Le régime fiscal du report d’imposition des plus-values d’apport de titres à une société contrôlée par l’apporteur

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Entretien avec Pierre-Antoine Bachellerie du 7 septembre 2015

 

Contexte : Bercy a le 2 juillet dernier soumis à consultation publique ses commentaires portant sur le régime du report d’imposition applicable aux plus-values d’apport de titres à une société contrôlée par l’apporteur. Issu de l’article 18 de la troisième LFR pour 2012 et codifié sous l’article 150-0 B ter du CGI, ce dispositif qui, s’applique aux opérations d’apport réalisées depuis le 14 novembre 2012 a instauré un mécanisme de report d’imposition obligatoire des plus- values réalisées par les particuliers lors de l’apport de leur titres à une société qu’ils contrôlent, toutes conditions remplies.

 

Rappelons que ce dispositif voulu par le gouvernement a mis un terme au schéma d’optimisation dit « d’apport-cession » en excluant du sursis d’imposition les plus-values d’apports de titres effectués à des sociétés contrôlées par l’apporteur. La période de consultation publique a pris fin le 24 juillet dernier. Même si ce projet de commentaires est susceptible d’être révisé à l’issue de la consultation, nous avons demandé à M°Pierre-Antoine Bachellerie, avocat associé du cabinet FTPA (Département fiscal), de faire le point avec nous sur ce « nouveau » régime de report dont les commentaires étaient attendus par les professionnels.

 

Fiscalonline : Bonjour Me Pierre-Antoine Bachellerie. Pouvez-vous vous présenter ?

Pierre-Antoine Bachellerie : Je suis avocat associé du département fiscal du cabinet FTPA. J’accompagne les entreprises françaises et internationales sur leurs problématiques de fiscalité, et en particulier dans la gestion de leurs opérations de fusions-acquisitions, de restructurations et de financement. Je conseille également les dirigeants sur leurs problématiques patrimoniales.

Fiscalonline : Pouvez-vous nous rappeler les grandes lignes de ce dispositif anti-abus en matière de cession d’entreprise ?

Pierre-Antoine Bachellerie : Ce dispositif s’applique aux apports réalisés depuis le 14 novembre 2012. En substance, les plus-values réalisées à l’occasion de l’apport de titres à une société soumise à l’IS contrôlée par l’apporteur bénéficient, de plein droit, d’un report d’imposition dès lors que l’apport est effectué à une société de capitaux soumise à l’IS et établie en France ou dans un autre État membre de l’UE ou dans un État ou territoire ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales.

Ce report est remis en cause en cas de cession, rachat, remboursement ou annulation :

  • des titres reçus en contrepartie de l’apport ; et

  • des titres apportés dans un délai de 3 ans suivant l’apport, sauf si la société bénéficiaire de l’apport réinvestit au moins 50% du produit de la cession dans un délai de 2 ans à compter de la cession.

Il existe 3 types de réinvestissements éligibles :

  • le financement d’une activité économique, à l’exception de la gestion d’un patrimoine mobilier ou immobilier ;

  • l’acquisition d’une fraction du capital d’une société exerçant une telle activité (sous la même exception), et qui a pour effet de lui en conférer le contrôle ; et

  • la souscription en numéraire au capital d’une ou plusieurs sociétés soumise à l’IS dans les conditions de droit commun ou à un impôt équivalent, ayant son siège social en France, dans un autre État membre de l’UE, en Islande, en Norvège ou au Liechtenstein et qui a pour objet d’exercer une activité économique (à l’exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier) ou qui a pour objet social exclusif de détenir des participations dans des sociétés exerçant les activités précitées.

Fiscalonline : Vous indiquez que ce mécanisme de report d’imposition prévoit dans certaines situations une obligation de réinvestissement « dans le financement d’une activité économique ». Que signifie cette notion de « financement d’une activité éligible » pour l’administration fiscale ?

Pierre-Antoine Bachellerie : Plus précisément, il s’agit du financement d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière. S’agissant de cette notion de financement, l’administration a notamment précisé dans son projet d’instruction que « le financement d’une activité éligible (…) s’entend de l’acquisition par la société qui effectue le réinvestissement de moyens permanents affectés à sa propre exploitation ».

Selon l’administration, cette condition est également satisfaite lorsque la société qui exerce une activité économique remploie le produit de la cession des titres concernés (au moins 50 %) dans l’acquisition de biens mobiliers nécessaires à l’activité éligible.

En revanche, cette condition n’est pas satisfaite lorsque la société acquiert un actif qu’elle immobilise mais qu’elle affecte à un emploi étranger aux besoins de son exploitation (par exemple, en le mettant à la disposition de ses associés).

