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Contrôle et contentieux

Responsabilité de l'avocat fiscaliste : quand le paiement de l'impôt ne constitue pas un préjudice indemnisable

Précisions du juge de l'impôt sur l'étendue de la responsabilité des avocats fiscalistes en matière de conseil, particulièrement lorsqu'un montage est requalifié en abus de droit. Cette décision, bien que confirmant la faute de l'avocat, vient limiter l'indemnisation du contribuable, clarifiant ainsi la notion de préjudice en cas de remise en cause d'un sursis d'imposition.

 

Pour mémoire, l'article L. 64 LPF permet à l'administration fiscale de restituer son véritable caractère à l'opération qui, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, a pour but essentiel d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé aurait normalement supportées.

 

Par ailleurs, l’article 150-0 B du CGI prévoit que les dispositions de l’article 150-0 A du CGI (régime d’imposition des plus-values mobilières) ne sont pas applicables aux plus-values d’échange réalisées dans le cadre d’une opération d’offre publique, de fusion, de scission, d’absorption d’un fonds commun de placement par une société d’investissement à capital variable, de conversion, de division, ou de regroupement, réalisée conformément à la réglementation en vigueur ou d’un apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés, lorsque le montant de la soulte reçue par le contribuable n’excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus.

 

En d’autres termes, ces dispositions instituent un sursis d’imposition qui conduit à traiter de plein droit l’opération d’échange de titres comme une opération intercalaire qui, au titre de l’année d’échange, n’est pas retenue pour l’établissement de l’impôt sur le revenu. Toutefois, ces dispositions n’ont pas pour objet d’exonérer définitivement la plus-value d’échange puisque notamment lors de la cession ultérieure des titres reçus en échange, le gain net est calculé à partir du prix ou de la valeur d’acquisition des titres remis à l’échange.

 

Enfin rappelons que la jurisprudence de la Cour de cassation établit de longue date l'obligation de conseil et de prudence qui pèse sur l'avocat. Ce devoir implique d'informer le client des risques juridiques et fiscaux d'une opération, y compris des incertitudes du droit positif et de l'évolution prévisible de la jurisprudence ou de la doctrine administrative. 

 

Rappel des faits :

L'affaire concerne initialement un montage mis en place en 2008 pour M. V. Sur les conseils de son avocat, M. E, il a procédé à une série d'opérations d'apport de titres, notamment à une société belge, dans le but de bénéficier du sursis d'imposition prévu à l'article 150-0 B du CGI. Le montage comportait un apport initial à une société FM, suivi d'un apport à une société de droit belge, HL, et d'opérations ultérieures impliquant une SCI et un rachat d'actions.

En 2011, l'administration fiscale a notifié à M. V. une proposition de rectification, fondée sur l'abus de droit (Art. L. 64 LPF), remettant en cause le bénéfice du sursis d'imposition et entraînant un redressement fiscal conséquent de près de 14 M€, assorti d'une majoration de 80 %. Malgré le désistement de son recours gracieux suite à un accord avec l'administration (réduisant les pénalités), M. V. a assigné son avocat et son cabinet, ainsi que leurs assureurs, en responsabilité et indemnisation pour manquement à leur devoir de conseil.

La Cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 5 avril 2023, avait condamné l'avocat et ses assureurs à payer à M. V. une somme de 9 214 300 € à titre de dommages et intérêts, retenant un manquement de conseil. Des pourvois en cassation ont été formés par toutes les parties, les avocats et leurs assureurs contestant la faute retenue et le montant du préjudice, tandis que les assureurs contestaient également la portée de leur garantie.


 

S'agissant de la faute de l'avocat :

La Cour de cassation vient de rejetter les pourvois des avocats et assureurs sur la question de la faute. Elle rappelle le devoir de conseil et de prudence de l'avocat, qui doit alerter son client sur les incertitudes du droit positif et les risques.

