Nouvelle décision sur les limites du régime de faveur des apports avec soulte, confirmant que l'administration fiscale peut légitimement invoquer l'abus de droit lorsque la soulte n'a d'autre finalité que l'appréhension de liquidités en franchise d'imposition.
L'article 150-0 B ter du CGI institue un mécanisme de report d'imposition pour les plus-values d'apport de titres qui s'inscrit dans une logique de restructuration d'entreprise. Ce dispositif, applicable depuis le 14 novembre 2012, permet de différer l'imposition de la plus-value réalisée lors d'un apport de titres à une société soumise à l'IS, à condition que l'apporteur contrôle la société bénéficiaire au moment de l'apport.
S'agissant du traitement des soultes associées à l'opération d'apport, avant la LFR pour 2016, le report d'imposition s'appliquait à l'intégralité de l'opération, y compris à la soulte, à condition que celle-ci ne dépasse pas 10% de la valeur nominale des titres reçus en échange.
Cependant, cette possibilité de verser une soulte n'était pas sans limites. Ainsi, une soulte ne pouvait être considérée comme légitime si elle était uniquement motivée par la volonté de l'apporteur d'extraire, en franchise d'impôt, des liquidités de la société dont les titres sont apportés.
Rappel des faits :
M. A, actionnaire majoritaire de quatre sociétés (KCT, KCO, KP et KC), a constitué le 10 février 2015 une SASU C au capital de 10 344 300 €, représenté par 103 443 actions de 100€ de valeur nominale.
L'opération d'apport des titres des quatre sociétés, d'une valeur globale de 11 444 300 €, a donné lieu au versement d'une soulte initialement fixée à 1 100 000 €, puis ramenée à 1 034 430 € pour respecter scrupuleusement le seuil de 10% de la valeur nominale des titres reçus. Cette soulte a été inscrite au crédit du compte courant d'associé de M. A dans les livres de la SASU C.
La finalité affichée de l'opération était le financement d'investissements dans un domaine viticole exploité par une SCEA dont M. A avait cédé les parts à la SASU pour 1€ symbolique.
L'administration a engagé la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du LPF, considérant que la soulte n'avait d'autre finalité que de permettre à M. A d'appréhender des liquidités en franchise immédiate d'impôt. Elle a soumis le dossier au comité de l'abus de droit fiscal, qui a confirmé par avis du 28 juin 2021 le bien-fondé de la procédure.
Partant, l'administration a imposé la soulte de 1 034 430 €, en appliquant des pénalités de 80% pour abus de droit sur le fondement de l'article 1729 b du CGI.
M. A a contesté cette taxation :
- Il soutient d'abord que l'article 150-0 B ter du CGI permet de dégager librement une soulte lors d'une opération d'apport dès lors que son montant ne dépassait pas 10% de la valeur des titres reçus, sans qu'aucune finalité particulière ne soit assignée à ce versement.
- Il fait valoir que la soulte répondait à un besoin de financement réel pour les investissements dans le domaine viticole et qu'elle avait été imposée par les autres associés des sociétés apporteuses.
- Il prétend n'avoir appréhendé que 455 000 € sur la soulte totale, contestant ainsi l'application des pénalités de 80%.
- Enfin, il invoque les commentaires administratifs publiés au BOI-RPPM-PVBMI-30-20 pour se prévaloir de l'article L. 80 A du LPF.
M. A a saisi la juridiction administrative après rejet de sa réclamation et demandé au TA de Paris de prononcer la décharge des cotisations auxquelles il a été assujetti au titre de l’année 2015. Par un jugement du 1er octobre 2024, le tribunal a rejeté la demande de M. A qui a fait appel de la décision.
La Cour administrative d'appel vient de rejetter la demande de M.A
Elle confirme d'abord que l'administration peut légitimement invoquer l'article L. 64 du LPF pour des opérations d'apport avec soulte entrant dans les prévisions de l'article 150-0 B ter, contrairement à ce que soutenait le requérant.
Elle précise ensuite les limites du régime de faveur en énonçant que...
...le but poursuivi par le législateur n'est pas respecté si la stipulation d'une soulte au profit de l'apporteur en complément de l'attribution de titres de la société bénéficiaire de l'apport n'a aucune autre finalité que de permettre à celui-ci d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par cette société ou par celle dont les titres sont apportés.
Appliquant ces principes au cas particulier, la Cour relève que M. A, unique apporteur et bénéficiaire de la soulte :
- a lui-même fixé le capital social de la SASU C,
- déterminé la parité d'échange,
- décidé du versement de la soulte et fixé son montant.
L'opération n'a entraîné aucun changement dans le contrôle des sociétés apportées, dont M. A. détenait la majorité avant l'apport directement, puis indirectement par le biais de la SASU.
Enfin, elle considère que M. A n'apporte pas la preuve que la soulte était nécessaire à la réalisation d'une opération de restructuration d'entreprises. Le PV de l'assemblée générale de KP, qui mentionnait simplement la possibilité d'une soulte pour financer d'éventuels besoins complémentaires, ne démontre pas que cette soulte constituait un "préalable indispensable" aux investissements envisagés.
Concernant les pénalités de 80%, la Cour confirme leur bien-fondé en s'appuyant sur l'initiative de M. A. dans l'opération et sa qualité de principal bénéficiaire.
TL;DR
- Le seuil de 10% prévu à l'article 150-0 B ter du CGI ne constitue pas un "droit à soulte" automatique, mais doit s'analyser au regard de la finalité réelle de l'opération. Toute soulte doit être justifiée par une finalité économique réelle, distincte de la simple optimisation fiscale.
- Le régime de faveur des apports vise à faciliter les restructurations d'entreprises nécessaires à leur développement, et non à permettre l'appréhension de liquidités en franchise fiscale.