Le juge de l'impôt vient de rendre une nouvelle décision qui rappelle les conditions d'exonération de retenue à la source pour les fonds d'investissement étrangers et qui invite ces fonds à être particulièrement vigilants sur la démonstration de l'indépendance entre leur dépositaire et leur gestionnaire, au-delà du simple respect de la réglementation de leur pays d'origine.
L’article 119 bis-2 du CGI prévoit une exonération des retenues à la souce concernant les distributions effectuées au profit d’OPC constitués sur le fondement d’un droit étranger situés dans un État membre de l’UE ou dans un autre État ou territoire ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales dans les conditions et limites précisées ci-après.
Pour bénéficier de l’exonération de la retenue à la source à raison des revenus distribués qui leur sont versés, les organismes susmentionnés doivent remplir les deux conditions cumulatives suivantes :
- lever des capitaux auprès d’un certain nombre d’investisseurs en vue de les investir, conformément à une politique d’investissement définie, dans l’intérêt de ces investisseurs ;
- présenter des caractéristiques similaires à celles des OPC de droit français
Le BOFIP précise :
les véhicules étrangers éligibles doivent présenter des caractéristiques similaires à celles des OPC de droit français énumérés au 2 de l’article 119 bis du CGI tenant notamment à leur surveillance par une autorité de tutelle, au niveau de la protection des porteurs de parts, à l'existence d’une société de gestion, à celle d’un dépositaire soumis à une surveillance prudentielle et indépendant de la société de gestion exerçant un rôle de garde des actifs du fonds et de surveillance des décisions de gestion prises par la société de gestion conformément aux obligations posées par les directives européennes (directive 2009/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009, art. 22 et suivants pour les OPC de type UCITS et directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011art. 21, pour les OPC de type FIA), et à la publication régulière des comptes par compartiments.
Rappel des faits :
Le fonds américain Northern Funds Active M A a demandé la restitution des retenues à la source prélevées sur les dividendes de source française qu'il a perçus entre 2009 et 2017. L'administration fiscale ayant rejeté ses réclamations, le fonds a saisi le Tribunal administratif de Montreuil.
Le fonds soutient :
- que le fonds se trouve dans une situation objectivement comparable à un organisme de placement collectif français, dont les dividendes perçus ne sont pas soumis à la retenue à la source.
- que l'imposition litigieuse contrevient aux articles 63 et 65 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), comme l'a jugé la CJUE dans l'arrêt Santander le 10 mai 2012
Par cette décision la CJUE a jugé que « les articles 63 et 65 du TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s'opposent à une réglementation d’un État membre qui prévoit l'imposition, au moyen d'une retenue à la source, des dividendes d'origine nationale lorsqu’ils sont perçus par des OPCVM résidents d'un autre État, alors que de tels dividendes sont exonérés d'impôts dans le chef des OPCVM résidents du premier État ». L’article 6 de la LFR pour 2012 a supprimé, sous certaines conditions, la retenue à la source, prévue au 2 de l'article 119 bis du CGI, sur les revenus distribués, à compter de la date de publication de la loi, soit à compter du 17 août 2012, à certains organismes de placement collectifs étrangers.
- que le fonds présente des caractéristiques similaires à celles d'un organisme de placement collectif de droit français, notamment en ce qui concerne l'indépendance entre son gestionnaire et son dépositaire.
Pour l'administration la comparabilité du fonds requérant avec un organisme de placement collectif français n'est pas établie, en l'absence d'indépendance entre le gestionnaire et le dépositaire du fonds.
Le Tribunal a rejeté les requêtes du fonds Northern Funds Active M A
- Le Tribunal a rappelé que l'application de la retenue à la source ne contrevient à la liberté de circulation des capitaux que si, notamment, la garde des actifs du fonds étranger est confiée à une société dépositaire indépendante de la société de gestion.
- Le Tribunal a constaté que le dépositaire (The Northern Trust Company) et le gestionnaire (Northern Trust Investments) du fonds font partie du même groupe et sont affiliés à la société Northern Trust Corporation.
- Le fonds n'a pas démontré l'existence de structures et de fonctionnements garantissant l'indépendance effective entre le dépositaire et le gestionnaire, ni la mise en place de politiques et procédures pour identifier et éviter les conflits d'intérêts.
