a lui-même reçu notification.

Dans ce cas, le délai d'appel est ramené à deux mois seulement (le délai de droit commun), et court à partir de cette signification. 

 

Rappel des faits et de la procèdure :

Par acte sous seing privé du 25 juin 2015, les époux A ont cédé à la SAS MCB Invest, société holding qu'ils avaient créée le 13 mai 2015 et dont ils détenaient l'intégralité du capital, les titres de la SAS ETIC pour un prix de 4 000 000 €. La société ETIC exerçait une activité de réalisation et d'agencement de locaux commerciaux.

À l'issue d'une vérification de comptabilité de la SAS MCB Invest, l'administration fiscale a estimé que la valeur vénale réelle des titres de la SAS ETIC s'élevait à 10 034 238 €, soit un écart considérable de plus de 6 M€ avec le prix d'acquisition déclaré. Le vérificateur a considéré que cette sous-évaluation manifestait une libéralité consentie par les vendeurs à l'acquéreur. Sur le fondement de l'article 38-2 du CGI, l'administration a réintégré dans le résultat de la SAS MCB Invest de l'exercice clos en 2015 la somme de 6 034 238 €, représentant l'écart entre la valeur vénale retenue et le prix d'acquisition dont la société avait bénéficié. Cette réintégration a donné lieu à des cotisations supplémentaires d'IS.

 

Le TA de Grenoble, par jugement du 21 décembre 2023, a donné raison au contribuable en prononçant la décharge totale des impositions et pénalités. Ce jugement a été notifié au directeur du contrôle fiscal Centre-Est le jour même. Le ministre a fait appel de la décision.

 

Entre-temps, la SAS MCB Invest a fait l'objet d'une procédure collective et Me R est intervenu en qualité de mandataire liquidateur judiciaire. Par acte du 12 janvier 2024, soit moins d'un mois après le jugement, le commissaire de justice requis par le mandataire liquidateur a signifié et remis une copie du jugement au ministre en l'informant qu'il disposait d'un délai de deux mois pour faire appel.

 

Toutefois, cet acte contenait une erreur matérielle : il mentionnait que la requête devait être introduite devant "la cour d'appel administrative sise à Grenoble", alors que la juridiction compétente était la cour administrative d'appel de Lyon. Conscient de cette erreur, le mandataire liquidateur a fait procéder à une nouvelle signification le 24 janvier 2024, comportant cette fois l'indication exacte de la juridiction compétente.

 

  • Sur la forme, le ministre avait enregistré sa requête d'appel le 20 mars 2024, soit plus de deux mois après la première signification du 12 janvier 2024, mais moins de deux mois après la seconde signification du 24 janvier 2024. Il soutenait que cette seconde signification, corrigeant l'erreur de la première, constituait le véritable point de départ du délai d'appel.
  • Au fond, le ministre contestait l'appréciation du tribunal concernant la valorisation des titres de la société ETIC, arguant notamment que les premiers juges avaient à tort retenu une perte de clients survenue postérieurement à la cession et qu'ils avaient écarté des éléments pertinents de valorisation. Il demandait le rétablissement des impositions pour un montant total de 1 604 597 €.

De son côté, le mandataire liquidateur de la SAS MCB Invest soulevait l'irrecevabilité de l'appel pour tardiveté. Il soutenait que la signification du 12 janvier 2024 était régulière et avait fait courir le délai de deux mois prévu à l'article R. 811-2 du CJA. L'erreur matérielle concernant l'indication de la juridiction compétente ne pouvait, selon lui, remettre en cause la validité de cette signification. La requête du ministre, enregistrée le 20 mars 2024, était donc tardive.

 

La Cour vient de rejeter la requête du ministre

 

  • Elle rappelle d'abord les principes applicables en matière de délais d'appel, soulignant que le contribuable (voir ci-avant) peut écourter le délai privilégié de quatre mois dont dispose l'administration en signifiant directement le jugement au ministre.
  • Elle reconnaît que l'erreur est "regrettable" mais souligne que pour vicier la signification, l'erreur doit avoir induit en erreur le ministre sur les conditions d'exercice de son droit au recours ou avoir exercé une influence sur son appréciation quant à l'opportunité de contester le jugement.

cette erreur commise dans la signification du jugement quant à l'indication de la juridiction territorialement compétente, pour regrettable qu'elle soit, n'a pu l'induire en erreur sur les conditions d'exercice de son droit au recours et n'a pu exercer une influence sur son appréciation quant à l'opportunité de contester le jugement.

En l'espèce, pour la Cour, ces conditions ne sont pas remplies. L'indication erronée de la cour d'appel administrative "sise à Grenoble" au lieu de Lyon ne pouvait tromper le ministre sur ses droits. Il s'agit manifestement d'une simple erreur de localisation géographique de la juridiction, alors que la nature de la voie de recours et les modalités d'exercice étaient correctement mentionnées.

 

L'erreur n'étant pas substantielle, la signification du 12 janvier était parfaitement valable et a bien fait courir le délai de recours de deux mois. Par conséquent, l'appel enregistré le 20 mars 2024 était tardif. 

Publié le mardi 30 septembre 2025 par La rédaction

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