A l’heure où les Assises de l’entrepreneuriat touchent à leur fin, les perspectives de recours au financement traditionnel de l’entreprise ne sont guère réjouissantes et les entrepreneurs se tournent vers des modes de financement alternatifs .
Parmi ceux-ci le crowdfunding – ou finance participative – fait des émules
Si ses atouts sont réels , ce modèle soulève aujourd’hui des enjeux réglementaires de taille et impliquent une remise en question des structures de référence que constituent le monopole des activités bancaires et l’offre d’épargne au public.
Hubert de Vauplane, ancien Directeur Juridique et Conformité du Groupe Crédit Agricole et Reid Feldman, tous deux associés au sein du département Banque & Finance de Kramer Levin, mettent aujourd’hui leur connaissance de la règlementation bancaire et financière en France, en Europe et aux Etats-Unis au service des acteurs de ce secteur qu’ils assistent dans leur volonté de faire évoluer un système français – et européen – peu adapté à leur modèle.
L’environnement juridique en France et en Europe n’est pas adapté au développement des activités dites de crowdfunding.
Une première raison évidente tient au fait qu’il s’agit là d’une activité nouvelle et cette pratique s’accommode mal des régulations financières existantes. En outre, et c’est sans doute le point le plus délicat lorsque l’on imagine lui apporter un cadre réglementaire, le crowdfunding est protéiforme. Encore appelé "finance participative" , le crowdfunding est un mode de financement ou d’investissement alternatif au crédit bancaire et à l’investissement en capital-risque ou développement, sur des projets d’innovation et de création, en recourant à l’internet pour collecter des fonds.
Ce mode de financement alternatif a pris, au fil du temps, des formes fort diverses que l’on peut regrouper en trois grandes familles :
-
les plates-formes internet qui proposent à leurs membres de faire des dons aux porteurs de projets ;
-
celles qui proposent des projets dons contre dons ;
-
celles qui permettent le financement des projets par la voie du prêt, avec ou sans intérêts ; et enfin,
-
celles qui autorisent l’investissement direct en capital par les internautes.
Chaque type de financement connaît ses propres contraintes . Ainsi, la problématique du don est bien différente de celle du prêt, et plus encore de celle de la prise de participation en capital.
Doit-on alors prévoir un nouveau statut, généralement applicable à tous les acteurs du marché, tel un statut d' "établissement de financement participatif" dont certains commencent à parler ? Ou alors, ne vaudrait-il pas mieux adapter le corpus législatif et réglementaire existant ?
La réponse n’est pas aisée à apporter car les problèmes sont nombreux et complexes.
Deux difficultés principales sont identifiables : La question du monopole des activités bancaires et celle de l'offre d'épargne au public.
Dans les deux cas, les réglementations existantes, destinées à protéger l'emprunteur ou l'investisseur, brident les initiatives ou obligent les acteurs de la finance participative à recourir à des structurations peu adaptées.
L'offre d'épargne au public
Que ce soit au sein des pays membres de l'Union Européenne ou aux Etats-Unis d'Amérique, l'offre au public de titres est encadrée et ne peut être réalisée sans respecter des conditions strictes. Le législateur américain, favorable au développement du crowdfunding, a, pour sa part, choisi la solution de l'adaptation du corpus réglementaire existant*. Le JOBS Act du 2 avril 2012 a donné un cadre légal au crowdfunding, tout au moins dans sa partie "investissement", en créant une nouvelle exception à l'offre au public fondée sur la somme que chaque investisseur peut engager sans tomber dans la notion d'offre au public, mais aussi en obligeant les plates-formes à s'enregistrer auprès de la SECN°0001-14-6607 - V0.10

Dans l'Union Européenne en revanche, et particulièrement en France, la pratique du crowdfunding ne bénéficie pas encore d'un cadre réglementaire dédié, et elle doit tant bien que mal trouver sa place dans le régime de l'offre au public déterminé par la directive dite Prospectus (2010/73/UE).
Il s'agit alors de savoir jusqu'à quel point les exceptions déjà existantes dans le texte autorisent un développement du crowdfunding.
En schématisant, ne constitue pas une offre au public l'offre dont le montant est inférieur à certains seuils ou qui est placée auprès d'investisseurs qualifiés ou bien dans un cercle restreint de 150 personnes seulement.
En dehors de ces exceptions, le placement de titres doit emprunter la voie de l'offre au public, particulièrement lourde et peu adaptée à la pratique du crowdfunding.
La plupart des plateformes proposant des projets d’investissement dans des entreprises ont adopté le statut de « conseil en Investissement Financier » (CIF) lequel statut est guère adapté à leurs activités.
Outre les aspects liés à la directive Prospectus, se posent aussi les questions relatives au démarchage et au « service de placement ».
Monopole des activités bancaires
Il s'agit ici de l'aspect financement (prêt avec ou sans intérêt).
La question est celle de savoir si ces plateformes peuvent permettre aux internautes de prêter des sommes d’argent en dehors d’un statut bancaire et hors supervision de la Banque de France et de l’ACP.
Plusieurs difficultés existent ici : d’abord, celle relative au à définition du monopole bancaire en ce que ces plateformes sont amenés à « collecter » des sommes d’argent.
Ces plateformes doivent elles alors demander un statut d’établissement de paiement, ou de gestionnaire de monnaie électronique ?
Mais ces plateformes offrent aussi la possibilité à leurs membres de « prêter » des sommes d’argent. C’est ici la question de l’obligation de passer par une banque lorsqu’il s’agit de prêt. Il existe déjà dans le droit français des exceptions à cette obligation, notamment pour les activités de « micro crédit », mais celles-ci sont peu adaptées aux modes d’intervention de ces plateformes.
En dehors de la question du monopole bancaire, ce sont toutes les obligations liées à la surveillance et à la lutte contre le blanchiment d'argent qui là aussi paraissent peu adaptées à l’activité de ces acteurs nouveaux.
Si la pratique du don, qui semble échapper au premier abord aux problématiques énoncées ci-dessus - puisqu'en tant que geste libéral et gratuit, reste libre – elle peut susciter des interrogations quant à sa nature et son encadrement à partir du moment où il fait l’objet d’un « contre don ».
Les questions sont nombreuses et ces incertitudes freinent l’apparition de nouveaux acteurs. Les Assises de l’entreprenariat devraient formuler dans les prochains jours des recommandations mais il est probable que celles- ci restent en deçà des espérances des plateformes de finance participative. Le gouvernement a annoncé de son côté des initiatives, la Commission européenne s’est saisie du sujet, la SEC doit prochainement publier les textes d’application du JOBS Act : le momuntum est favorable aux propositions de réforme.
Dans cette attente, l’AMF et l’ACP ont annoncé publier prochainement un communiqué de presse commun indiquant les limites dans lesquelles ces activités doivent s’exercer en France.