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Impôt sur les sociétés

Assujettissement à l'IS d'une SCI : la sous-concession de droits incorporels ne caractérise pas l'exercice d'une activité commerciale

Le juge de l'impôt, précisant les contours de la qualification d'acte de commerce nous confirme qu'une SCI qui sous-concède des droits de reproduction d'œuvres d'art sans exercer d'activité d'exploitation commerciale conserve sa translucidité fiscale et ne saurait être assujettie à l'impôt sur les sociétés.

 

Pour mémoire, le régime fiscal des sociétés civiles est gouverné par le principe de translucidité fiscal, posé à l'article 8 du CGI, en vertu duquel la société n'est pas elle-même le redevable de l'impôt sur les bénéfices. Ce sont ses associés qui sont personnellement imposés pour la part des bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société.  Toutefois, l'article 206-2 du CGI prévoit une exception lorsque les sociétés civiles qui se livrent à une exploitation ou à des opérations de nature industrielle ou commerciale sont, en raison de leur objet ou de leur activité, passibles de l'impôt sur les sociétés.

 

Toute la difficulté réside alors dans la définition de l'activité commerciale. Le droit fiscal, notamment par l'intermédiaire de l'article 34 du CGI, s'en remet largement aux qualifications du droit commercial. Sont ainsi visées les activités qui relèvent de la liste des actes de commerce réputés tels par l'article L. 110-1 du Code de commerce, à la condition qu'ils soient exercés à titre habituel et dans un but lucratif, caractérisant ainsi une véritable entreprise.

 

Dans l'affaire qui nous occupe, l'administration fiscale a successivement tenté de qualifier l'activité de la SCI de celle d'un agent d'affaires (art. L. 110-1, 6°) ou d'une entreprise de location de meubles (art. L. 110-1, 4°), avant de proposer, à titre subsidiaire, la qualification de location d'un établissement commercial muni de son matériel (Art. 35, 5° du CGI).

 

Rappel des faits :

La SCI VHI dont Monsieur A est le dirigeant et principal associé, est propriétaire d'un bien immobilier dénommé le Domaine de la Source, situé à Saint-Romain-au-Mont-d'Or dans le Rhône. Par un contrat du 9 décembre 1999, elle a signé avec quatre artistes-auteurs, dont Monsieur A lui-même, un accord prévoyant la transformation du domaine en un corpus d'œuvres d'art dénommé la Demeure du Chaos, dont la SCI recevait l'usufruit.

Par un avenant du 21 janvier 2005, les artistes ont concédé à la SCI le droit de reproduction des œuvres pour une durée de sept ans, en contrepartie de la prise en charge par celle-ci des frais de réalisation des œuvres. Puis par une premier contrat daté du 30 juin 2006, la  SCI a sous-concédé ce droit de reproduction à la société GS, également dirigée par Monsieur A, et à ses filiales, pour une durée de trois ans avec effet au 1er janvier 2006, moyennant une rémunération de 900 000 €HT. Un second contrat, daté du 31 décembre 2006, a organisé le transfert à une autre filiale de GS, la société L'Organe de la prise en charge des frais de réalisation des œuvres et de la gestion des droits afférents, pour une durée de trois ans avec effet au 30 juin 2006, en contrepartie d'une rémunération identique de 900 000 €HT

À la suite d'une vérification de comptabilité l'administration fiscale a considéré que la SCI VHI exerçait une activité commerciale. Elle a en conséquence remis en cause les revenus fonciers imposables à l'impôt sur le revenu que la société avait déclarés au titre des années 2006 et 2007 et établi un bénéfice imposable à l'IS au titre de l'exercice clos en 2006 d'un montant de 1,16 M€, assorti de la majoration pour manquement délibéré.

