Le juge de l'impôt vient de rendre une décision concernant l'assujettissement à la TVA de l'activité des opérateurs de paris sportifs à cote validant la doctrine de l'administration fiscale, qui consiste à taxer la marge brute de l'opérateur, et confirmant la compatibilité de ce régime avec le droit de l'UE.
Aux termes de l’article 4 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, le pari à cote s’entend du pari pour lequel l’opérateur propose aux joueurs, avant le début des compétitions sportives ou au cours de leur déroulement, des cotes correspondant à son évaluation des probabilités de survenance des résultats de ces compétitions, sur lesquels les joueurs parient. Le gain est fixe, exprimé en multiplicateur de la mise, et garanti aux joueurs.
Cette définition distingue clairement le pari à cote fixe du pari mutuel où les gains sont déterminés par la répartition des mises entre les gagnants.
Pour mémoire, l'article 135-1-i, de la directive TVA 2006/112/CE prévoit une exonération pour les "paris, loteries et autres jeux de hasard ou d'argent". Toutefois, cette exonération n'est pas absolue et est offerte "sous réserve des conditions et limites déterminées par chaque État membre". C'est cette marge de manœuvre laissée aux législateurs nationaux qui est au cœur du contentieux.
En France, l'article 261E-2° du CGI a transposé ce principe de manière singulière. Il exonère le "produit de l'exploitation" des jeux et paris, "à l'exception des rémunérations perçues par les organisateurs". Le législateur a ainsi choisi de scinder l'opération : les mises des joueurs sont en principe exonérées, mais la rémunération que l'organisateur tire de son activité est, elle, soumise à la TVA.
La question, au cas particulier, est donc de définir la nature et l'assiette de cette rémunération dans le modèle économique spécifique des paris à cote fixe, où, contrairement au pari mutuel, l'opérateur garantit un gain fixe au joueur et assume lui-même le risque.
Rappel des faits :
La société France Pari (devenue Sportnco Gaming), exerce l'activité d'organisatrice de paris sportifs en ligne à cote fixe. Cette activité, consiste à proposer aux parieurs des cotes sur des événements sportifs et à garantir le paiement des gains calculés en fonction de ces cotes en cas de succès du pari. La société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité en matière de TVA portant sur la période du premier janvier 2015 au 31 octobre 2017.
À l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale a considéré que la société aurait dû soumettre à la TVA la rémunération qu'elle acquiert au titre de ses activités de paris sportifs à cote fixe. Le raisonnement de l'administration repose sur l'interprétation des dispositions de l'article 261 E-2 du CGI selon laquelle, si le "produit de l'exploitation" correspondant aux mises des joueurs est exonéré, en revanche les "rémunérations perçues par les organisateurs" sont taxables. Selon l'administration, ces rémunérations correspondent à la différence entre, d'une part, l'ensemble des sommes misées par les joueurs et, d'autre part, les gains effectivement reversés aux joueurs gagnants ainsi que les prélèvements obligatoires opérés au profit de l'État.
Une proposition de rectification a été adressée à la société le 15 octobre 2018. La société a contesté le principe même de l'assujettissement de sa rémunération à la TVA. Elle a formé une réclamation contentieuse puis saisi la juridiction administrative. Par un jugement du 6 novembre 2023, le TA de Montpellier a rejeté la demande de décharge. C'est contre ce jugement que la société a fait appel.
Sportnco Gaming
- soutient ne pas fournir de prestation de services. Selon elle, l'opérateur de paris à cote fixe se comporterait comme un joueur opposé à ses clients, l'aléa inhérent au pari excluant l'existence d'un lien direct entre la mise et un service rendu. Les sommes collectées (les mises) constitueraient son chiffre d'affaires, intégralement exonéré, et non la contrepartie d'une prestation.
- se prévaut de l'incompatibilité du droit français avec la directive TVA. Le fait de scinder une opération unique pour en taxer une partie (la rémunération) tout en exonérant l'autre (le produit de l'exploitation) serait contraire aux principes fondamentaux de la TVA. La société estime que la marge de manœuvre laissée aux États membres ne leur permettait pas une telle dérogation.
