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Contrôle et contentieux

Visite domiciliaire : «Harder, Better, Faster, Stronger »..quand Daft Punk renverse les présomptions fiscales

La décision rendue par le juge de l'impôt apporte un éclairage sur les conditions d'annulation d'une ordonnance autorisant une visite domiciliaire en matière fiscale, notamment lorsque des éléments nouveaux, produits après l'autorisation, sont de nature à renverser les présomptions de fraude initialement retenues. 

 

Les visites domiciliaires prévues par l'article L. 16 B du LPF constituent l'un des outils mis à la disposition de l'administration fiscale pour rechercher les preuves d'agissements frauduleux. Ces mesures d'investigation sont strictement encadrées, tant par les dispositions du LPF que par la jurisprudence nationale et européenne, en raison de leur caractère dérogatoire au droit commun et de l'atteinte qu'elles portent aux libertés individuelles.

 

En pratique, l'article L. 16 B du LPF autorise l'administration fiscale à effectuer des visites en tous lieux, même privés, et à procéder à des saisies de documents, lorsque l'autorité judiciaire

estime qu'il existe des présomptions qu'un contribuable se soustrait à l'établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d'affaires [...] en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts.

 

Le II de cet article précise que la visite doit être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD), qui

doit vérifier de manière concrète que la demande d'autorisation qui lui est soumise est bien fondée.

Cette demande...

doit comporter tous les éléments d'information en possession de l'administration de nature à justifier la visite 

Le juge doit motiver sa décision...

par l'indication des éléments de fait et de droit qu'il retient et qui laissent présumer, en l'espèce, l'existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée.

 

L'article L. 16 B prévoit également que l'ordonnance peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel territorialement compétente, ou son délégué, qui est saisi par une déclaration motivée au greffe de la cour dans un délai de quinze jours.

Dans le cadre de recours contre des visites domiciliaires diligentées sur le fondement de présomptions de fraude de grande ampleur au CGI, plusieurs cours d’appel ont rendu des décisions divergentes sur le bien-fondé de cette autorisation. Afin de clarifier ces situations, l'article 122 de la LFpour 2024 y ainscrit expressément la mention de la fraude aux crédits d’impôts institués au bénéfice d’entreprises. 

 

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel (Décision n° 2021-980 QPC du 11 mars 2022) a récemment déclaré conforme à la Constitution la possibilité, dans le cadre d’une visite domiciliaire fiscale, de procéder à la saisie des documents accessibles ou disponibles depuis les locaux visités, notamment ceux présents sur un support informatique, quand bien même ces documents sont stockés sur des serveurs informatiques situés dans des lieux distincts L'article 122 susvisé en a tiré toutes les conséquences et précisé que le support informatique visé aux articles 1735 quater du CGI, L. 16 B et L. 74 du LPF pouvait être distant

 

Rappel des faits :

Dans cette affaire, le 15 avril 2024, le juge des libertés et de la détention du TJ de Paris a autorisé, sur requête de la DNEF, des opérations de visite et de saisie à l'encontre de la société de droit britannique DL LIMITED. Ces opérations visaient plusieurs adresses susceptibles d'être occupées par cette société, ses dirigeants (membres du groupe de musique électronique DAFT PUNK), ainsi que diverses sociétés françaises partenaires.

L'ordonnance du JLD se fondait sur des présomptions selon lesquelles la société DL LIMITED, bien que constituée au Royaume-Uni, développait depuis le territoire français une activité professionnelle d'enregistrement, de production, de labellisation, de gestion, de promotion et de diffusion de créations musicales, sans souscrire les déclarations fiscales correspondantes.

Les opérations de visite et de saisie ont été effectuées le 16 avril 2024. Le 30 avril 2024, la société DL LIMITED a interjeté appel de l'ordonnance d'autorisation et formé des recours, avec d'autres sociétés et personnes concernées, contre les opérations de visite et de saisie.

