Décision relative sur le régime fiscal applicable aux dons manuels révélés tardivement à l'administration fiscale. Elle confirme que l'omission de mentionner un don manuel antérieur dans un acte de donation ultérieur a des conséquences fiscales lourdes, puisqu'elle conduit à l'application de l'article 757 du CGI et donc à l'imposition du don à sa valeur au jour de sa révélation.
En principe, une donation doit être formalisée par un acte. Le don manuel échappe à cette règle puisqu'il consiste en une simple remise matérielle d'un bien meuble quelconque : un objet, un meuble, un somme d'argent, un chèque, voire des valeurs mobilières. Aucune condition de forme n'est exigée.
Le don manuel peut consister en un simple jeu d'écritures. Les conditions de validité sont celles des libéralités : accord réciproque des deux parties, cause licite, capacité juridique notamment. De surcroît, le don manuel suppose qu'il y ait transmission réelle. Comme toutes les donations, le don manuel est irrévocable, seules les donations de biens à venir entre époux faisant exception.
Deux dispositions du CGI sont au cœur de ce litige :
L'article 757 du CGI, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, dispose que le fait générateur de l'imposition des dons manuels aux droits de mutation à titre gratuit est constitué soit par l'acte renfermant la déclaration de ce don par le donataire ou ses représentants, soit par la reconnaissance judiciaire du don, soit par sa révélation à l'administration fiscale. Cette disposition fixe notamment le principe selon lequel la valeur imposable du don manuel est déterminée à la date de sa révélation.
L'article 9 de la LFR2011-I du 29 juillet 2011 a modifié l'article 757 du CGI en instaurant une règle d'évaluation du don manuel à sa valeur au jour de la déclaration ou de l'enregistrement, ou, à défaut, sur sa valeur au jour de la donation si celle-ci est supérieure. Le paiement des droits serait donc calculé en prenant pour base la valeur du don, non pas au moment où il est effectué, mais au moment où il est révélé.
En outre, l'article 9 a, s'agissant du barème applicable aux dons manuels révélés, précisé qu'il fallait prendre en compte le tarif et les abattements en vigueur au jour de l'enregistrement, et non au jour de la révélation.
L'article 784 du CGI prévoit, quant à lui, que les parties sont tenues de faire connaître, dans tout acte constatant une transmission entre vifs à titre gratuit, s'il existe ou non des donations antérieures consenties à un titre et sous une forme quelconque par le donateur au donataire et, dans l'affirmative, le montant de ces donations. Dans ce cas, la perception des droits est effectuée en ajoutant à la valeur des biens compris dans la donation celle des biens qui ont fait l'objet de donations antérieures (à l'exception de celles passées au-delà d'un certain délai). Cette disposition permet notamment de déterminer la valeur imposable des dons antérieurs à la date de leur réalisation et non à celle de leur révélation.
L'articulation de ces deux textes soulevait une question : un don manuel non déclaré lors d'une donation ultérieure, mais révélé plus tard à l'administration fiscale, doit-il être imposé selon l'article 757 (à sa valeur au jour de la révélation) ou selon l'article 784 (à sa valeur au jour de sa réalisation) ?
Rappel des faits :
Dans cette affaire, M. E. a bénéficié d'un don manuel consenti par son grand-père le 4 décembre 2009. Le 16 décembre 2010, il a également bénéficié d'une donation de biens immobiliers consentie par ce même grand-père, formalisée par un acte authentique. Cependant, le don manuel de 2009 n'a pas été mentionné dans cet acte.
C'est seulement le 18 juillet 2014, dans le cadre du dispositif de régularisation des avoirs détenus à l'étranger non déclarés, que M. E. a révélé à l'administration fiscale l'existence de ce don manuel. L'administration fiscale a alors imposé ce don aux DMTG sur le fondement de l'article 757 du CGI, en retenant sa valeur à la date de sa révélation.
Les impositions ont été mises en recouvrement le 31 octobre 2016. M. E., contestant le calcul de ces droits, a formé une réclamation contentieuse qui a été rejetée par l'administration fiscale le 13 septembre 2018. Il a ensuite assigné l'administration en décharge partielle des impositions réclamées.
Débouté en première instance par le tribunal judiciaire de Paris le 7 mai 2021, puis en appel par la CA de Paris le 20 février 2023, M. E. s'est pourvu en cassation.
- M. E. soutenait que les dispositions de l'article 784 du CGI devaient s'appliquer à son cas, indépendamment du rapport effectif du don manuel à l'acte de donation postérieur. Selon lui, les dons manuels non déclarés ou révélés précédemment sont soumis aux droits de mutation à titre gratuit dès lors qu'un acte renfermant une donation entre les mêmes parties intervient dans le délai de rappel, que ces dons aient ou non été effectivement rapportés à l'acte.
- L'administration fiscale considérait, quant à elle, que l'article 784 du CGI n'était applicable que si les parties avaient fait connaître, dans un acte de transmission entre vifs à titre gratuit, des donations antérieures consenties par le donateur au donataire, ainsi que leur montant. En l'absence de mention du don manuel de 2009 dans l'acte authentique de donation du 16 décembre 2010, elle estimait que ce don devait être imposé selon les dispositions de l'article 757 du CGI, c'est-à-dire à sa valeur au jour de sa révélation.
La Cour de cassation rejette le pourvoi de M. E. et confirme l'arrêt de la cour d'appel.
Elle considère que les dispositions de l'article 784 du CGI ne pouvaient pas fonder l'imposition du don manuel aux droits de mutation à titre gratuit, dès lors que celui-ci n'avait pas été rapporté à la donation du 16 décembre 2010 et n'avait été révélé à l'administration fiscale que postérieurement à cette date.
La Haute juridiction approuve donc la CA d'avoir jugé que le don manuel devait être imposé, sur le fondement de l'article 757 du CGI, sur sa valeur à la date de sa révélation (18 juillet 2014).