 

Elle approuve la cour d'appel qui a constaté que l'avocat, en 2008, avait conclu de manière "péremptoire et peu étayée" à l'absence de risque, se fondant uniquement sur les avis du CCRAD de 2005. Ces avis, s'ils excluaient l'abus de droit pour le sursis d'imposition en raison de son caractère automatique, n'étaient pas les seules sources d'information pertinentes. La Cour de cassation souligne que dès 2007 et 2008, certaines juridictions administratives avaient admis l'application de l'abus de droit au sursis d'imposition.

 

Plus important encore, la cour d'appel a relevé qu'en 2011, alors que l'avocat était toujours en charge des déclarations, il n'avait pas attiré l'attention de son client sur la nécessité de réinvestir le prix de cession, et ce malgré un arrêt du Conseil d'État d'octobre 2010 appliquant l'abus de droit au report d'imposition, solution que la cour d'appel a jugée transposable au sursis d'imposition en raison de leurs effets similaires. La Cour de cassation valide cette analyse de la cour d'appel, considérant que l'avocat avait manqué à ses devoirs au regard de l'état du droit à l'époque de ses interventions.

 

Concernant le préjudice indemnisable :

C'est sur ce point que la Cour opère une cassation partielle et que l'arrêt présente un intérêt.

 

Les assureurs de l'avocat soutenaient que le préjudice ne pouvait correspondre au paiement du principal de l'impôt, dès lors que le sursis d'imposition n'a pas pour effet d'exonérer le contribuable de l'impôt légalement dû, mais seulement d'en différer le paiement. La Cour de cassation leur donne raison.

 

Elle énonce un principe fondamental :

« aucun préjudice ne peut découler du paiement de l'impôt auquel un contribuable est légalement tenu ».

Par conséquent, la réparation liée à un redressement fiscal est en principe limitée aux majorations et pénalités. Une exception est admise si l'avocat dûment informé ou conseillé aurait permis au contribuable soit de ne pas être exposé du tout au paiement de l'impôt, soit d'acquitter un impôt moindre.

 

Au cas particulier, le sursis d'imposition ne faisait que différer le paiement de l'impôt, il ne s'agissait pas d'une exonération. Dès lors, le paiement du principal de l'impôt ne constitue pas un préjudice en soi.

 

La Cour précise que la perte de chance résultant de la remise en cause du bénéfice du sursis d'imposition ne peut correspondre à un pourcentage du principal de l'impôt dû. Elle doit être mesurée

Au regard du montant prévisible de l'impôt qui aurait été dû en fin de mesure » et surtout, « en considération des pénalités et majorations à la charge du contribuable et uniquement en considération de celles-ci lorsque les circonstances rendent impossible la reconstitution fictive de l'avantage fiscal perdu ».

 

En l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à retenir que la remise en cause du sursis avait eu pour effet de soumettre l'opération à l'imposition due en 2008, entraînant une "perte de chance de bénéficier de ce dispositif et d'échapper à l'impôt".

 

Cette motivation est jugée insuffisante et contraire aux principes rappelés par la Cour de cassation, qui a cassé l'arrêt sur ce point.

 

Il appartiendra à la cour de renvoi de déterminer le préjudice en tenant compte du montant prévisible de l'impôt qui aurait été dû en fin de sursis, et surtout des pénalités et majorations, excluant le principal de l'impôt de l'assiette du préjudice indemnisable.


 

 

Un contribuable ne peut se prévaloir d'un préjudice pour le simple fait d'avoir payé l'impôt qu'il devait légalement, même si ce paiement intervient plus tôt que prévu ou de manière moins optimisée. 

La décision renforce l'idée que le préjudice réparable doit être directement lié à la faute du professionnel et correspondre à une perte d'avantage fiscal légitime ou à un coût supplémentaire (pénalités, majorations) non dû en l'absence de faute. Ici, le sursis d'imposition ne créait pas une non-imposition, mais un différé. La perte de cet avantage est donc l'imposition anticipée et les pénalités, mais pas l'impôt en lui-même.

 

 

Publié le vendredi 27 juin 2025 par La rédaction

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