 

La société DL LIMITED a contesté les présomptions de fraude retenues par le JLD et a fait valoir plusieurs moyens à l'appui de sa demande d'annulation de l'ordonnance :

  • L'absence de présomptions de fraude, arguant qu'elle avait fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les années 2015 à 2023, clôturée le 11 décembre 2024 par une proposition de rectification dans laquelle l'administration avait reconnu que la société n'avait jamais exercé d'activité occulte, que son siège était bien situé au Royaume-Uni, et qu'elle disposait d'un établissement stable en France limité à l'activité de contrôle et de suivi de la perception des droits d'auteur.
  • L'absence d'acte ou d'omission entrant dans le champ de l'article L. 16 B du LPF, soutenant que sa création au Royaume-Uni poursuivait un double objectif commercial et d'indépendance dans la gestion des droits d'auteur à l'étranger.
  • L'abstention de l'administration de transmettre des éléments en sa possession susceptibles de modifier l'appréciation du JLD, notamment les résultats des examens de situation fiscale personnelle (ESFP) de ses dirigeants, qui auraient permis au juge d'apprécier son activité et son fonctionnement.
  • La présentation d'éléments incomplets ou erronés au JLD, notamment les bilans de la société sans les comptes de résultat, et les déclarations fiscales incomplètes des dirigeants, dissimulant que leurs revenus provenaient à plus de 90% du Royaume-Uni sous forme de droits d'auteur et de royalties.

La société a également soutenu qu'elle disposait au Royaume-Uni des moyens matériels et humains nécessaires à son activité, faisant valoir qu'elle avait recours à des prestataires extérieurs reconnus dans le milieu musical, et a contesté les liens décrits par l'administration entre elle et les sociétés françaises mentionnées.

 

À l'audience et dans ses dernières écritures, l'administration fiscale, qui avait initialement conclu à la confirmation de l'ordonnance, a déclaré qu'elle ne s'opposait pas à son annulation, au vu des conclusions et des pièces produites par la société appelante.

 

Le juge d'appel vient d'annuler l'ordonnance du 15 avril 2024 et, par voie de conséquence, les opérations de visite et de saisie réalisées le 16 avril 2024.

 

Le délégué du premier président de la Cour d'appel a rappelé que l'article L. 16 B du LPF n'exige que de simples présomptions, le juge de l'autorisation n'ayant pas à se substituer au juge de l'impôt dans l'appréciation de la réalité de la fraude alléguée, mais seulement à examiner s'il existe, à la date de l'autorisation, des présomptions de fraude justifiant les opérations de visite et de saisie.

 

Il a également souligné que la visite prévue par l'article L. 16 B constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée protégée par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, mais que les dispositions de cet article, qui organisent le droit de visite et le recours devant le premier président de la cour d'appel, assurent une conciliation entre les principes de liberté individuelle et les nécessités de la lutte contre la fraude fiscale.

 

Constatant que la société DL LIMITED avait produit des pièces à l'appui de sa demande d'annulation et que l'administration fiscale ne soutenait plus l'existence de présomptions d'agissements frauduleux, le juge a considéré que les parties convenaient de l'absence de présomptions au vu des éléments produits et soumis à la contradiction.

 

Sans entrer dans l'appréciation des motifs qui ont présidé à la décision du JLD, qui a statué sur une requête non contradictoire et sur les pièces qui l'accompagnaient à la date de sa saisine, le juge a annulé l'ordonnance du 15 avril 2024 et, par voie de conséquence, les opérations de visite et de saisie réalisées le 16 avril 2024.

 

 

TL;DR

  • Il est possible, pour un contribuable, de renverser a posteriori les présomptions de fraude retenues par le JLD, en produisant des éléments nouveaux ou complémentaires lors de la procédure d'appel. En l'espèce, la société DAFT LIFE LIMITED a pu faire valoir des arguments et des documents qui n'avaient pas été présentés au JLD, notamment les résultats d'une vérification de comptabilité intervenue après l'autorisation de visite.
  • L'ordonnance souligne l'importance du principe du contradictoire et de la loyauté dans l'administration de la preuve. La société appelante a pu mettre en évidence que l'administration n'avait pas transmis au JLD certains éléments en sa possession, tels que les rapports d'ESFP, ou avait fourni des documents incomplets, comme les bilans sans les comptes de résultat. Si ces arguments n'ont pas été tranchés explicitement par le juge d'appel (qui s'est contenté de constater l'accord des parties sur l'absence de présomptions), ils rappellent néanmoins l'obligation pour l'administration de présenter au juge tous les éléments d'information en sa possession de nature à justifier la visite.

 

Publié le mercredi 19 mars 2025 par La rédaction

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