Les intérêts moratoires devraient être une rémunération raisonnable car si ils sont excessives, ils constituent une véritable sanction. Ils doivent également être égalitaire , c’est-à-dire ne pas favoriser outrancièrement le créancier ou le débiteur.
Or, en matière fiscale, ces prescriptions élémentaires ne sont pas respectées.
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En premier lieu , le taux de l’intérêt de retard qui frappe le contribuable défaillant est fixé depuis la loi du 8 juillet 1987 à 0 75 % par mois (soit 9 % l’an) alors que les taux d’intérêts bancaires ont fortement baissé depuis cette période.
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En second lieu , l’écart qui sépare le taux de l’intérêt de retard appliqué au contribuable défaillant et celui que reçoit ce même le contribuable lorsque l’administration est conduite à accorder un dégrèvement est important ( le taux de l’intérêt légal révisé annuellement en effet évolué entre 2,74 % et 4, 26 % au cours des cinq dernières années) .
L’écart de taux , au détriment du contribuable , est ainsi pratiquement du simple au double.
Ce constat a alimenté de nombreux contentieux.
Deux séries d’arguments sont traditionnellement avancés par les contribuables :
Il est tout d’abord possible de soutenir que la partie de l’intérêt de retard qui dépasse le préjudice subi par le Trésor constitue une sanction. Dès lors, le recouvrement de toute somme exigée du contribuable au-delà de l’intérêt légal a valeur de pénalité et doit en conséquence respecter les garanties édictées par le Livre des Procédures Fiscales (essentiellement, la motivation). C’est la brèche qui a été ouverte par le tribunal de grande instance de Paris dans un jugement en date du 6 juillet 2000. Cette analyse a été reprise par le tribunal administratif de Nantes dans un jugement du 18 juillet 2001.
On peut également douter de la compatibilité de la loi du 8 juillet 1987 et de son application avec la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (C.E.D.H). L’application de ces intérêts moratoires excessifs par rapport au taux de l’intérêt légal de retard a incontestablement une «coloration pénale». Or , cette partie majorée ne peut être modulée par le juge ; elle est donc contraire à l’article 6 § 1 de la C.E.D.H. (Cass. Com. 29 avril 1997, n° 95-20 001 M. F.)
C’est sur ce second type d’argumentation qu’a été saisi le Conseil d’État par le tribunal administratif de Pau en vertu des dispositions de l’article L. 113 — 1 du Code de justice administrative.
Pour la juridiction de renvoi, la question présentait une «difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges».
La réponse apportée par les juges du Palais-Royal dans leur avis du 12 avril 2002 apparaît particulièrement décevante pour les contribuables.
En ce qui concerne la distorsion qui existe entre le taux des intérêts moratoires et les taux du marché (distorsion qui constitue indiscutablement une sanction car elle «vise pour l’essentiel à punir pour empêcher la réitération d’agissements semblables»), le Conseil d’État considère que « l’intérêt de retard institué par ces dispositions vise essentiellement à réparer les préjudices de toute nature subis qui par l’État à ce raison du non-respect par les contribuables de leurs obligations de déclarer et payer l’impôt au dates légales. Si l’évolution des taux du marché a conduit une hausse relative de cet intérêt depuis son institution, cette circonstance ne lui confère pas pour autant la nature d’une sanction, dès lors que son niveau n’est pas devenu manifestement excessif au regard du taux moyen pratiqué par les prêteurs privés pour un découvert non négocié » ".
La haute juridiction va donc très largement au delà de la thèse soutenue par l’Administration elle-même .
De nombreuses réponses ministérielles ont en effet affirmé que le taux d’intérêt « doit présenter un caractère dissuasif destiné notamment à éviter que le contribuable ne soit tenté de faire à des difficultés de trésorerie en différent le respect de ses obligations fiscales plutôt qu’en recourant au crédit ».
Il est dès lors très difficile d’admettre contrairement à ce que soutient le Conseil d’Etat que l’on ne soit pas en présence d’une sanction. L’aspect préventif et répressif inhérent à ce titre de mesure est indubitablement caractérisé.
Pour le traitement discriminatoire appliqué au détriment des contribuables, il était possible de mettre en avant l’article 14 de la convention qui interdit les discriminations et l’article 1er du protocole à ce même texte qui consacre le respect des biens (La CEDH a été amenée à examiner indirectement ces problèmes de distorsion de taux , distorsion favorable à l’Etat , dans l’affaire 19676 / 92 KOCER c. Turquie . L’Etat turc à l’époque des faits de l’espèce versait un intérêt moratoire simple de 30 % à ses administrés . Le taux des intérêts applicables aux créances de l’Etat était de ….84 %) .
Le Conseil d’État écarte également ces textes mais apporte une précision particulièrement intéressante. Les articles précités sont «sans portée dans les rapports institués entre la puissance publique et un contribuable à l’occasion de l’établissement et du recouvrement de l’impôt».
Ce faisant, la haute juridiction s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence récente de la C.E.D.H ( 12 juillet 2001 nº 44 759/ F / Italie). En revanche, les textes européens peuvent être " utilement invoqués pour soutenir que la loi fiscale serait à l’origine de discriminations injustifiées entre les contribuables. Or, les solutions de droit interne ne permettent que très difficilement de combattre ces inégalités…
Pour combattre cette solution timorée, les contribuables pourront saisir la C.E.D.H après épuisement des voies de recours internes . Ils pourraient également compter sur la mansuétude du Gouvernement : «naturellement, si le taux de l’intérêt de retard s’éloignait durablement et sensiblement du taux du marché, le Gouvernement proposerait au Parlement de fixer un nouveau taux pour l’intérêt de retard» ( JOAN CR , 3 juin 1987, p. 1847).
Curieusement, cette promesse n’a pas recueilli d’écho favorable en cette période électorale…