L’administration précise que sont exclues du champ des activités éligibles au remploi les activités de nature civile ou de gestion patrimoniale (notamment gestion de patrimoine immobilier ou gestion de portefeuille de valeurs mobilières). A cet égard, sont notamment exclus les FCPR ainsi que les opérations de location immobilière (nues et meublées). Sur ce dernier point, il est regrettable que les parts de FCPR soient exclues, alors qu’elles figuraient parmi les réinvestissements économiques éligibles qui permettaient d’écarter l’abus de droit dans le cadre de la jurisprudence rendue en matière d’apports-cessions.

Fiscalonline : Les précisions apportées par l’administration, s’agissant de cette notion, permettent-elles de répondre aux interrogations induites par le texte de loi ?

Pierre-Antoine Bachellerie : Le projet d’instruction permet de clarifier utilement cette notion, même si la notion de financement gagnerait à être étendue en visant de manière générale l’ensemble des dépenses nécessaires à l’exploitation, en ce compris le financement du fonds de roulement ou le remboursement de dettes existantes.

En outre, il reste encore des zones de flou. En particulier, les commentaires du projet d’instruction relatifs aux avances en compte-courants mériteraient d’être explicités. L’administration indique en effet que « la condition tenant au financement d’une activité éligible n’est pas remplie lorsque la société remploie le produit de la cession par des apports en compte courant (renforcement de la trésorerie) sauf à ce que le compte courant ait permis l’acquisition d’actifs nécessaires à son activité sans qu’il n’y ait eu de recours à l’emprunt ». Or, il est évident qu’une avance en compte-courant ne saurait permettre à l’associé qui la consent d’acquérir des actifs nécessaires à son activité. Il faut donc que l’administration clarifie ce qu’elle a voulu dire dans la version définitive de l’instruction.

Fiscalonline : En cas de cession des titres apportés dans les trois ans suivant l’apport, le holding dispose de deux ans pour réinvestir 50% du produit de cession dans certaines activités, sous peine de perte du report d’imposition. L’administration précise dans ses commentaires que ce réinvestissement « doit être effectué dans une perspective de long terme. A cet égard, cette condition est présumée satisfaite lorsque les biens ou les titres objet du réinvestissement sont conservés pendant au moins 24 mois ». L’administration n’ajoute-t-elle pas une condition de durée de conservation ?

Pierre-Antoine Bachellerie : Tout à fait. La lettre du texte légal impose uniquement des conditions relatives à la nature du réinvestissement. Il n’introduit aucune condition tenant au délai durant lequel les sommes doivent demeurées réinvesties.

S’il est légitime qu’elle cherche à se prémunir contre des réinvestissements dépourvus de caractère pérenne et opérés dans le seul but de faire obstacle à la remise en cause du report d’imposition, l’administration, en adoptant une solution aussi stricte, semble ajouter une condition au texte.

Il conviendrait à tout le moins que l’administration assouplisse cette condition, par exemple en prévoyant que la durée du délai minimal d’investissement soit réduite (un délai entre 12 et 18 mois paraîtrait plus raisonnable). Elle pourrait également envisager des cas de débouclages à bref délai qui ne constitueraient pas une rupture anticipée du délai minimal d’investissement (par exemple, en cas de sortie forcée en application d’un pacte d’actionnaires).

Fiscalonline : Le réinvestissement peut également être considéré comme réalisé en cas de souscription en numéraire au capital initial ou à une augmentation de capital d’une ou plusieurs sociétés. Dans ce cas, est-il possible d’investir dans une société holding animatrice ?Pierre-Antoine Bachellerie : Pour ce cas particulier de réinvestissement, les commentaires de l’administration renvoient à la doctrine administrative commentant l’article 150-0 D ter du CGI (plus-values de cession réalisées par des dirigeants partant à la retraite). Or, cette doctrine précise que sont visées les sociétés holding animatrices de leur groupe.

Il devrait résulter de ces renvois que les holdings animatrices entrent dans le champ de ce type de réinvestissements (étant précisé que, en application de ces renvois, seules sont visées a priori les sociétés déployant une activité éligible depuis au moins 5 ans).

Il s’agit là d’une différence notable avec le réinvestissement via l’acquisition d’une fraction du capital d’une société exerçant une activité économique éligible ayant pour effet de conférer à la société qui acquiert les titres le contrôle de la société émettrice.

En effet, pour les besoins de ce type de réinvestissement, selon le projet d’instruction, l’ensemble des sociétés holdings, en ce compris les holdings animatrices, sont exclues. On voit mal les motifs à l’origine d’une telle différence de traitement et il serait souhaitable que l’administration étende la notion d’activité éligible aux sociétés holdings animatrices dans la version définitive de l’instruction.

Fiscalonline : Lorsqu’un apport de titres a bénéficié du régime de report d’imposition, le nouvel apport des titres du holding à une autre société est neutre sous réserve que ce dernier entre dans le champ du report d’imposition (art 150-0 B ter du CGI) ou du sursis d’imposition (art 150-0 B du CGI). Les opérations de LBO successives sont donc couvertes sans limites ?

