Comme il a été rappelé dans une précédente Chronique publiée sur le présent site le 19 novembre 2012, selon la Réponse ministérielle Cousin (AN 16 septembre 1996, p. 4930 n° 39397) reprise par la doctrine administrative de base et désormais dans le BOFIP (5 G 116, n°51 du 15 septembre 2000 ; BOI-RSA-GER-10-30-20120912), la rémunération d’un associé professionnel interne d’une SELARL, non gérant, « qui exerce au sein de la société et qui n’a pas de ce fait de clientèle personnelle relève normalement du régime des traitements et salaires » .
Cette doctrine fiscale procède de la distinction qui est faite entre un associé professionnel interne et un collaborateur libéral d’une SEL, considérant que seul ce dernier peut être titulaire d’une clientèle personnelle. A la différence, l’associé professionnel interne (API) d’une SEL ne fournit pas de prestations de services en dehors de la société. Sa rémunération, selon cette même doctrine, ne saurait être considérée comme entrant dans la catégorie de BNC.
En l’absence de disposition légale et réglementaire et de jurisprudence fiscale, il s’agit de la seule source normative sur laquelle s’appuyer pour déterminer dans quelle catégorie doit être déclarée et imposée la rémunération technique versée à un associé professionnel interne d’une SEL, en l’occurrence comme un salaire…
…Jusqu’à ce qu’un arrêt récent du Conseil d’Etat vienne semer le trouble sur ce statut particulier déjà peu lisible, objet de controverses depuis quelques années (plus particulièrement sur le plan social, cf. Chronique précédente).
A propos d’un associé minoritaire d’une SELAFA d’Avocats, le Conseil d’Etat vient effectivement de juger que « les revenus perçus par (cet associé) dans l’exercice de son activité d’avocat devaient être imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux » du fait qu’ « il n’existait pas entre (cet associé) et la SEL, dans laquelle il exerçait sa profession d’avocat, de lien de subordination caractérisant l’exercice d’une activité salariée » et « alors même que le contribuable ne pouvait pas développer de clientèle personnelle » (CE 16 octobre 2013, n°339822, 10e et 9e s.-s., A.).
Il s’agit d’une décision « inédite » du Conseil d’Etat concernant le régime fiscal d’un associé professionnel interne de SEL et, plus particulièrement, les modalités d’imposition de ses revenus professionnels.
Cette décision de la Haute juridiction pourrait ne pas être totalement surprenante dans la mesure où, dans un arrêt du 27 mai 2011 (1ère et 6ème S. sections réunies, n°328905, Ordre des Avocats du Barreau de Paris), le Conseil d’Etat s’était déjà prononcé, sur la nature sociale (et non fiscale) de la rémunération technique allouée à un associé professionnel interne d’une SEL d’Avocats, considérant celle-ci, en l’absence de contrat de travail et de lien de subordination, comme un bénéfice non commercial (et non comme un salaire).
Toutefois, une lecture attentive de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes du 22 mars 2010, et une analyse plus globale de l’arrêt du Conseil d’Etat du 16 octobre 2013, laissent à penser qu’ au cas particulier, il pourrait s’agir seulement d’une décision de portée limitée ne posant pas un nouveau principe fiscal d’application générale à tous les API de SEL (toute profession règlementée confondue) pour les motifs suivants :
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en raison d’un des fondements juridiques de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes. Cette dernière précise effectivement, à l’appui de cette décision, que « aux termes de l’article 20 du décret 93-492 du 25 mars 1993 : un avocat associé exerçant au sein d’une SEL ne peut exercer sa profession à titre individuel, en qualité de membre d’une autre société, quelle qu’en soit la forme, ou en qualité d’avocat salarié ». Or, une telle obligation d’exclusivité d’exercice ne se retrouve pas dans toutes les professions réglementées.
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en raison des circonstances particulières de la cause. Dans l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes, il est indiqué, selon l’instruction des faits, que le contribuable concerné, exerçant de manière individuelle avant son intégration dans une SELAFA d’avocats, a postérieurement, à celle-ci, « continué à déposer des déclarations de bénéfices non commerciaux » . Que n’ayant pas déclaré les revenus perçus comme des salaires, il ne pouvait de ce fait, « être regardé comme ayant fait application de la doctrine précitée conduisant à la qualification de salaires » , et que par suite, il ne pouvait « utilement invoquer » la dite doctrine administrative.
Qu’aussi, en vertu d’un protocole d’accord relatif à l’exercice en commun de la profession d’avocat au sein de la SEL , que le contribuable en question était rémunéré en rétrocession d’honoraires de cette société (sans minimum garanti), qu’il disposait d’un compte d’exploitation interne individuel relatif à son activité individuelle et demeurait responsable de conduire la relation avec sa clientèle. Il s’agissait donc, au cas particulier, de conditions d’exercice plus proches de celles d’un collaborateur libéral qu’usuellement de celles d’un API d’une SEL.
