La juridiction administrative vient de rappeler que l'exigibilité de la TVA pour les prestations de services implique que tous les éléments pertinents de la future prestation soient désignés avec précision au moment du versement de l’acompte
Pour mémoire, l’article 30 de la Loi de Finances pour 2022 a tiré les conséquences de l’arrêt de la CAA de Nantes du 28 mai 2021 et prévoit que pour les livraisons de biens à compter du 1er janvier 2023 la TVA sera exigible lors de l’encaissement d’acompte.
Jusqu'à présent, la TVA sur les livraisons de biens était en principe exigible au moment de la réalisation de cette opération. À compter du 1er janvier 2023, en cas de versement d’un acompte, la TVA sera exigible dès le versement de cet acompte, à concurrence du montant encaissé. En l'absence d'acompte, la TVA sur les livraisons de biens demeurera exigible au moment où l’opération est effectuée.
Rappel du contexte
En application de l’article 269-2-c du CGI, la TVA est exigible, pour les prestations de service, « lors de l’encaissement des acomptes, du prix, de la rémunération ou, sur option du redevable, d’après les débits ».
Ces dispositions sont issues de la transposition de l’article 65 de la directive TVA (2006/112/CE du 28 novembre 2006) qui prévoit à titre dérogatoire qu’« en cas de versements d’acomptes avant que la livraison de biens ou la prestation de services ne soit effectuée, la taxe devient exigible au moment de l’encaissement, à concurrence du montant encaissé ».
La CJUE a précisé que dans le cas de versement d’un acompte, la TVA devient exigible sans que la livraison ou la prestation ait encore été effectuée. Afin que la taxe puisse devenir exigible dans une telle situation, il faut que tous les éléments pertinents du fait générateur, c’est-à-dire de la future livraison ou de la future prestation, soient déjà connus et donc, en particulier, que, au moment du versement de l’acompte, les biens ou les services soient désignés avec précision. Arrêt du 21 février 2006 - Affaire C-419/02
Dans une autre affaire, la Cour européenne a souligné l’article 65 de la directive 2006/112 ne saurait être applicable lorsqu’il s’avère que la réalisation du fait générateur est incertaine au moment du paiement de l’acompte. Tel serait le cas, notamment, en présence d’un comportement frauduleux. Arrêt du 13 mars 2014 - Affaire C‑107/13
Enfin, la CJUE a apporté des précisions quant aux modalités d’appréciation d’un éventuel élément d’incertitude : afin d’apprécier l’élément de certitude quant à la réalisation de la livraison ou de la prestation, qui conditionne l’exigibilité de la TVA afférente à l’acompte et la naissance corrélative du droit à déduction, il y a lieu de se placer au moment du versement de cet acompte. […] le bénéfice de ce droit doit être refusé à cet assujetti par les autorités et les juridictions nationales s’il est établi, au regard d’éléments objectifs, que, au moment du versement de l’acompte, il savait ou ne pouvait raisonnablement ignorer que cette livraison ou cette prestation était susceptible de ne pas se réaliser. Arrêt du 31 mai 2018 - Affaires jointes C‑660/16 et C‑661/16
Rappel des faits :
Par acte notarié du 31 décembre 2013, Mme B a cédé à la SAS M dont elle est la dirigeante, un terrain à bâtir d’une superficie de 4 288 m² à Montpellier, cadastré section AZ n° 373, au prix de 1 500 000 €, payé comptant à hauteur de 300 000 €, le solde, soit 1 200 000 €, étant, d’un commun accord, converti en une obligation pour l’acquéreur de réaliser, au profit du vendeur, sur une parcelle voisine dont il a conservé la propriété, un ensemble immobilier d’une surface de 1 470 m² composé de vingt villas à usage d’habitation, dans un délai de trois ans à compter de la date de l’acte.
A la suite d’une vérification de comptabilité, la société M qui exerce une activité de marchand de biens immobiliers, a été assujettie à un rappel de TVA au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2013.
Par un jugement n° 1605409 du 20 novembre 2017, le TA de Montpellier a rejeté sa demande. en décharge.
Par un arrêt n° 18MA00175 du 21 décembre 2018, la CAA de Marseille a annulé ledit jugement et a prononcé la décharge du rappel de TVA réclamé à la société.
Par une décision du 19 octobre 2020, le Conseil d’Etat statuant au contentieux, sur pourvoi en cassation formé par l'administration, a annulé l’arrêt du 21 décembre 2018 et a renvoyé l’affaire à la CAA de Marseille.
La Cour vient d'annuler le jugement du TA de Montpellier du 20 novembre 2017 déchargant ainsi la SAS M du rappel de TVA
La Cour soutenait que l’obligation de faire résultant de l’acte de vente du 31 décembre 2013 et consistant en la réalisation pour un montant de 1 200 000 € de vingt villas à usage d’habitation n’étant pas désignée avec précision et l’acte ne prévoyant aucune sanction en cas d’inexécution de cette obligation, c’est en méconnaissance des dispositions de l'article 269-2-c du CGI que l’administration avait soumis cette somme à la TVA.
La Cour vient de lui donner raison.
En effet, pour cette dernière le paiement d’une somme avant même l’intervention du fait générateur de la TVA exigible sur les prestations de services, que constitue en l’espèce la réalisation des travaux de construction des villas, revêt le caractère d’un acompte au sens de l'article 269-2-c du CGI, telles qu’interprétées par la CJUE (Arrêts de 2014 et 2018 précités), quand bien même cette somme correspondrait à l’intégralité du prix des travaux.
Il convenait donc de déterminer si tous les éléments pertinents de la future prestation étaient désignés avec précision au moment du versement de l’acompte, le 31 décembre 2013. Or, au cas particulier la nature et la consistance des travaux immobiliers à réaliser ne pouvaient être regardés comme ayant été désignés, au moment de la vente, avec suffisamment de précision en dépit du permis de construire délivré à la SAS M :
- aucun contrat avec la ou les sociétés chargées de l’exécution de ces travaux n’a été conclu,
- aucun cahier des charges décrivant poste par poste les travaux à réaliser n’a été rédigé
Ainsi, en l’absence de désignation avec précision des prestations de construction à réaliser par la SAS M la TVA n'était pas exigible.