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Établissement stable et activité occulte dans le secteur du numérique : le Conseil d'État réaffirme son approche dans l'affaire Conversant

La haute juridiction administrative se prononce à nouveau sur le cas de la société Conversant (anciennement Valueclick ) qui illustre les défis fiscaux posés par l'économie numérique.  Elle confirme sa jurisprudence antérieure concernant la notion d'établissement stable adaptée à l'économie numérique et valide la caractérisation d'activité occulte justifiant une extension du délai de reprise et l'application de pénalités majorées.

 

En matière d'impôt sur les sociétés, la Convention franco-irlandaise du 21 mars 1968 prévoit en son article 4 la taxation dans l'État où se trouve un établissement stable des bénéfices qu'il aurait pu réaliser

s'il avait constitué une entreprise distincte et séparée exerçant des activités identiques ou analogues dans des conditions identiques ou analogues et traitant en toute indépendance avec l'entreprise dont il constitue un établissement stable.

 

S'agissant de la TVA, deux régimes successifs s'appliquent au litige :

  • Jusqu'au 31 décembre 2009, l'article 259 du CGI réputait situer le lieu des prestations de services en France lorsque le prestataire y avait le siège de son activité ou un établissement stable à partir duquel le service était rendu.
  • À partir du 1er janvier 2010, conformément à la directive 2006/112/CE modifiée, le lieu des prestations de services entre assujettis était situé en France lorsque le preneur y avait le siège de son activité ou un établissement stable auquel les services étaient fournis.

Par ailleurs, le litige met en jeu les dispositions relatives au délai de reprise et aux pénalités :

  • Les articles L. 169 et L. 176 du LPF permettent à l'administration d'exercer son droit de reprise jusqu'à la fin de la dixième année (au lieu de la troisième) en cas d'activité occulte.
  • L'article 1728 du CGI prévoit une majoration de 80% des droits en cas de découverte d'une activité occulte.

L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite.

 

Rappel des faits :

La société Valueclick devenue Conversant, dont le siège social est en Irlande, exerce une activité de marketing digital, notamment en Europe. En France, elle opère par l'intermédiaire de sa filiale, la SARL Valueclick France, en exécution d'un contrat de prestation de services conclu le 1er juillet 2008.

À la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a estimé que la société irlandaise exerçait une activité imposable en France par l'intermédiaire d'un établissement stable constitué par sa filiale française. Elle a donc assujetti la société irlandaise à l'impôt sur les sociétés au titre des années 2009 à 2011 et à la TVA pour la période d'avril 2008 à novembre 2012.

Après plusieurs recours, l'affaire s'est retrouvée devant le Conseil d'État pour la première fois, qui, par une décision du 11 décembre 2020, a annulé l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Paris et renvoyé l'affaire devant cette même cour. Cette dernière a rendu un nouvel arrêt le 8 décembre 2021, déchargeant partiellement la société de certaines impositions et pénalités.

 

Deux pourvois ont été formés contre cet arrêt : l'un par le ministre contestant la décharge partielle, l'autre par la société Conversant demandant l'annulation du surplus des impositions maintenues.

 

La société Conversant soutient principalement :

  • Qu'elle ne disposait pas d'un établissement stable en France;
  • Que le taux de charges de 80% retenu par l'administration était sous-estimé;
  • Que les principes de neutralité et d'effectivité de la TVA ont été méconnus, ses clients français ayant déjà acquitté cette taxe.

Le ministre, de son côté, conteste principalement la qualification donnée par la cour administrative d'appel à l'activité de la société. Il soutient que celle-ci doit être considérée comme occulte, permettant l'application du délai de reprise de dix ans et des pénalités de 80%.

 

Concernant le pourvoi de la société, le Conseil d'État rejette l'ensemble des moyens :

 

S'agissant du bien-fondé de l'impôt, il juge que :

  • La méthode suivie par l'administration pour reconstituer les résultats de la société ne méconnaît pas les stipulations de la convention franco-irlandaise;
    • Dans le cadre d'une taxation d'office, il appartient à la société de prouver le caractère exagéré des impositions, et non à l'administration de justifier le taux de charges retenu;
    • La société n'apporte pas d'éléments probants spécifiques à son activité propre permettant d'évaluer les charges qu'elle a effectivement supportées.

Concernant la TVA, il rappelle que l'autorité de la chose jugée par sa première décision du 11 décembre 2020 s'imposait à la cour. Celle-ci avait déjà jugé que la société irlandaise disposait bien d'un établissement stable en France, caractérisé par des moyens humains et techniques rendant possible, de manière autonome, la fourniture des prestations de services.

 

Sur le pourvoi du ministre, le Conseil d'État l'accueille :

 

Il considère que la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits en jugeant que la société ne pouvait être regardée comme ayant exercé une activité occulte. Il rappelle que sa décision du 11 décembre 2020 s'était bornée à éclairer l'application au cas d'espèce de critères jurisprudentiels préexistants relatifs à l'établissement stable. De plus, il constate que le niveau d'imposition était substantiellement inférieur en Irlande par rapport à la France, ce qui constitue un élément d'appréciation dans la qualification d'activité occulte.

En conséquence, réglant l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée, le Conseil d'État rejette l'ensemble des moyens de la société et valide l'application du délai de reprise de dix ans ainsi que des pénalités de 80%.

 

TL;DR

  • Sur la notion d'établissement stable adaptée à l'économie numérique : Le Conseil d'État confirme sa jurisprudence antérieure en précisant que les critères permettant de caractériser un établissement stable n'ont pas été modifiés pour s'adapter spécifiquement à l'économie numérique, mais ont simplement été appliqués à ce nouveau contexte.
  • Sur la caractérisation de l'activité occulte : Le Conseil d'État indique qu'il faut tenir compte "de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment du niveau d'imposition dans cet autre État et des modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux États." Le différentiel de taux d'imposition entre la France et l'Irlande joue ici un rôle déterminant dans la qualification d'activité occulte.

Publié le lundi 7 avril 2025 par La rédaction

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