Pour le juge de l'impôt la condition de non-fractionnement prévue pour bénéficier du prélèvement forfaitaire libératoire de l'article 163 bis du CGI sur les prestations de retraite versées sous forme de capital est d'interprétation stricte, sans qu'il y ait lieu de tenir compte des motifs du fractionnement, fussent-ils liés à des contraintes légales étrangères.
Les prestations de retraite versées sous forme de capital sont, en application de l'article 79 du CGI, imposables à l'impôt sur le revenu.
Lorsqu’elles ne bénéficient pas d’une exonération expresse ou ne relèvent pas d’un régime d’imposition spécifique, les prestations de retraite servies sous forme de capital sont, sous réserve de l’incidence des conventions fiscales, imposables en France au barème progressif de l’impôt sur le revenu selon les règles des pensions de retraite. Elles peuvent bénéficier du système du quotient prévu à l’article 163-0 A du CGI qui permet d’atténuer la progressivité de l’impôt (cf I).
Toutefois, le contribuable peut opter pour un prélèvement forfaitaire libératoire au taux de 7,5 %. En effet, l’article 163 bis du CGI-II prévoit que les prestations de retraite versées sous forme de capital peuvent, sur demande expresse et irrévocable du bénéficiaire, être soumises à un prélèvement au taux de 7,5% qui libère les revenus auxquels il s’applique de l’impôt sur le revenu.
L’option pour le prélèvement de 7,5 % est autorisée lorsque le versement de la prestation de retraite en capital normalement imposable à l’impôt sur le revenu selon les règles des pensions et retraites n’est pas fractionné et si le bénéficiaire justifie que les cotisations versées durant la phase de constitution des droits, y compris le cas échéant par l’employeur, étaient déductibles de son revenu imposable ou étaient afférentes à un revenu exonéré dans l’Etat auquel était attribué le droit d’imposer celui-ci.
Rappel des faits :
M. D, ancien salarié en Suisse et résident fiscal français, avait souscrit un régime de prévoyance professionnelle suisse dit "deuxième pilier". Lorsqu’il a quitté la Suisse en 2012, son avoir de vieillesse d'un montant de 1 113 685 francs suisses (composé d’une part obligatoire et d’une part sur-obligatoire) a été transféré à une institution de libre passage. Sa prestation de libre passage était composée d'une part obligatoire, d'un montant de 79 840 francs suisses, versée, sauf exceptions, lors du départ à la retraite, et d'une part dite " sur-obligatoire ", pouvant être perçue avant le départ en retraite notamment en cas de départ définitif de la Suisse. M. D... a demandé le 2 avril 2013 le paiement de cette part " sur-obligatoire ". Un premier versement est intervenu le 18 avril 2013, d'un montant de 707 170,80 francs suisses, suivi d'un second versement le 23 avril 2014, d'un montant de 254 872 francs suisses.
Ces versements fractionnés répondaient notamment à des contraintes réglementaires suisses visant à éviter la remise en cause de certains avantages fiscaux liés aux rachats d’années de cotisation.
M. D a déclaré un capital retraite de source suisse d'un montant de 631 934 € au titre de ses revenus de l'année 2013 et de 207 761 € au titre de ses revenus de l'année 2014. Ces montants ont été soumis sur option expresse des intéressés au prélèvement libératoire au taux de 7,5 % prévu par l'article 163 bis du CGI. A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a remis en cause le bénéfice du prélèvement libératoire et a assujetti les sommes en cause à l'impôt sur le revenu selon le régime prévu par les dispositions de l'article 79 et du a de l'article 158 du CGI. Les époux D ont, en conséquence, été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2013 et 2014, assorties d'intérêts de retard et de la majoration de 10 % prévue par l'article 1758 A du CGI. Après un rejet de leur demande par le tribunal administratif de Lyon en 2022, les époux D ont fait appel devant la CAA.
M. D fait valoir :
- que les versements de 2013 et 2014 devraient être considérés comme des versements uniques liés à des événements distincts, chaque événement correspondant à l’expiration d’une période de blocage réglementaire.