- Le Tribunal a relevé que certains dirigeants occupaient simultanément des fonctions au sein du dépositaire et de la société de gestion.
- Le respect de la législation américaine et l'agrément de la Securities and Exchange Commission (SEC) ne sont pas suffisants pour établir une indépendance comparable à celle exigée des organismes de placement collectif français.
Il résulte de l'instruction que pour la période en litige, la garde des actifs du fonds requérant a été confiée à la société The Northern Trust Company, qu'a été désignée comme gestionnaire la société Northern Trust Investments et, que ces deux sociétés font partie d'un même groupe et sont affiliées à la société Northern Trust Corporation.
L'administration fait en conséquence valoir que le fonds requérant ne satisfait pas à la condition d'indépendance de son dépositaire et de sa société de gestion, dans la mesure où il n'établit ni la nature exacte des liens capitalistiques qui unissent ces sociétés, ni la mise en place d'une structure et d'un fonctionnement de nature à garantir leur indépendance effective ainsi que celle de leurs dirigeants.
Il ne résulte à cet égard pas de l'instruction que les contrats de dépositaire (" Custody agreement ") entre le trust Northern Funds et la société The Northern Trust Company du 1er avril 1994 et du 30 juin 2014 et les contrats de gestion (" Investment advisory and ancillary services agreement " et " Management agreement " respectivement) entre le trust Northern Funds et la société Northern Trust Investments du 29 janvier 2008 et du 30 juin 2014 contiennent des stipulations de nature à garantir, de manière suffisante, une indépendance fonctionnelle effective et à prévenir les conflits d'intérêt, dès lors qu'ils se bornent à interdire, d'une part, l'accès aux actifs du fonds aux agents des sociétés de gestion, et d'autre part la prise en compte par les sociétés de gestion de leurs activités bancaires dans leurs fonctions relatives au fonds. Le fonds requérant, qui n'a pas entendu produire d'organigramme, rapport d'audit d'organismes indépendants ou règlement interne permettant de vérifier l'indépendance fonctionnelle de ces sociétés ne justifie ainsi pas que le dépositaire et le gestionnaire ont mis en place des politiques et procédures garantissant qu'ils ont identifié tous les conflits d'intérêts découlant de leur lien et pris les mesures raisonnables pour éviter de tels conflits d'intérêts.
Il ressort d'ailleurs des rapports annuels du fonds qu'au moins trois " officers " du trust Northern Funds, à l'origine de la création du fonds, occupaient simultanément, au cours de la période en litige, des fonctions de direction ou un emploi salarié au sein du dépositaire The Northern Trust Company et de la société de gestion Northern Trust Investments.
Dans ces conditions, et alors que par ailleurs, si le requérant se prévaut de ce qu'il respecte la législation du pays dans lequel il est établi et produit un agrément relatif au fonds délivré par la Securities and Exchange Commission attestant de son respect des normes américaines de régulation, il ne résulte pas de l'instruction que les normes américaines conditionneraient la délivrance d'un tel agrément à la satisfaction d'une condition d'indépendance du dépositaire et des sociétés de gestion comparable à celle exigée des organismes de placement collectif français, le fonds requérant ne peut être regardé comme ayant confié la garde de ses actifs à un dépositaire agissant indépendamment de ses sociétés de gestion au sens des directives 2009/65/CE et 2011/61/UE et des articles L. 214-9 et L. 214-24-3 du code monétaire et financier. Il n'est, dès lors, pas fondé à invoquer une méconnaissance du principe de liberté de circulation des capitaux, ni davantage, à compter du 17 août 2012, l'application des dispositions nouvelles du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts.
Le tribunal
- confirme l'importance de l'indépendance entre le dépositaire et le gestionnaire d'un fonds d'investissement étranger pour bénéficier de l'exonération de retenue à la source sur les dividendes de source française.
- précise les éléments que le fonds doit apporter pour démontrer cette indépendance : nature des liens capitalistiques, structures et fonctionnements garantissant l'indépendance effective, politiques et procédures pour éviter les conflits d'intérêts.
- souligne que le respect de la réglementation du pays d'origine du fonds n'est pas suffisant pour établir la comparabilité avec un organisme de placement collectif français.