Accueil > Outils fiscaux > Contrôle et contentieux > Quand la mauvaise organisation d’une société participe de la caractérisation d’un acte anormal de gestion
Contrôle et contentieux

Quand la mauvaise organisation d’une société participe de la caractérisation d’un acte anormal de gestion

La juridiction administrative vient de confirmer la réintégration aux résultats d’une entreprise soumise à l’impôt sur les sociétés les achats fictifs que la société avait comptabilisés en charges au motif que les détournements de fonds avaient été rendus possibles par l’existence de carences dans l’organisation de la société et la mise en oeuvre des dispositifs de contrôle.

 

Rappel des faits

La société d’exploitation JV qui exerce l’activité de transport routier de produits alimentaires liquides, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011, étendue jusqu’au 31 octobre 2012 en matière de TVA, à l’issue de laquelle le service vérificateur a, notamment, réintégré aux résultats soumis à l’impôt sur les sociétés au titre des années 2010 et 2011 des charges initialement déduites correspondant à des achats fictifs, et rectifié, à hauteur des rehaussements apportés aux résultats imposables, la valeur ajoutée retenue pour la liquidation de la CVAE au titre des mêmes années.

 

De même, le vérificateur a remis en cause le droit à déduction de la TVA afférente à ces achats fictif.

La société d’exploitation des établissements JV a demandé au TA de Bordeaux de prononcer la décharge des suppléments d’impôt sur les sociétés et de CVAE auxquels elle a été assujettie.

Par un jugement n° 1601775 du 11 janvier 2018, le TA de Bordeaux a rejeté sa demande.

La société JV a relevé appel du jugement.

Le bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l’entreprise, à l’exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale.

« C’est au regard du seul intérêt propre de l’entreprise que l’administration doit apprécier si les opérations litigieuses correspondent à des actes relevant d’une gestion commerciale normale, sans qu’il y ait lieu pour elle, dans ce cadre, de se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion faits par l’entreprise et notamment sur l’ampleur des risques pris par elle pour améliorer ses résultats. »

La Cour rappelle « qu’en cas de détournements de fonds commis au détriment d’une société, les pertes qui en résultent sont, en principe, déductibles des résultats de la société. Il en va ainsi, en particulier, lorsque ces détournements ont été commis par des tiers. En revanche, ne sont pas déductibles les détournements commis par les dirigeants, mandataires sociaux ou associés ainsi que ceux, commis par un salarié de la société, qui ont pour origine, directe ou indirecte, le comportement délibéré des dirigeants, mandataires sociaux ou associés ou leur carence manifeste dans l’organisation de la société et la mise en oeuvre des dispositifs de contrôle, contraires à l’intérêt de la société. »

Lors de la vérification de comptabilité dont la société JV a fait l’objet, le vérificateur a constaté qu’en 2012 la société avait relevé l’existence d’anomalies s’agissant des factures de deux de ses fournisseurs, les fournitures correspondantes ne lui ayant pas été livrées ou lui ayant été surfacturées, et avait porté plainte contre l’un de ses salariés, M. A, alors employé en qualité de responsable des achats, pour détournements de fonds.

Le service, dans la proposition de rectification a réintégré aux résultats soumis à l’IS les achats fictifs que la société avait comptabilisés en charges au motif que les détournements de fonds avaient été rendus possibles par l’existence de carences dans l’organisation de la société et la mise en oeuvre des dispositifs de contrôle.

La société JV soutient que les détournements de fonds en cause n’ont pas pour origine une carence manifeste dans l’organisation de la société et la mise en oeuvre des dispositifs de contrôle.

Elle fait valoir que

  • M. A était un responsable des achats aux qualités professionnelles reconnues,

  • qu’il avait mis en place une procédure de contrôle interne, M. A approuvant les nouveaux fournisseurs, validant les bons de commande et apposant le «  bon pour règlement  » sur chaque facture avant sa transmission au service chargé du règlement.

  • des milliers d’articles étaient commandés chaque année aux fournisseurs à l’origine des factures fictives,

  • que les détournements ont perduré en raison de leur faible volume, les factures fictives représentant 0,21 % du chiffre d’affaires au titre de l’exercice 2010 et 0,22 % au titre de l’exercice 2011.

  • les détournements ont été révélés en avril 2012,

  • M. A a été licencié dès le 4 juin 2012, avant d’être condamné le 5 novembre 2015 par le TC de Bordeaux pour escroquerie et corruption passive.

La Cour de son côté fait valoir :

  • que M. A a pu commettre les détournements en cause de 2006 à 2012, soit pendant près de six ans, sans être inquiété, avant que ses agissements ne soient découverts de façon fortuite.

  • que M.A exerçait des fonctions importantes en matière d’achat, dès lors qu’il était, notamment, responsable des commandes et du suivi et de la vérification des factures d’achat et des compte-rendu budgétaires.

  • que d’après le «  compte-rendu de contrôle interne sur les procédures achats / fournisseurs  » établi le 23 juillet 2012 par le commissaire aux comptes et produit par la société, la procédure d’achat ne permettait pas une séparation des fonctions suffisantes et n’était pas appliquée de façon suffisamment rigoureuse, un certain nombre d’irrégularité ayant été relevées.

  • qu’il ressort de de compte-rendu que, si la procédure d’achats mise en place au sein de la société est cohérente,  dans la pratique il est noté des manquements dans son application ce qui peut entrainer des anomalies voire des risques pour la société. "Le risque majeur identifié lors de notre intervention concerne le cumul des fonctions clés de la procédure. Par exemple, on retrouve le même émetteur pour le bon de commande et le bon d’achat  ». Ce même compte rendu propose des «  axes de réflexion  » portant notamment sur «  Une application rigoureuse de la procédure d’achat et plus particulièrement l’émission systématique de bons de réception, l’indication de la date de réception, la valorisation des bons de commande, la gestion des reliquats de commande, le visa systématique à porter sur les bons de livraison, la matérialisation du pointage des bons de livraison, l’application d’un visa attestant du règlement de la facture.  ».

Pour la Cour, les anomalies relevées, l’importance et à la répétition des détournements sur une durée de près de six années c’est à bon droit que le service vérificateur a considéré qu’ils révélaient une carence manifeste dans l’organisation de la société et la mise en oeuvre des dispositifs de contrôle, contraire à l’intérêt de la société.

Publié le lundi 22 juin 2020 par La rédaction

6 min de lecture

Avancement de lecture

0%

Partages :