  • Le TA de Lyon, par jugement du 5 février 2019, a rejeté la demande en décharge de la SCI
  • La CAA de Lyon, par arrêt du 4 novembre 2021, a prononcé la décharge des cotisations d'IS en litige
  • Le Conseil d'État, par une première décision du 28 septembre 2022, a annulé les articles 1er à 3 de cet arrêt et renvoyé l'affaire à la CAA de Lyon
  • Statuant après renvoi, la CAA de Lyon a, par arrêt du 6 avril 2023, rejeté l'appel formé par la SCI VHI contre le jugement du tribunal administratif de Lyon, validant ainsi l'imposition contestée.

C'est contre cet arrêt que la société a formé un second pourvoi en cassation devant le Conseil d'État.

 

Pour justifier l'imposition a l'IS l'administration a proposé  3 qualifications successives :

  • Elle a d'abord soutenu que les opérations résultant de la sous-concession du droit de reproduction constituaient une activité d'agent d'affaires au sens de l'article L. 110-1-6° du code de commerce. Selon cette analyse, la SCI VHI gérait pour le compte des artistes-auteurs les droits de reproduction de leurs œuvres, caractérisant ainsi une activité de bureau d'affaires relevant du commerce.
  • Subsidiairement, l'administration avançait que l'activité de la SCI caractérisait une entreprise de location de meubles au sens de l'article L. 110-1-4° du code précité, les droits de reproduction étant assimilés à des biens meubles incorporels donnés en location moyennant rémunération.
  • Enfin, dans le dernier état de ses écritures devant le Conseil d'État, la ministre a demandé le maintien des impositions en substituant à l'article 34 du CGI l'article 35-5° du même code, relatif aux personnes qui donnent en location un établissement commercial ou industriel muni du mobilier ou du matériel nécessaire à son exploitation. 

 

Le Conseil d'Etat vient successivement de rejeter chacun des fondements juridiques invoqués par l'adminitration pour justifier l'assujettissement à l'IS.

 

Concernant la qualification d'agent d'affaires

Il juge que la cour a "inexactement qualifié les faits" en retenant cette qualification. La Haute Juridiction rappelle la définition même de l'agent d'affaires, qui est un intermédiaire s'entremettant dans les affaires d'autrui. Or, en l'espèce, la SCI VHI n'agissait pas pour le compte des artistes ou de tiers. En sous-concédant le droit de reproduction, elle exploitait pour son propre compte un droit dont elle était elle-même devenue titulaire par un contrat de concession antérieur. Il n'y avait aucune entremise, aucun mandat, aucune gestion pour autrui. La censure est ici fondée sur une application stricte de la définition de l'acte de commerce.

 

S'agissant de la qualification de location de meubles

Il constate que le droit de reproduction a été sous-concédé sans que la rémunération du sous-concessionnaire soit fonction de l'exploitation effective des droits, et sans mise en œuvre, au titre de l'année 2006, de moyens matériels et humains. La juridiction relève que si de tels moyens peuvent être sous-traités, l'administration soutient elle-même que la somme versée en 2006 à la société L'Organe en rémunération de la prise en charge des frais de réalisation des œuvres et de la gestion des droits afférents était dénuée de contrepartie. Pour le juge, la SCI VHI ne peut être regardée comme exerçant à titre professionnel une activité de location de meuble.

 

Concernant la demande de substitution de base légale fondée sur l'article 35-5° du CGI

Cette disposition vise les personnes qui donnent en location un établissement commercial ou industriel muni du mobilier ou du matériel nécessaire à son exploitation. La juridiction refuse cette substitution en relevant que les bénéfices réalisés par la SCI VHI l'ont été à l'occasion de la sous-concession du droit de reproduction et non à l'occasion de la location d'un établissement meublé. Ainsi, le droit de reproduction d'œuvres d'art, bien qu'il puisse être considéré comme un bien meuble incorporel, ne constitue pas pour autant le mobilier ou le matériel d'un établissement commercial au sens de l'article 35-5° du CGI.

 

Réglant l'affaire au fond, le Conseil d'État en déduit que c'est à tort que le TA de Lyon a rejeté la demande de décharge de la cotisation d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes. La société obtient ainsi la décharge intégrale des impositions contestées.

Publié le jeudi 2 octobre 2025 par La rédaction

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