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Impôt sur la fortune

IFI et OBO immobilier : quand la preuve de l’objectif patrimonial fait échec à la non-déductibilité des dettes

Nouvelle décision concernant l’application du dispositif anti-abus de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) visant à encadrer la déductibilité des dettes dans le cadre de schémas de type « vente à soi-même » (OBO). En faisant prévaloir une analyse d'ensemble de la stratégie patrimoniale du contribuable sur une application littérale du texte, le juge rappelle que la finalité d'une opération ne saurait être réduite à sa seule conséquence fiscale immédiate. Cette décision, favorable au contribuable 😅, mérite une attention particulière tant elle offre des pistes de réflexion et de sécurisation pour les professionnels du droit et du chiffres accompagnant leurs clients dans l'organisation de leur patrimoine

 

Depuis l’instauration de l'IFI par la loi de finances pour 2018, la question de la déduction des dettes contractées pour l’acquisition d’actifs immobiliers constitue un enjeu central. Au cœur de notre sujet se trouve l’article 973-II du CGI. Ce texte a pour objet de neutraliser, pour la valorisation des parts de sociétés, la prise en compte de dettes contractées par la société pour acquérir un actif imposable auprès du redevable lui-même ou d'un membre de son foyer fiscal qui la contrôle.

 

Ce mécanisme vise directement les schémas dits de « vente à soi-même » (ou Owner Buy Out - OBO immobilier) par lesquels un contribuable vend un bien immobilier à une société (généralement une SCI) qu’il contrôle, le prix de vente étant financé par un prêt, souvent inscrit en compte courant d’associé au nom du vendeur. L’effet est double : le contribuable transforme un actif immobilier taxable en une créance (le compte courant) non taxable à l’IFI, tandis que la valeur de ses parts dans la SCI est diminuée à due concurrence de la dette.

 

Conscient que de telles opérations peuvent poursuivre des objectifs patrimoniaux légitimes, le législateur a toutefois inséré une clause de sauvegarde. Le dispositif de non-prise en compte de la dette ne s’applique pas...

...si le redevable justifie que le prêt n'a pas été contracté dans un objectif principalement fiscal .

 

Toute la complexité et l’enjeu du contentieux reposent sur l’interprétation de cette notion d’« objectif principalement fiscal », dont la charge de la preuve incombe au contribuable.

 

Pour mémoire, l'administration fiscale précise à cet effet :

 

La notion d'objectif principalement fiscal est plus large que la notion de but exclusivement fiscal au sens de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales (LPF), relatif à l’abus de droit fiscal (BOI-CF-IOR-30).

Est susceptible de caractériser un objectif principalement autre que fiscal l'hypothèse où la dette a été souscrite avant la création de l'IFI au 1er janvier 2018, ou à une date nettement antérieure à celle à compter de laquelle le foyer fiscal est devenu redevable de cet impôt.

Lorsque la dette contractée par la société ou l'organisme mentionnée aux 1°, 2° et 4° du II de l'article 973 du CGI est mise en place avec plusieurs objectifs différents, l’analyse du caractère principal de l’un des objectifs résulte d’une appréciation de fait tenant notamment compte du montant de l’économie d'impôt résultant de la minoration de l'assiette imposable à l'IFI rapporté à l’ensemble des gains ou avantages de toute nature obtenus du fait du montage.

 

BOI-PAT-IFI-20-30-30, n°240

 

Rappel des faits :

M. et Mme H, agriculteurs retraités, ont constitué deux SCI, T et J, en vue d’organiser de leur vivant la transmission de leur patrimoine immobilier, composé notamment de biens situés à Paris et dans l’Oise. La SCI T a acquis certains biens appartenant initialement à Mme H., le financement reposant sur un prêt bancaire et un compte courant d’associés.

 

Dans le cadre d’un contrôle IFI, l’administration a estimé que les dettes figurant au passif de la SCI T entraient dans le champ de la clause anti-abus de l’article 973-II CGI. Considérant que ces dettes avaient été contractées auprès des époux eux-mêmes, et en vue d’acquérir leurs propres biens, l’administration a réintégré les montants concernés dans l’assiette taxable, ce qui a entraîné des suppléments d’imposition pour 2020 et 2021.