Qu’enfin, selon la Cour, il résulte de ce qui précède que ledit contribuable devait être « regardé comme ayant exercé son activité de manière indépendante même après son intégration à la société » et que « les rétrocessions d’honoraires versées au contribuable constituent des sommes versées par un tiers en contrepartie d’un service entrant dans le champ d’application de la TVA ».
Or, selon des principes bien établis, rappelés ci-avant, par la doctrine administrative, « la rémunération d’un API ne saurait être considérée comme entrant dans la catégorie de BNC compte tenu du fait qu’un API ne fournit pas de prestations de services en dehors de la société ».
Doit-on désormais considérer que les sommes versées à un API en rémunération de l’exercice de ses fonctions techniques doivent être assujetties à la TVA, car relevant de la catégorie des BNC ?
Cette dernière considération de la Cour administrative d’appel de Nantes, implicitement confirmée par le Conseil d’Etat, a-t-elle été seulement prise au regard des circonstances particulières de la cause ou résulte-t-elle d’une appréciation plus générale en contradiction avec la doctrine administrative ? On peut logiquement s’interroger au vu des termes employés ci-avant.
Pour autant,
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en raison de l’exclusivité d’exercice à laquelle est tenu un avocat associé d’une SEL à l’égard de cette dernière (soit de l’obligation - instituée par l’article 20 du décret précité du 25 mars 1993 - de consacrer l’ensemble de son activité à la société), on devrait considérer qu’il existe un lien de dépendance économique entre l’associé avocat et la SEL, dans laquelle il exerce, devant ainsi placer cette relation financière en dehors du champ d’application de la TVA, tel que défini par les dispositions de l’article 256 A du Code général des impôts.
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et enfin, en raison du code de publication de l’arrêt en question au Recueil LEBON.
Le Conseil d’Etat a effectivement choisi de donner à cet arrêt un Code « C » de publication au Recueil LEBON, étant rappelé qu’un tel code de publication permet d’identifier l’importance jurisprudentielle d’une décision et qu’en l’occurrence, la lettre « C » signifie « décision inédite ne présentant pas d’intérêt jurisprudentiel particulier ».
Cependant, une relative prudence s’impose, quand il s’agit du statut fiscal ou social des rémunérations techniques versées à un associé professionnel d’une SEL, pour les raisons évoquées ci-avant.
Il est encore trop tôt pour se prononcer de manière certaine sur la portée de la décision commentée, à savoir s’il s’agit réellement ou non d’un arrêt de « principe » susceptible d’être ultérieurement opposé à tout API de SEL (quelle que soit la profession règlementée) ou, en d’autres termes, s’il peut ou non être analysé comme remettant définitivement en cause la doctrine administrative, assimilant à des salaires les rémunérations techniques versées à des API de SEL.
Avant d’en tirer des conclusions définitives pour les prochaines déclarations fiscales des revenus perçus par des API de SEL, il serait effectivement plus sage d’attendre d’avoir davantage de précisions sur la portée réelle de cet arrêt (qui pourraient provenir soit des Conclusions du Rapporteur public ou encore de commentaires de l’administration fiscale).
Cela étant, il convient désormais d’avoir à l’esprit que l’administration fiscale pourrait , sur le fondement de cet arrêt, être tentée de remettre en cause dans l’avenir les choix déclaratifs opérés par les API de SEL, et plus particulièrement de les priver de la déduction forfaitaire pour frais professionnels de 10 %, bénéficiant uniquement aux rémunérations imposées dans la catégorie des « traitements et salaires » et représentant un enjeu non négligeable pour l’administration fiscale.
Cette décision du Conseil d’Etat pourrait donc ne pas être sans conséquence pour les associés professionnels internes de SEL.
Si, dans l’avenir, la portée de « principe » de l’arrêt en cause était confirmée, elle mettrait fin à la disparité de traitement sur le plan social et fiscal des rémunérations des associés professionnels interne de SEL, qui suscite encore certaines interrogations.
Néanmoins, dans ce cas, cela ferait naître une nouvelle disparité sur le plan fiscal, dont la logique est encore discutable, entre :
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la rémunération versée en contrepartie de l’exercice de fonctions techniques à un associé (gérant ou non) d’une Société Civile professionnelle, assujettie à l’impôt sur les sociétés, ou à un gérant majoritaire associé de SEL, relevant de l’article 62 du CGI, dont le montant imposable est déterminé comme en matière de traitements et salaires, permettant ainsi aux intéressés de bénéficier des mêmes avantages que les salariés, soit de la déduction forfaitaire de 10 % pour frais professionnels sur la rémunération perçue (après défalcation des cotisations sociales TNS y afférentes) ;
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et la même rémunération versée à un associé non gérant d’une SEL, assujettie à l’impôt sur les sociétés, dont le montant imposable serait déterminé et imposé comme un bénéfice non commercial, ne permettant ainsi pas aux intéressés de bénéficier d’une déduction forfaitaire de 10 % pour frais professionnels sur la rémunération perçue (après défalcation des cotisations sociales TNS y afférentes).