Le juge de l'impôt apporte son eclairage en matière de qualification des revenus distribués en présence de recettes dissimulées ayant fait l'objet d'un rappel de TVA. En distinguant selon le régime de déduction applicable à ce rappel, il précise le périmètre des sommes susceptibles d'être imposées comme revenus distribués sur le fondement des différentes dispositions de l'article 109 du CGI.
En matière de déductibilité des impôts, l'article 39-1-4° du CGI prévoit que le bénéfice net imposable est établi sous déduction des impôts à la charge de l'entreprise mis en recouvrement au cours de l'exercice. Selon ce principe général, un rappel de TVA afférent à des recettes dissimulées est normalement déductible des résultats de l'exercice au cours duquel il est mis en recouvrement.
Toutefois, l'article L. 77 du LPF instaure un régime dérogatoire. Son premier alinéa dispose qu'en cas de vérification simultanée des taxes sur le chiffre d'affaires et de l'impôt sur les sociétés, le supplément de TVA afférent à un exercice est déduit, pour l'assiette de l'IS, des résultats du même exercice, sauf demande expresse du contribuable formulée dans le délai de réponse à la proposition de rectification.
L'article L77 du LPF permet aux contribuables d'obtenir, sous certaines conditions, que les suppléments de droits simples résultant d'une vérification soient admis en déduction des rehaussements apportés aux bases d'autres impôts également vérifiés, l'imputation s'effectuant dans l'ordre où les droits rappelés auraient dû normalement influencer ces bases si les déclarations fiscales avaient été correctement souscrites.
Le système dit de la déduction en cascade permet ainsi de placer les contribuables vérifiés dans la situation où ils se seraient trouvés, à l'égard des droits simples, s'ils n'avaient commis aucune infraction.
Concernant la qualification de revenus distribués, l'article 109-1-1° du CGI considère comme revenus distribués "tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital". L'article 110 du même code précise que ces bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'IS. Par ailleurs, l'article 109-1-2° qualifie également de revenus distribués "toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices".
Rappel des faits :
À l'issue d'une vérification de comptabilité de la société Acropost, l'administration fiscale a mis à la charge de M. et Mme A. des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales au titre des années 2014 et 2015, à raison des sommes distribuées par cette société à M. A., qui en était le gérant et associé.
Celle-ci a considéré que l'intégralité des recettes dissimulées, y compris le montant de la TVA correspondante, devait être regardée comme distribuée sur le fondement de l'article 109-1-1° du CGI, même lorsque le rappel de TVA avait été déduit des résultats de l'exercice vérifié par application des dispositions du premier alinéa de l'article L. 77 du LPF.
L'administration a vraisemblablement estimé que les recettes dissimulées, dans leur totalité, constituaient des bénéfices qui n'avaient été ni mis en réserve ni incorporés au capital, et qu'elles devaient donc être imposées comme des revenus distribués entre les mains de l'associé-gérant.
M. et Mme A. ont contesté ces impositions devant le tribunal administratif de Paris, qui a rejeté leur demande le 19 septembre 2022. Ils ont ensuite fait appel devant la cour administrative d'appel de Paris, qui a confirmé le jugement de première instance par un arrêt du 8 décembre 2023. C'est contre cet arrêt que les contribuables se sont pourvus en cassation devant le Conseil d'État.
M. et Mme A soutiennent que lorsque le rappel de TVA a été déduit des résultats de l'exercice vérifié par application de l'article L. 77 du LPF, seul le montant hors taxe des recettes dissimulées pouvait être considéré comme distribué sur le fondement de l'article 109-1-1° du CGI.
Ils faisaient valoir que la TVA correspondant aux recettes dissimulées ne pouvait être imposée que sur le fondement de l'article 109-1-2° du CGI, à condition que l'administration établisse que cette somme avait été mise à la disposition de l'associé.
Le Conseil d'État vient d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris
La Haute juridiction rappelle d'abord les principes généraux applicables en matière de déduction des rappels de TVA. Elle indique que le rappel de TVA afférent à des recettes dissimulées est normalement déductible des résultats de l'exercice au cours duquel il est mis en recouvrement, mais que, par dérogation, en vertu de l'article L. 77 du LPF, ce rappel peut être déduit des résultats de l'exercice vérifié en cas de vérification simultanée.