- que le fractionnement résultait de contraintes légales et administratives en Suisse, indépendantes de leur volonté.
- que la doctrine fiscale française (BOI-RSA-PENS-30-10-20) interprète de manière souple la condition d’unicité du versement, ce qui leur permettrait de bénéficier du prélèvement libératoire.
La Cour vient de rejeter la requête de M.D : la condition de non-fractionnement prévue pour bénéficier du prélèvement libératoire est d'interprétation stricte, sans qu'il y ait lieu de tenir compte des motifs du fractionnement, fussent-ils liés à des contraintes légales étrangères
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- La cour a confirmé que les deux paiements effectués en 2013 et 2014 constituaient un fractionnement, rendant inapplicable le prélèvement libératoire. Elle a rejeté l’interprétation selon laquelle chaque paiement correspondait à un fait générateur distinct.
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- La Cour a estimé qu'il n'y avait pas de contrainte extérieure indépendante : le fractionnement des versements résultait du choix de M. D. de demander un paiement anticipé pour éviter la remise en cause d’avantages fiscaux obtenus en Suisse. Ce choix n’étant pas imposé par une contrainte extérieure, il ne permet pas de déroger à la condition d’unicité.
- La Cour a estimé de la doctrine dont M. D se prévalait (BOI-RSA-PENS-30-10-20), ne donnait pas une interprétation différente de la loi fiscale.
4. Ainsi qu'il vient d'être dit, seule la part " sur-obligatoire " de l'avoir de vieillesse de M. D... lui a été versée en 2013 et 2014, la part obligatoire demeurant placée auprès de l'institution de libre passage jusqu'à son départ à la retraite.
Cette part " sur-obligatoire " provenant, en partie, de rachats d'années de contributions effectués moins de trois ans auparavant, son versement a, en outre, été opéré en deux fois, afin d'éviter une remise en cause de la déduction des sommes correspondantes des revenus imposables opérée lors de ces rachats, en application de l'article 79 b de la loi fédérale suisse sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité.
Il résulte ainsi de l'instruction que le versement de l'avoir de vieillesse a été fractionné, notamment au sens des dispositions précitées du II de l'article 163 bis du code général des impôts, lesquelles ne prévoient pas d'exception dans l'hypothèse où le fractionnement proviendrait d'une cause extérieure à la volonté du contribuable.
En tout état de cause, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme D..., d'une part, le choix d'user de la faculté prévue par la loi fiscale suisse de demander le paiement anticipé de la part " sur-obligatoire " de l'avoir de vieillesse de M. D... ne résulte d'aucune contrainte extérieure à leur volonté, le risque de dépréciation au fil du temps des sommes acquises ne constituant pas une telle contrainte.
D'autre part, le fractionnement de cette part résulte également du choix de l'intéressé de demander son paiement à une date à laquelle il ne pouvait la recevoir entièrement sous peine de voir remis en cause un avantage fiscal dont il avait bénéficié en Suisse alors que rien ne faisait obstacle à ce qu'il attende que trois ans se soient écoulés depuis tous les rachats effectués d'années de contribution. Dans ces conditions, l'administration a pu légalement se fonder sur le caractère fractionné du versement pour remettre en cause l'application du prélèvement libératoire aux sommes versées au titre de la part " sur-obligatoire " à M. D... en 2013 et 2014. Ainsi, le moyen tiré de ce que ces deux versements auraient dû bénéficier de ce régime dérogatoire doit être écarté.
La Cour adopte une position ferme en faveur d'une interprétation stricte de la condition de non-fractionnement. Elle considère que l'article 163 bis II du CGI ne prévoit aucune exception, même lorsque le fractionnement proviendrait d'une cause extérieure à la volonté du contribuable.
Elle relève par ailleurs que le fractionnement résultait en réalité de choix délibérés du contribuable : celui de demander le versement anticipé de la part sur-obligatoire et celui de le demander à une date où il ne pouvait recevoir l'intégralité des sommes sans perdre un avantage fiscal suisse.