Le juge de l'impôt nous rappelle les conditions de déduction de la TVA dans le cadre spécifique du dispositif des certificats d'économie d'énergie (CEE) et nous éclaire surl'interprétation du "lien direct et immédiat" entre une dépense et l'activité économique d'un assujetti, notamment lorsque cette activité comporte une étape intermédiaire de distribution gratuite de biens (A des bailleurs sociaux au cas particulier).
Le litige s'inscrit dans le cadre de l'application du régime de la TVA, et plus particulièrement du droit à déduction prévu à l'article 271 du CGI. Ce texte dispose que :
La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération
Il précise également que...
...dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas, celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures.
Ces dispositions nationales doivent être interprétées à la lumière du droit de l'Union européenne, et notamment de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, dont les articles 1er et 168 posent les principes du droit à déduction.
La CJUE, dans son arrêt Voestalpine Giesserei Linz du 4 octobre 2024 (aff. C-475/23), a réaffirmé que l’absence de contrepartie monétaire n’est pas, en soi, un obstacle à la déduction, si le bien contribue effectivement aux besoins des opérations taxables de l’assujetti. Cette jurisprudence mentionné dans la décision abordée ici, a progressivement développé le critère du "lien direct et immédiat" entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction. Ce lien est considéré comme nécessaire pour qu'un droit à déduction de la TVA soit reconnu à l'assujetti.
En l'absence d'un tel lien avec des opérations spécifiques en aval, un assujetti peut néanmoins être fondé à déduire la TVA lorsque les dépenses font partie de ses frais généraux et sont, à ce titre, des éléments constitutifs du prix des biens ou services qu'il fournit dans le cadre de son activité économique globale.
Le litige s'inscrit également dans le cadre spécifique du dispositif des certificats d'économie d'énergie (CEE) prévu aux articles L. 221-1 et suivants du code de l'énergie. Ce mécanisme impose aux fournisseurs d'énergie de réaliser des économies d'énergie, directement ou par l'intermédiaire d'autres acteurs comme la SAS GP en l'espèce. Les actions générant des économies d'énergie permettent d'obtenir des CEE qui peuvent ensuite être négociés sur un marché dédié.
Rappel des faits :
La SAS GP exerce une activité de valorisation de certificats d'économie d'énergie en lien avec la réalisation de projets d'économie d'énergie. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 29 septembre 2016 au 31 juillet 2018.
Dans le cadre de son activité, la société a conclu le 3 avril 2017 une convention de partenariat avec la société EcoGam, qui lui a fourni des ampoules LED. Ces ampoules étaient destinées à être distribuées gratuitement à des bailleurs sociaux en métropole et à la Réunion, ainsi qu'à des particuliers en situation de précarité domiciliés à la Réunion. Cette distribution gratuite avait pour objectif de générer des économies d'énergie permettant l'obtention de certificats d'économie d'énergie, que la société revendait ensuite sur le marché dédié.
À l'issue du contrôle, l'administration fiscale a, par une proposition de rectification du 18 juin 2019, remis en cause la déduction de la TVA acquittée lors de l'achat des ampoules LED en mai 2018, considérant que la gratuité de la distribution aux bénéficiaires finaux et l'absence de contrepartie versée par ces derniers empêchaient la déduction de la TVA correspondante.
La société a été assujettie à des rappels de TVA au titre de la période du 1er janvier 2018 au 31 juillet 2018, assortis d'intérêts de retard. Sa réclamation ayant été rejetée par une décision du 12 mars 2021, elle a saisi le tribunal administratif de Lille qui a rejeté sa demande par un jugement du 24 novembre 2023.
La SAS Green Project a fait appel de ce jugement devant la Cour Administrative d'Appel de Douai.
- Elle soutient que l'acquisition des ampoules LED auprès de son fournisseur puis leur distribution gratuite auprès de bailleurs lui permettaient d'obtenir des certificats d'économie d'énergie destinés à la vente, opération passible de la TVA au taux de 20%, de sorte que la TVA payée lors de l'achat des ampoules LED était déductible.
- L'administration fiscale, quant à elle, s'était fondée sur la gratuité de la distribution des ampoules aux bailleurs sociaux et aux particuliers et sur l'absence de contrepartie versée par ces derniers pour refuser la déduction de la TVA.
La Cour vient de, partiellement, faire droit à la demande de la SAS GP
- La Cour a d'abord rappelé le cadre juridique applicable, en soulignant que l'existence d'un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction est, en principe, nécessaire pour qu'un droit à déduction de la TVA soit reconnu. Elle a précisé que ce droit suppose que les dépenses effectuées fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval.
- Elle a ajouté qu'en l'absence d'un tel lien avec des opérations spécifiques, un assujetti peut néanmoins déduire la TVA lorsque les dépenses font partie de ses frais généraux et sont des éléments constitutifs du prix des biens ou services qu'il fournit dans le cadre de son activité économique globale.
Appliquant ces principes au cas d'espèce, la Cour a estimé que la circonstance que la distribution des ampoules aux bénéficiaires finaux ait été gratuite ne suffisait pas à refuser le droit à déduction si l'existence d'un lien direct et immédiat était établie entre cette acquisition et soit des opérations taxées en aval, soit l'ensemble de l'activité économique de la société.
Elle a constaté que les ampoules LED avaient été acquises pour être distribuées gratuitement dans le but d'inciter les consommateurs à réaliser des économies d'énergie, cette opération s'inscrivant dans le cadre des projets menés par la société pour obtenir des certificats d'économie d'énergie qu'elle valorisait ensuite en les cédant à titre onéreux sur le marché dédié, cette dernière opération étant soumise à la TVA.
Toutefois, la Cour a relevé que, selon la facture émise par EcoGam, seule une fraction des ampoules acquises (pour un montant de 566 445,68 € sur un total de 881 508,57 €) avait effectivement été distribuée en vue de l'obtention de certificats d'économie d'énergie, l'autre fraction (315 062,89 €) n'ayant pas été distribuée.
En conséquence, la Cour a jugé que les dépenses engagées pour l'acquisition des ampoules LED constituaient, à hauteur de la fraction effectivement distribuée (566 445,68 €), un moyen pour la société de réaliser son activité économique de valorisation des certificats d'économie d'énergie. Ces dépenses faisaient donc partie de ses frais généraux et étaient des éléments constitutifs du prix des biens fournis par elle. L'administration avait donc fait une inexacte application de l'article 271 du CGI en remettant en cause la déduction de la TVA pour cette fraction.
Ainsi, la gratuité d’une délivrance n’éteint pas le droit à déduction si le bien distribué concourt de façon nécessaire et directe à l’obtention de revenus taxés, fût-ce indirectement par la génération de certificats. Sur ce point, la solution prolonge la jurisprudence Voestalpine Giesserei Linz, qui a admis la déduction pour des biens mis à disposition gratuitement d’un sous-traitant lorsqu’ils servent l’activité taxée de l’assujetti.