En application de ces dispositions, pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés, le rappel de taxe sur la valeur ajoutée afférent à la réalisation de recettes dissimulées réalisées au cours d'un exercice donné est en principe, en vertu des dispositions du 4° du 1 de l'article 39 du code général des impôts citées au point 2, déductible des résultats de l'exercice au cours duquel il est mis en recouvrement. Par dérogation, le premier alinéa de l'article L. 77 du livre des procédures fiscales prévoit qu'en cas de vérification simultanée au regard de l'impôt sur les sociétés et des taxes sur le chiffre d'affaires, ce rappel est déduit des résultats de l'exercice vérifié, sauf à ce que la société s'oppose à l'application des dispositions de ce dernier article.
Le Conseil d'État précise ensuite le régime applicable aux revenus distribués. En application de l'article 110 du CGI, le montant susceptible d'être regardé comme distribué entre les mains d'un associé sur le fondement de l'article 109-1-1° du CGI se limite au rehaussement du résultat de l'exercice vérifié retenu pour l'assiette de l'IS de la société distributrice.
La décision établit alors une distinction importante :
- Lorsque le rappel de TVA n'a pas été déduit des résultats de l'exercice vérifié par application de l'article L. 77 du LPF, mais a été déduit de ceux de l'exercice de sa mise en recouvrement par application de l'article 39-1-4° du CGI, le montant regardé comme distribué entre les mains de l'associé s'entend de la totalité des recettes dissimulées, TVA comprise. Dans ce cas, l'administration doit établir l'appréhension de ces sommes par l'associé, cette appréhension étant toutefois présumée lorsque ce dernier est le "maître de l'affaire".
- En revanche, lorsque le rappel de TVA a été déduit des résultats de l'exercice vérifié par application de l'article L. 77 du LPF, le montant regardé comme distribué sur le fondement de l'article 109-1-1° du CGI se limite au montant hors taxe des recettes dissimulées. Le Conseil d'État précise toutefois que le rappel de TVA due sur ces recettes peut être imposable entre les mains de l'associé sur le fondement de l'article 109-1-2° du CGI, mais à condition que l'administration établisse que cette somme a été mise à sa disposition.
Il résulte des dispositions citées aux points 2 et 4 que lorsque le rappel de taxe sur la valeur ajoutée n'a pas été déduit des résultats de l'exercice vérifié retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés de la société distributrice par application des dispositions du premier alinéa de l'article L. 77 du livre des procédures fiscales, mais a été déduit de ceux de l'exercice de sa mise en recouvrement par application du 4° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, le montant regardé comme distribué entre les mains de l'associé sur le fondement des dispositions du 1° du 1 de l'article 109 de ce code s'entend de la totalité des recettes dissimulées, en ce compris le rappel de taxe sur la valeur ajoutée correspondant. Il appartient dans ce cas à l'administration d'établir l'appréhension de ces sommes par l'associé, cette appréhension étant toutefois présumée lorsque ce dernier est le maître de l'affaire.
7. En revanche, lorsque ce rappel a été déduit des résultats de l'exercice vérifié retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés de la société distributrice par application des dispositions du premier alinéa de l'article L. 77 du livre des procédures fiscales, le montant regardé comme distribué sur le fondement des dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts se limite au montant calculé hors taxe des recettes dissimulées. Toutefois, le rappel de taxe sur la valeur ajoutée due sur ces recettes est imposable entre les mains de l'associé sur le fondement du 2° du 1 de cet article 109, à condition que l'administration établisse que cette somme a été mise à sa disposition.
En l'espèce, le Conseil d'État a estimé que la CAA avait commis une erreur de droit en jugeant que l'administration fiscale était fondée à regarder comme distribuées, sur le fondement de l'article 109-1-1° du CGI, les sommes correspondant au montant de la TVA due par la société A sur ses recettes dissimulées et déduites des résultats des exercices clos en 2014 et 2015 en application de l'article L. 77 du LPF.
Le Conseil d'Etat :
- établit une distinction claire entre deux situations : celle où le rappel de TVA est déduit des résultats de l'exercice de mise en recouvrement et celle où il est déduit des résultats de l'exercice vérifié.
- précise les modalités d'imposition de la TVA rappelée selon le régime de déduction applicable. Lorsque cette TVA est déduite des résultats de l'exercice vérifié, elle ne peut être imposée comme revenu distribué sur le fondement de l'article 109-1-1° du CGI, mais seulement sur celui de l'article 109-1-2° si l'administration démontre sa mise à disposition de l'associé