- soulève une difficulté pratique rendant le régime inapplicable, tenant aux règles de territorialité. La base taxable étant calculée comme une marge globale (mises totales moins gains totaux), il serait impossible selon elle de ventiler cette marge par joueur pour appliquer les taux de TVA spécifiques des départements d'outre-mer, conduisant de fait à une taxation indue au taux de France métropolitaine.
La Cour administrative d'appel de Toulouse vient de rejeter la requête de la société Sportnco Gaming.
Sur la qualification de l'opération, la Cour écarte la théorie de "l'opérateur-joueur"
Elle retient l'existence d'une prestation de services à titre onéreux. Elle identifie un lien direct entre le service fourni par l'opérateur – l'organisation du pari et l'offre d'une chance de gain – et la contrepartie reçue. Cette contrepartie est la fraction des mises dont l'opérateur peut disposer librement. La Cour relève, que dans le modèle à cote fixe, l'opérateur détermine les cotes de manière à s'assurer "un bénéfice raisonnablement prévisible et déterminable". Cette marge n'est donc pas le fruit du hasard, mais la rémunération calculée de son activité économique.
8. En troisième lieu, la société appelante fait valoir qu'elle doit être regardée comme un joueur dans le cadre des opérations de pari, que l'existence d'un aléa exclut la possible existence d'un lien direct entre le versement de la mise et un service rendu au joueur pour participer au pari et que, par suite, le gain net réalisé par l'opérateur de paris n'est pas la contrepartie d'une prestation d'organisation du pari.
Il résulte toutefois de l'instruction que l'opérateur d'un pari à cote fixe exerce une activité économique qui s'analyse en une prestation de services à titre onéreux dans la mesure où il existe entre l'opérateur et le joueur un lien direct par lequel l'opérateur, en échange de la mise, attribue une chance de gain au parieur. Il résulte également de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point précédent du présent arrêt, que les opérateurs de paris à cote fixe déterminent cette cote de telle manière qu'en moyenne leurs gains suffisent pour qu'ils puissent faire face à leurs coûts et leur assurent un bénéfice raisonnablement prévisible et déterminable. Ainsi, les sommes restantes de ce fait à la disposition de l'organisateur doivent être regardées comme ayant un lien direct avec le service rendu et comme représentant la rémunération de l'opérateur de pari à cote fixe en contrepartie de la prestation qu'il réalise. Par suite, la société appelante n'est pas fondée à soutenir qu'en soumettant à la taxe sur la valeur ajoutée cette rémunération, le service a méconnu les dispositions précitées du 2° de l'article 261 E du code général des impôts telles qu'éclairées par la jurisprudence communautaire.
Concernant la compatibilité avec le droit de l'Union européenne
La Cour juge que la clause "conditions et limites" de l'article 135 de la directive confère aux États membres une marge d'appréciation suffisante pour définir la base imposable de la rémunération des organisateurs par référence à leur marge nette. Le législateur français n'a donc pas outrepassé ses prérogatives. Partant, elle écarte la demande de renvoi préjudiciel devant la CJUE, estimant l'interprétation des textes suffisamment claire.
La Cour s'attache à réfuter l'interprétation que la société fait de la jurisprudence de la CJUE. Elle relève que les dispositions de l'article 261-E-2° du CGI n'exonèrent pas expressément l'ensemble des produits d'exploitation des organisateurs de paris en ligne à cote fixe, mais au contraire soumettent à la TVA la partie de ces produits correspondant aux rémunérations des organisateurs. Concernant les arrêts européens invoqués par la société, la Cour considère qu'ils indiquent seulement que la base d'imposition ne comprend pas la proportion obligatoirement fixée par la loi du total des mises qui correspond aux gains versés aux joueurs, mais ne permettent pas d'en déduire que l'intégralité des mises devrait être exonérée en l'absence d'une telle obligation légale.
Enfin, sur l'argument de la territorialité
la Cour opère un renversement de la charge de la preuve. Elle estime que la société requérante "n'établit pas qu'elle serait dans l'impossibilité de ventiler sa rémunération" en fonction de la localisation des joueurs. Le moyen, présenté comme une impossibilité juridique, est requalifié en simple difficulté technique qu'il appartient à l'opérateur de surmonter. Le juge considère que la loi n'empêche nullement d'appliquer les taux réduits des DOM-TOM, à charge pour l'entreprise de mettre en place les systèmes de suivi adéquats.