L’administration fiscale invoquait le caractère artificiel du montage, insistant sur la coïncidence entre le transfert de biens par les époux à leur propre SCI et la constitution de dettes auprès d’eux-mêmes. Selon elle, les avantages patrimoniaux allégués ne masquaient pas l’objectif principal : réduire la base imposable à l’IFI. Elle se fondait sur la doctrine BOI-PAT-IFI-20-30-30, qui admet une conception large de l’« objectif principalement fiscal ».

 

Les contribuables ont contesté cette position en soutenant que l’opération répondait à des objectifs patrimoniaux légitimes : équilibrage des patrimoines entre époux, constitution d’un outil de gestion adapté à la transmission familiale et préparation d’une donation-partage. Le décalage dans la mise en œuvre de la donation (finalisée en 2022) s’expliquait par des circonstances factuelles indépendantes de leur volonté (santé, crise sanitaire, réorganisation notariale). Ils faisaient également valoir que la constitution de deux SCI s’inscrivait dans un plan global de transmission, confirmé par la donation-partage de 2022. Le recours à un compte courant d’associés et à un emprunt bancaire répondait à des contraintes pratiques et financières, et non à une volonté de contourner la loi fiscale. L’économie d’IFI n’était qu’un effet accessoire d’une opération essentiellement patrimoniale.

 

 

Le Tribunal judiciaire de Compiègne vient de donner raison aux époux H prononcant le dégrèvement des impositions

 

Le juge a d'abord rappelé que le cœur du litige était la notion d'« objectif principalement fiscal » et qu'il appartenait bien au redevable de renverser la présomption. Il a jugé qu'il convenait de mettre en balance, d'une part, l'économie d'impôt réalisée (en l'espèce, l'économie d'IFI) et, d'autre part, l'ensemble des gains et avantages non fiscaux procurés par le montage. Au cas particulier, le tribunal a considère que les époux H rapportaient cette preuve. Il a retenu que l'opération litigieuse...

...s'inscrit dans une opération patrimoniale plus large qui repose sur la création de deux SCI et l'organisation de la succession du redevable.

 

Partant, il a validé l'argument de la stratégie globale. Il a accepté les justifications apportées par les contribuables concernant le décalage chronologique entre la création de la SCI et la donation-partage. Il a souligée que les textes n'imposent aucune « unité de temps » et que les circonstances de fait invoquées (santé, crise sanitaire) étaient crédibles et justifiaient le délai. La mention de l'ensemble des opérations dans l'acte de donation-partage final vient, aux yeux du juge, confirmer la cohérence et la préexistence du projet.

 

En résumé, il a considéré que :

  • La donation-partage, bien que postérieure à la constitution de la SCI, démontrait la cohérence d’ensemble du projet de transmission.

  • Les aléas invoqués (santé, crise sanitaire, contraintes notariales) justifiaient le décalage chronologique.

  • L’équilibrage patrimonial et la recherche de liquidités constituaient des motifs extra-fiscaux réels et sérieux.

  • L’économie d’IFI réalisée demeurait marginale par rapport aux coûts et avantages patrimoniaux de l’opération.

En définitive, le tribunal conclut qu'au regard des avantages patrimoniaux recherchés (faciliter la transmission, éviter l'indivision, rééquilibrer les patrimoines, dégager des liquidités) et du coût des opérations, l'économie d'IFI ne constituait pas l'objectif principal du montage. Le juge a ainsi estimé que la preuve de l’absence d’objectif principalement fiscal était rapportée et a prononcé le dégrèvement sollicité.

 

TL;DR

  • Bien qu'il s'agisse d'une décision de première instance, ce jugement confirme qu'un montage de type « vente à soi-même » reste défendable, à condition qu'il ne soit pas une fin en soi mais l'une des étapes d'un projet patrimonial plus vaste, cohérent et, surtout, documenté. La capacité à prouver l'antériorité et la réalité des objectifs non fiscaux est décisive. 
  • L'appréciation du caractère « principalement fiscal » ne se résume pas à un calcul mathématique comparant l'économie d'impôt à la valeur des actifs. C'est une analyse qualitative qui doit tenir compte de tous les aspects juridiques, économiques et familiaux de l'opération.
  • En validant l'argumentaire fondé sur la préparation de la transmission et le rééquilibrage patrimonial, le tribunal légitime des objectifs qui sont au cœur de la pratique de l'ingénierie patrimoniale. 

 

Publié le mardi 16 septembre 2025 par La rédaction

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