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Contrôle et contentieux

Présomption du « maître de l'affaire : l'administration doit prouver l'implication concrète dans la gestion sociale au-delà des apparences juridiques

Nouvelle décision concernant la présomption du « maître de l'affaire » en matière de revenus réputés distribués qui nous rappelle que les qualités de gérant et d'associé ne sauraient, à elles seules, dispenser l'administration fiscale de rapporter la preuve d'une implication effective dans la gestion sociale lorsque le contribuable conteste être le bénéficiaire des distributions (Gérant de paille).

 

L'article 109-1-1° du CGI établit une présomption légale de distribution pour tous les bénéfices ou produits d'une société qui ne sont pas explicitement mis en réserve ou incorporés au capital. Cette disposition vise à considérer comme distribués tous les profits qui ne sont pas officiellement conservés par l'entreprise mais mis à la disposition des associés. Dans ce cas, ces sommes relèvent de la catégorie des revenus de capitaux mobiliers (RCM).

 

L'article 110 du code précité précise que ces bénéfices s'entendent de ceux retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés.

 

Ces dispositions permettent à l'administration fiscale de considérer comme revenus distribués aux associés ou actionnaires tout bénéfice constaté, y compris ceux issus de redressements fiscaux, qui n'aurait pas été explicitement conservé dans les comptes de la société. Cette présomption vise à éviter que des bénéfices échappent à l'imposition, que ce soit au niveau de la société ou des bénéficiaires potentiels.

 

Quant à la charge de la preuve, elle incombe en principe à l'administration qui doit démontrer que le contribuable a effectivement disposé des sommes considérées comme distribuées. Toutefois, la jurisprudence a établi une présomption lorsque le contribuable est considéré comme le "seul maître de l'affaire", c'est-à-dire lorsqu'il dispose seul des pouvoirs les plus étendus et peut user sans contrôle des biens sociaux comme de biens propres.

 

Cette présomption repose traditionnellement sur des critères juridiques : la qualité de gérant, la détention de la majorité du capital, ou encore la signature sur les comptes bancaires. Il s'agit cependant d'une présomption simple, que le contribuable peut renverser en apportant la preuve qu'il n'était pas le véritable dirigeant de fait. 

 

 

Rappel des faits :

La société P, spécialisée dans l'enseignement de la conduite automobile, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2015 et 2016. Monsieur A en était le gérant de droit et détenait la moitié du capital social. À l'issue du contrôle, l'administration a rehaussé le bénéfice imposable de la société selon la procédure de taxation d'office et a considéré les sommes désinvesties comme des revenus distribués appréhendés par le gérant. Par proposition de rectification du 9 mars 2018, Monsieur A s'est donc vu notifier des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux représentant, en droits et pénalités, 95 089 € pour l'année 2015 et 98 878 € pour l'année 2016.

 

Le TA de Melun, par jugement du 11 janvier 2024, a rejeté la demande de décharge présentée par le contribuable. C'est cette décision que Monsieur A a contestée devant la juridiction d'appel :

  • Il conteste d'abord être le seul maître de l'affaire malgré son statut formel de gérant, estimant que l'administration devait rapporter la preuve de l'appréhension effective des revenus distribués.
  • Il soutient également que l'administration n'a pas pu légalement refuser la mise en œuvre des dispositions de l'article 117 du CGI et qu'elle a méconnu les droits du contribuable vérifié ainsi que le principe du contradictoire. Enfin, il suggérait qu'une procédure de perquisition fiscale aurait pu être utilement diligentée.

Sur le fond, et pour contester son implication dans la gestion de l'auto-école il fait valoir :

  • qu'il a déposé une plainte pour escroquerie le 26 juin 2019 dans laquelle il se qualifie de « gérant de paille », affirmant que l'autre associé assurait la gestion effective de l'affaire, notamment en accédant au compte bancaire de la société par le biais d'identifiants de connexion internet ;
  • qu'il a exercé ses fonctions de moniteur d'auto-école à Créteil entre 2013 et 2016, puis au Perreux-sur-Marne à partir de fin 2016, soit dans des lieux éloignés du site d'exploitation de la société situé à Argenteuil.
  • que la secrétaire de P a, dans une attestation, corroboré qu'il n'avait pas été vu sur ce site entre 2015 et 2016.

 

La Cour administrative d'appel de Paris vient d'infirmer le jugement de première instance, donnant ainsi entièrement raison à M.A  

 

Après avoir rappelé que la charge de la preuve pesait sur l'administration, elle a analysé les faits : 

  • Elle a relevé que l'administration ne produisait aucun chèque ni virement signé de la main de Monsieur A
  • Elle a constaté ensuite, à la lecture de la proposition de rectification elle-même, qu'aucune remise d'espèces n'apparaîssait dans les encaissements bancaires alors qu'une partie conséquente des produits comptabilisés était encaissée en espèces.

Cela suggère que Monsieur A, bien que détenteur de la signature bancaire, n'effectuait pas personnellement les opérations financières de la société.

  • Elle a également tenu compte des éléments relatifs à l'activité professionnelle effective du contribuable. L'exercice de fonctions de moniteur d'auto-école à Créteil puis au Perreux-sur-Marne, associé à l'attestation de la secrétaire indiquant qu'il n'était pas présent sur le site d'Argenteuil entre 2015 et 2016, constituent des indices sérieux d'une absence d'implication opérationnelle dans la gestion quotidienne de la société P
  • En outre, elle a souligné que Monsieur A ne disposait pas des clés du local commercial, ne détenait aucun fichier d'écriture comptable et s'est trouvé dans l'impossibilité de répondre aux questions du service vérificateur durant les opérations de contrôle. 

Ainsi, face à un faisceau d'indices concordants démontrant l'absence de toute implication réelle dans la gestion, la simple titularité d'un mandat social ou d'une signature bancaire ne suffit pas.

 

La Cour en conclut que l'administration "ne rapporte pas la preuve qui lui incombe (...) que ce dernier était le seul à pouvoir user sans contrôle des biens de la société". La présomption étant écartée, et en l'absence de preuve directe de l'appréhension des fonds, le fondement même de l'imposition s'effondre.

 

La présomption du maître de l'affaire n'est pas irréfragable et doit s'appuyer sur une réalité factuelle.

 

Les éléments formels (qualité de gérant, détention de 50% du capital, signature bancaire), ne peuvent suffire à établir que le contribuable a effectivement appréhendé les distributions lorsqu'un faisceau d'indices concordants démontre son absence d'implication concrète dans la gestion sociale.

 

 

Publié le mercredi 1 octobre 2025 par La rédaction

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