Pierre-Antoine Bachellerie : Non, ce n’est pas le cas.

L’administration précise que, dans le cas où les titres reçus en rémunération de l’apport initial font eux-mêmes l’objet d’un apport entrant dans le champ d’application du dispositif prévu à l’article 150-0 B ter du CGI, l’imposition de la nouvelle plus-value d’apport est reportée dans les mêmes conditions. De même, lorsque les titres grevés d’une plus-value en report font l’objet d’un nouvel apport / échange dans le champ de l’article 150-0 B du CGI, l’administration considère que le report d’imposition est prorogé de plein droit et que la nouvelle plus-value d’apport est placée en sursis (ce qui ne ressort pas très clairement de la lettre du texte).

En revanche, la réalisation d’une troisième opération d’apport ou d’échange, bien que relevant des articles 150-0 B ou 150-0 B ter du CGI, entraîne l’expiration du report.

On pourrait souhaiter que l’administration, sur ce point, assouplisse les dispositions du texte légal et accepte le maintien du report en cas d’échanges ultérieurs, quel que soit le nombre.

Fiscalonline : Quid du report d’imposition lorsque la société émettrice des titres apportés est absorbée par la société bénéficiaire de l’apport ?

Pierre-Antoine Bachellerie : La doctrine administrative précise que le report d’imposition est maintenu. Il s’agit là d’une précision utile qui pourra faciliter les opérations de restructuration, notamment celles visant à la simplification des structures de détention.

Fiscalonline : En principe, le report prend fin en cas de cession à titre onéreux, de rachat, de remboursement ou d’annulation des titres reçus en rémunération de l’apport. Qu’est-ce que l’administration entend par « cession » des titres reçus en rémunération de l’apport ?Pierre-Antoine Bachellerie : L’administration retient une définition large et indique que par « cession à titre onéreux », il y a lieu d’entendre toutes les transmissions qui comportent une contrepartie en faveur du cédant, c’est-à-dire notamment les ventes proprement dites, les échanges et les apports en société.

Fiscalonline : Selon vous, ce dispositif présente-t-il encore des zones d’ombres qui mériteraient des éclaircissements ?

Pierre-Antoine Bachellerie : Oui. On peut notamment relever les points suivants.

Une incohérence du texte légal pour commencer , relative au troisième mode de réinvestissement (à savoir le cas de la souscription au capital d’une société). Par renvoi de l’article 150-0 B ter à l’article 150-0 D ter du CGI, la condition tenant à l’activité de la société bénéficiant du réinvestissement doit être appréciée au cours des 5 dernières années. Or, ce troisième mode de réinvestissement vise notamment « la souscription en numéraire au capital initial ». Il serait donc opportun que l’instruction définitive précise que cette condition de 5 ans n’a en fait pas vocation à s’appliquer.

S’agissant des délais de réinvestissement, on peut regretter que les commentaires de l’administration n’évoquent pas le cas du contribuable qui, malgré ses meilleurs efforts, ne serait pas parvenu dans le délai de 2 ans à procéder au réinvestissement nécessaire (par exemple en cas d’échec de négociations avancées). Dans cette hypothèse, dès lors qu’il serait en mesure de justifier des diligences réalisées, il serait souhaitable que le report d’imposition ne soit pas remis en cause.

En outre , lorsqu’une fraction du produit de cession n’a pas été acquittée immédiatement, il pourrait être opportun de proroger le délai de réinvestissement pour cette fraction. Dans cette hypothèse très courante en pratique, la holding ne peut en effet procéder au réinvestissement en l’absence de liquidités susceptibles d’être remployées.

S’agissant de la notion de « cession » des titres apportés , l’administration considère qu’elle vise également les « rachats ». Elle ne vise toutefois pas expressément les annulations ou remboursements, ce qu’il conviendrait de préciser dans la version définitive de l’instruction.

S’agissant du cas de la donation des titres reçus en contrepartie d’un apport dans le champ de l’article 150-0 B ter du CGI, l’administration n’a pas, à ce stade, tenu compte de la décision 2012-661 DC du Conseil constitutionnel. En application de cette décision, les dispositions du II de l’article 150-0 B ter du CGI (et en particulier les dispositions du 1°) mettant à la charge du donataire l’impôt relatif à la plus-value placée en report suite à un apport de titres du donateur pourraient être regardées comme non conformes à la Constitution.

S’agissant des apports soumis à l’article 150-0 B ter du CGI de titres grevés d’une plus-value placée en report d’imposition notamment en application des articles 92 B et 160 I ter du CGI, l’administration considère que cet apport a pour effet d’emporter l’expiration du report d’imposition concerné, ce qui semble être une solution critiquable.

 

 

Propos recueillis par ©2015 fiscalonline.com

Entretien avec Pierre-Antoine Bachellerie du 7 septembre 2015