Dans trois affaires mettant en jeu une cession d'actions à un prix symbolique de 1€ soumises à son avis, le comité de l'abus de droit fiscal (CADF) est allé à l'encontre de la position de l'administration fiscale estimant que, malgré le prix dérisoire, l'administration n'avait pas réussi à prouver l'intention libérale du cédant, élément indispensable pour requalifier l'acte en donation déguisée.
Rappel du montage mis en place
M. X, initialement beau-père de M. A, était entré au capital de la SAS Y en 2000 en souscrivant 50 304 actions représentant 33,33% du capital lors d'une augmentation de capital. Cette société éditait un magazine mensuel sur le rugby et détenait un patrimoine immobilier conséquent d'1M€ à Courbevoie. Après le divorce de M. A avec sa fille en 2003, M. X a cédé en décembre 2014 l'intégralité de sa participation à M. A pour le prix symbolique d'un euro. Cette cession est intervenue dans un contexte où M. A bénéficiait déjà gratuitement de l'usage de l'un des appartements détenus par la société jusqu'en 2019. M. X est décèdé moins de deux ans plus tard.
Les reproches de l'administration fiscale
L'administration fiscale a requalifié cette cession en donation déguisée, en se fondant sur plusieurs points :
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Un prix fictif : La valeur des actions cédées a été estimée à 1 115 994 €, rendant le prix de 1 € totalement symbolique et sans rapport avec la valeur réelle.
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Un avantage injustifié : Elle considère que cette cession à vil prix constitue une libéralité dissimulée au profit de M. A. L'administration invoque l'absence de contrepartie réelle et présume l'intention libérale du fait du maintien des liens familiaux entre M. X et M. A, ce dernier demeurant le père des petits-enfants de M. X malgré le divorce.
Mise en œuvre de l'abus de droit : L'administration a engagé la procédure de l'abus de droit fiscal, appliquant les droits de mutation à titre gratuit au taux de 60 % (entre non-parents) assortis d'une majoration de 80 %, réclamant solidairement plus de 1,3 M€ au donataire (M. A) et aux héritiers du donateur (son ex-épouse et sa veuve).
La position du Comité de l'abus de droit fiscal (Affaires n° 2024-32 M. A, n° 2024-33 Mme XA, n° 2024-34 Mme XB)
Le Comité a désavoué l'administration. Il a estimé que l'intention libérale, condition essentielle pour caractériser une donation, n'était pas établie.
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Absence d'intention libérale : Le Comité a été convaincu par les arguments de M. A. M. X, très investi dans le monde du rugby, souhaitait se désengager de la société en raison de désaccords sur la ligne éditoriale du magazine (La ligne éditoriale du magazine choisie par M. A risquait de compromettre ces relations professionnelles avec les instances sportives) et pour mettre fin à des relations professionnelles conflictuelles avec son ex-gendre dans une société structurellement déficitaire.
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Une contrepartie non financière : La cession visait à mettre un terme à un différend professionnel et à préserver la réputation de M. X dans le milieu sportif. Cette motivation a été jugée comme une contrepartie suffisante pour écarter l'intention de donner.
L'absence de relations familiales normalisées après le divorce et les pertes récurrentes de la société constituent, pour le CADF, des éléments objectifs justifiant la cession à prix symbolique.
Conclusion : Le comité a conclu que l'administration n'établissait pas suffisamment l'intention libérale, les motivations professionnelles et familiales prenant le pas sur une présumée générosité.
Il a donc jugé que l'administration n'était pas fondée à mettre en œuvre la procédure de l'abus de droit fiscal et a donc donné un avis défavorable à la requalification, que l'administration refuse de suivre en invoquant l'arrêt de la Cour de cassation du 7 juillet 2021.