Quand le juge de l'impôt traite des modalités de représentation d'une SNC après sa radiation et des conséquences de l'irrégularité de la procédure d'imposition engagée à son encontre sur l'imposition de ses associés. Cette décision, qui s'inscrit dans un contentieux relatif à l'imposition d'une plus-value immobilière, rappelle les règles strictes de représentation des sociétés dissoutes et souligne la vigilance dont doit faire preuve l'administration fiscale lorsqu'elle engage une procédure de contrôle après radiation de la société du RCS.
La question centrale posée au tribunal concernait les modalités de représentation d'une SNC après sa radiation du RCS et les conséquences d'une irrégularité procédurale sur l'imposition des associés.
Le cadre juridique de cette affaire est fixé par plusieurs dispositions :
- L'article 1844-8 du code civil, qui précise que la dissolution entraîne la liquidation de la société et que la personnalité morale subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu'à la publication de la clôture de celle-ci.
- Les articles L. 237-2 et R. 237-9 du code de commerce, qui régissent respectivement la subsistance de la personnalité morale pendant la liquidation et la radiation du registre du commerce et des sociétés.
- En matière fiscale, le régime de translucidité fiscale applicable aux sociétés de personnes (dont les SNC) résulte des articles 8 et suivants du CGI, qui prévoient que les bénéfices des SNC sont imposés entre les mains des associés, proportionnellement à leurs droits.
- Les règles de procédure fiscale, notamment l'obligation d'adresser les propositions de rectification à une personne ayant qualité pour représenter la société.
Rappel des faits :
La SNC F, immatriculée à Saint-Denis de La Réunion, a fait l'objet d'un contrôle sur pièces de ses déclarations fiscales. Cette société n'avait pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux et relevait donc du régime fiscal des sociétés de personnes. La chronologie des faits est la suivante :
- Le 4 septembre 2017 : dissolution anticipée de la SNC F par décision de l'AGE des associés, avec nomination de M. A C, gérant de la société, comme liquidateur.
- Le 6 décembre 2018 : clôture définitive de la liquidation prononcée par l'AGO des associés, avec décharge du mandat du liquidateur. M. A C ne conserve qu'une délégation de pouvoir limitée à l'accomplissement des formalités de publicité afférentes à la clôture de la liquidation.
- Le 14 janvier 2020 : radiation effective de la société du RCS
- Les 25 et 31 mai 2021 : envoi par l'administration fiscale de deux propositions de rectification adressées respectivement à "SNC F, par son liquidateur M. E" et à "M. C A pour la SNC Société Les Filaos, société en liquidation".
Suite à ces rectifications concernant la SNC, Mme D, associée détenant 25% des parts en NP et domiciliée en Suisse, a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, ainsi qu'à des pénalités au titre de l'année 2017. Après le rejet implicite de sa réclamation datée du 29 août 2022, Mme D a saisi le TA de Montreuil pour demander la décharge de ces impositions.
Mme D soulevait plusieurs moyens pour contester les impositions mises à sa charge :
- Sur la forme, elle a invoqué l'irrégularité de la procédure suivie à l'encontre de la SNC F, en soutenant que les propositions de rectification des 25 et 31 mai 2021 n'avaient pas été adressées à un destinataire pouvant valablement représenter la société. Par conséquent, la proposition de rectification qui lui a été adressée personnellement, et qui tirait les conséquences des rectifications apportées à la société, était également entachée d'irrégularité.
- Sur le fond, elle a contesté la qualification de la plus-value en litige, soutenant qu'en application des dispositions du II de l'article 238 bis K du CGI, celle-ci relevait du régime des plus-values immobilières des particuliers (Art.150 U et s du CGI) et non du régime des plus-values professionnelles.
Le tribunal administratif de Montreuil a accueilli la requête de Mme D en se fondant uniquement sur le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'imposition.
Dans son raisonnement, le tribunal rappelle d'abord le cadre juridique relatif à la dissolution et à la liquidation des sociétés commerciales. Il précise que la personnalité morale d'une société dissoute subsiste uniquement pour les besoins de la liquidation, jusqu'à la publication de la clôture de cette dernière.
Le tribunal énonce ensuite une règle claire concernant la représentation d'une société après la clôture de sa liquidation et sa radiation :
Jusqu'à la date d'enregistrement de la clôture de la liquidation au RCS, le liquidateur a qualité pour représenter la société.
En revanche, après cette date, sauf décision des associés prolongeant expressément le mandat du liquidateur, "seul un mandataire spécialement désigné par la juridiction judiciaire, à la demande de l'administration ou des anciens associés de la société, dispose de la qualité de représentant de cette société".
En l'espèce, le tribunal constate que :
- La SNC F a été dissoute le 4 septembre 2017
- La clôture de la liquidation a été prononcée le 6 décembre 2018, avec décharge du liquidateur de son mandat
- La société a été radiée du RCS le 14 janvier 2020
- Les propositions de rectification ont été adressées les 25 et 31 mai 2021, soit plus d'un an après la radiation
Or, l'administration n'a pas demandé la désignation d'un mandataire spécial par la juridiction judiciaire pour représenter la société pendant les opérations de contrôle. Par conséquent, les propositions de rectification n'ont pas été adressées à un destinataire ayant qualité pour représenter la société, ce qui entache d'irrégularité la procédure suivie à l'encontre de la SNC F.
Cette irrégularité affectant la procédure d'imposition de la société se répercute nécessairement sur la procédure d'imposition suivie à l'encontre de Mme D en sa qualité d'associée, puisque les impositions mises à sa charge découlaient directement des rectifications apportées à la société.
Le tribunal prononce donc la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles Mme D a été assujettie au titre de l'année 2017, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens qu'elle avait soulevés.
TL;DR
Règles de représentation d'une société après sa radiation du RCS :
- L'administration fiscale ne peut pas se contenter d'adresser les actes de procédure à l'ancien liquidateur ou à l'ancien gérant d'une société radiée, mais doit solliciter la désignation d'un mandataire spécial par la juridiction judiciaire.