La question de l'exonération de TVA applicable aux activités de courtage en prêt s'inscrit dans le cadre de l'article 261-C du CGI qui exonère "l'octroi et la négociation de crédits". La jurisprudence, notamment celle du Conseil d'État depuis 1992 et de la CJCE, a progressivement précisé le périmètre de cette exonération, incluant les activités d'intermédiation dans l'octroi de crédit, le démarchage d'emprunteurs et la préparation des dossiers de financement. Une récente affaire nous rappelle le champ de cette exonération dans un contexte de mise en jeu de la responsabilité d'un professionnel du droit et du chiffre.
La décision se fonde principalement sur l'article 261 C du CGI qui exonère de TVA "l'octroi et la négociation de crédits". Cette disposition, qui transpose la directive européenne n°77/388/CEE, a été précisée par la jurisprudence du Conseil d'État (Arrêt "Société Chaumontaise d'assistance et de financement" du 11 décembre 1992) et de la CJCE (13 décembre 2001, CSC Financial Services Ltd).
Ces jurisprudences ont clarifié que les activités d'intermédiation dans l'octroi de crédit, incluant le démarchage d'emprunteurs, l'appréciation de leur solvabilité et la préparation des dossiers de crédit, bénéficient de l'exonération de TVA.
Pour mémoire, l'arrêt du Conseil d'Etat a examiné le cas de la société S.C.A.F. qui contestait son assujettissement à la TVA pour ses activités liées au crédit. La haute juridiction administrative a précisé que l'exonération de TVA pour les activités de négociation de crédits ne requiert pas la qualité de mandataire du prêteur, contrairement à ce qu'avait jugé la cour administrative d'appel. Les activités de négociation de crédits exercées par la société - préparation des dossiers, enquêtes de solvabilité, information des clients sur les conditions d'acceptation, recueil des signatures et demande de garanties - auraient dû être qualifiées d'opérations d'octroi et de négociation de crédits exonérées de TVA selon l'article 261-C du CGI. Cependant, la société exerçait également des activités de recouvrement direct et de traitement contentieux relevant de la gestion de crédits, non exonérées, sans comptabilité distincte des recettes, justifiant son assujettissement global à la TVA.
L'arrêt de la Cour européenne concerne l'interprétation de l'article 13-B-d-5, de la directive TVA, dans un litige opposant les Commissioners of Customs & Excise à CSC Financial Services Ltd. La question portait sur l'assujettissement à la TVA des services de "call center" fournis par CSC à Sun Alliance pour un produit d'investissement. La Cour a établi que les "opérations portant sur les titres" sont celles susceptibles de créer, modifier ou éteindre des droits et obligations des parties sur des titres. Elle a précisé que la "négociation portant sur les titres" n'inclut pas les services limités à fournir des informations sur un produit financier et à traiter des demandes de souscription sans émettre les titres. La fourniture d'une simple prestation matérielle, technique ou administrative sans modifications juridiques et financières n'est pas couverte par l'exonération prévue à l'article 13 précité.
Rappel des faits :
La société P, exerçant une activité de conseil en gestion de patrimoine et de courtage d'assurance, a confié au cabinet F une mission comptable de 2001 à 2007. En 2008, après avoir changé d'expert-comptable, elle a appris que son activité de courtage de prêt était totalement exonérée de TVA. En 2017, elle a assigné F pour manquement à son devoir de conseil.
Après un premier jugement ayant condamné F à 10 000 € de dommages-intérêts, la cour d'appel de Bordeaux avait porté cette somme à 99 861 €. Sur pourvoi, la Cour de cassation a cassé partiellement cet arrêt, renvoyant l'affaire devant la cour d'appel de Toulouse.
- La société P soutient que F a manqué à son devoir de conseil en ne l'informant pas de l'exonération de TVA applicable à son activité de courtage de prêt. Elle évalue son préjudice à 90% de la TVA indûment acquittée, considérant qu'elle aurait pu augmenter ses marges sans modifier ses prix de vente.
- F et ses assureurs (MMA) contestent tant la responsabilité que le préjudice, arguant que la doctrine fiscale n'était pas fixée pendant la période litigieuse et que les prestations facturées ne relevaient pas uniquement de l'exonération. Ils soutenaient également que le gérant d'AD Patrimoine, étant spécialiste de la fiscalité, n'avait pas besoin de conseils sur ce point.
Sur le fond, la cour a retenu la responsabilité de l'expert-comptable, considérant que:
- La jurisprudence du Conseil d'État depuis 1992 (n° 119138, Société Chaumontaise d'assistance et de financement) et de la CJCE (Aff. C-235/00, CSC Financial Services Ltd) avait clairement inclus les activités de courtage en prêt dans l'exonération de TVA. Le Conseil d'Etat a retenu que la société qui '"préparait les dossiers de prêts en effectuant des enquêtes de solvabilité, en informant les clients des conditions d'acceptation des prêts par l'organisme financier et en recueillant les signatures des emprunteurs et qui exécutait les décisions d'octroi de crédit prises par les organismes prêteurs en demandant des garanties aux emprunteurs et en leur versant les fonds prêtés par ces établissements" exerçait une activité se rattachant à l'octroi et à la négociation de crédits, exonérée de TVA.
Au regard de cette jurisprudence, l'activité d'une personne qui consiste à démarcher des emprunteurs potentiels, à apprécier leur solvabilité, à préparer des dossiers de crédit pour les transmettre à des établissements bancaires s'analyse en une opération de négociation de crédits dès lors qu'il y a bien mise en relation de l'organisme prêteur et de l'emprunteur.'
Or tel est bien le cas des prestations facturées et c'est vainement que la société Fidexpertise entend déduire de l'emploi des termes ' études ' ou ' recherches' que les activités facturées sont distinctes de celles qui sont exonérées par le texte susvisé.
- La doctrine BOFIP précise :
L'exonération prévue au a du 1° de l'article 261 C du CGI vise toutes les opérations d'octroi et de négociation de crédits, ainsi que les opérations de gestion de crédits effectuées par la personne qui les a octroyés.
BOI-TVA-SECT-50-10-10
- L'examen des factures d'e P démontrait que ses prestations correspondaient précisément aux activités exonérées
- Les compétences personnelles supposées du dirigeant ne dispensaient pas l'expert-comptable de son devoir d'information
Le jugement entrepris a donc retenu à juste titre qu'il appartenait à la société Fidexepertise chargée d'une mission complète de présentation des comptes d'informer sa cliente de ce que son activité de courtage de prêt, n'était pas soumise à TVA, ce qu'elle n'a pas fait.
Concernant le préjudice, la cour a rejeté la thèse d'AD Patrimoine selon laquelle elle aurait augmenté ses marges de 90% de la TVA. Elle a retenu une perte de chance de convertir en bénéfice la TVA indûment facturée, évaluée à 60% du montant total de TVA acquittée (99 861 €), soit 59 916,60 €.
TL;DR
- La Cour confirme l'application de l'exonération de TVA aux activités de courtage en prêt, précisant que les prestations d'études et de recherche de financement en font partie intégrante
- Elle rappelle l'étendue du devoir de conseil de l'expert-comptable en matière fiscale
- Elle écarte l'argument selon lequel la compétence supposée du client pourrait réduire le devoir de conseil du professionnel