Le contribuable peut-il garder le silence face aux demandes de l'Administration ?

04/03/2002 Par La rédaction
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Bon nombre de systèmes fiscaux reposent sur une collaboration active du contribuable face aux demandes de contrôle de l’Administration. C’est le cas notamment en France avec les demandes d’éclaircissements ou de justifications (articles L. 16 A et L.47 B du L. P. F.). En cas de défaillance, le contribuable est taxé d’office et il est soumis à une amende.

  • Est-il en droit de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination ?
  • Cette possibilité lui est-elle offerte par l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme ?

Concrètement, le problème s’est posé pour un contribuable suisse qui s’était vu demander par son Administration copie des documents concernant les sociétés dans lesquelles il avait investi. Ne s’étant pas conformé à cette demande, le requérant a été ensuite invité par trois fois à déclarer la source de ses revenus. N’ayant pas répondu, il s’est vu infliger une première amende de 1000 F CHF. Après quatre avertissements supplémentaires, il a été condamné à une deuxième amende de 2000 CHF .

Il a contesté en vain cette dernière amende devant le Tribunal fédéral.

Sur le plan de l’examen des principes, il convient de dissocier, d’une part le rappel d’impôt, et d’autre part l’amende pour défaut de communication des documents exigés par le service fiscal.

Or, c’est ce deuxième point qui faisait difficulté par rapport à l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour faire droit à la thèse du requérant, la Cour s’est appuyée sur deux séries d’argumentations complémentaires.

En premier lieu , la Cour a réaffirmé l’autonomie de la notion «d’accusation en matière pénale» telle que le conçoit l’article 6.

Dans sa jurisprudence, elle a établi qu’il faut tenir compte de trois critères pour décider si une personne est «accusée d’une infraction pénale» au sens de l’article 6 : d’abord la classification de l’infraction au regard du droit national, puis la nature de l’infraction et, enfin, la nature et le degré de gravité de la sanction que risquait de subir l’intéressé.

Par ailleurs, suivant une jurisprudence qui visait pour l’essentiel la France_( CEDH 24 février 1994 B. / France; 5 octobre 1999 G. / France)_ , l’article 6 paragraphe 1 est applicable en cas de contestation des pénalités fiscale.

En second lieu , la juridiction de Strasbourg a considéré que le droit de garder le silence et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes internationales reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable consacré par l’article 6 paragraphe 1 de la convention.

En particulier, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination présuppose que les autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de de la volonté de «l’accusé». En mettant celui-ci à l’abri d’une coercition abusive de la part des autorités, ces immunités concourent à éviter des erreurs judiciaires et à garantir le résultat voulu par l’article 6.

Or dans le cas de l’espèce , il apparaissait que les autorités suisses avaient tenté de convaincre le requérant à soumettre des documents qui auraient fourni des deux informations sur son revenu en vue de son imposition. Le requérant ne pouvait ainsi exclure que tout revenu supplémentaire de sources non imposées que ces documents feraient ressortir auraient constitué l’infraction de soustraction d’impôt.

La solution est particulièrement avantageuse pour le contribuable mais il faut bien admettre qu’elle alimente certaines difficultés :

  • dans le cas de l’espèce, il s’agissait incontestablement d’une procédure que l’on peut qualifier de mixte ; c’est-à-dire une procédure qui combine un redressement fiscal et une amende liée à la dissimulation ou non plus particulièrement, au refus de communiquer certain renseignements.

  • en droit français, le problème est sensiblement plus compliqué. En effet, les procédures de redressements , y compris les procédures dites d’office (non contradictoires) ne débouchent pas systématiquement sur des amendes d’un montant élevé.

La procédure de redressements implique pour l’essentiel la reconstitution des bases de l’imposition mais peuvent se greffer sur cette base, des pénalités de mauvaise foi voire, des pénalités pour manoeuvres frauduleuses.

On retombe par la même dans les faits de l’espèce.

Il pourrait être tentant également de considérer que le contribuable a tout intérêt de collaborer avec l’administration fiscale. En effet, si l’administration fiscale lui demande des éclaircissements ou des justifications, c’est théoriquement pour prévenir un redressement fiscal.

Ceci étant, l’analyse n’est pas toujours convaincante pour la raison suivante: le redressement fiscal ressemble souvent à une véritable partie de poker. Le contribuable ignore parfois les éléments dont dispose l’administration.

Dès lors, on peut parfaitement concevoir que pour combattre les prétentions du service, le contribuable mette à l’évidence des revenus dissimulés qu’il croyait connus du service. Dans cette hypothèse, il n’avait strictement aucun intérêt à se justifier…

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