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Impôt sur les sociétés

Qualification fiscale des sociétés étrangères : critères d'assimilation d'une "Private Limited Company by Shares" britannique

Nouvel éclairage du juge de l'impôt sur la méthodologie d'assimilation des sociétés étrangères aux formes sociales françaises illustrant la complexité des enjeux liés à la qualification juridique des structures de droit étranger. Au cœur du litige se trouve une entité de droit britannique, et la question de son assujettissement à l'impôt sur les sociétés en France ainsi qu'à la retenue à la source sur les revenus distribués.

 

Le contexte de l'affaire s'articule autour des règles de qualification fiscale des sociétés étrangères. Selon une jurisprudence constante, le juge fiscal doit procéder à une démarche en deux temps : identifier d'abord le type de société française auquel la société étrangère est assimilable au regard de ses caractéristiques et du droit qui régit sa constitution, puis déterminer le régime fiscal applicable. Cette méthode d'assimilation conditionne l'application des articles 8 et 206 du CGI, qui déterminent respectivement le régime de transparence fiscale des sociétés de personnes et l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés.

 

Rappel des faits :

Le litige concerne la société britannique J, constituée sous la forme d'une "private limited company by shares" avec un associé unique personne physique. Cette société exerce une activité dans l'événementiel consistant en la mise à disposition de locaux et une activité d'apporteur d'affaires. Suite à une vérification de comptabilité, l'administration fiscale française l'a assujettie à l'impôt sur les sociétés pour les exercices 2014, 2015 et 2016, ainsi qu'à la retenue à la source prévue par l'article 119 bis du CGI, considérant qu'elle était assimilable à une société anonyme ou une SAS soumise à l'IS.

 

La procédure révèle une divergence d'interprétation entre les juridictions.

 

Le TA de Nice avait initialement prononcé la décharge des impositions litigieuses, considérant que la société était assimilable à une SARL unipersonnelle relevant du régime de transparence fiscale (En l'absence d'option pour l'impôt sur les sociétés, ses résultats devaient être imposés à l'impôt sur le revenu au nom de son associé unique). La CAA de Marseille a confirmé cette analyse en s'appuyant sur le fait que le certificat d'enregistrement mentionnait l'égalité des "shares", rapprochant ainsi le fonctionnement de la société britannique de celui d'une SARL française dont les parts sociales doivent être égales.

 

La Cour administrative d'appel de Marseille a fondé son assimilation de J à une SARL française sur le fait que le certificat d'enregistrement de la société mentionnait une égalité des actions ("shares") en termes de voix et de dividendes. Elle a considéré que cette caractéristique la rapprochait d'une SARL, dont les parts sociales sont égales et donnent un droit de vote égal, par opposition aux SAS qui ont la faculté d'émettre des actions de préférence. Selon la cour, l'absence d'actions de préférence était un élément discriminant essentiel.

 

L'administration fiscale s'est pourvue en cassation contre cette décision.

 

Son argumentation repose sur l'assimilation de la société britannique à une SAS, forme sociale française qui permet une grande liberté statutaire et peut émettre des actions de préférence. Cette qualification conduirait à l'application du régime de l'impôt sur les sociétés et de la retenue à la source sur les bénéfices réputés distribués aux associés non-résidents.

 

Le Conseil d'Etat vient d'annuler l'arrêt de la CAA de Marseille.

 

Il rappelle que la démarche du juge de l'impôt, face à une société de droit étranger, doit être de comparer l'ensemble de ses caractéristiques et de son droit régissant sa constitution et son fonctionnement avec les différents types de sociétés de droit français.

 

Il reproche aux juges du fond de s'être fondés uniquement de s'être fondée uniquement sur l'absence d'actions de préférence pour écarter l'assimilation à une SAS.

 

Le Conseil d'État souligne que la possibilité d'émettre des actions de préférence n'est qu'une faculté offerte aux SAS par l'article L. 228-11 du Code de commerce, et non une obligation. Dès lors, le fait qu'une SAS n'ait pas émis de telles actions ne saurait la distinguer d'une SARL, d'autant plus lorsque le capital est détenu par un seul associé. La liberté statutaire est une caractéristique fondamentale des SAS, et l'absence d'exercice d'une faculté ne peut constituer un critère d'assimilation contraignant.

En se fondant uniquement, pour assimiler la société de droit britannique Joy Events à une société à responsabilité limitée de droit français, sur la mention figurant sur le certificat d'enregistrement relative à l'égalité des " shares ", alors que l'émission d'actions de préférence, qui est seulement une faculté ouverte par l'article L. 228-11 du code de commerce, relève de l'exercice, par les actionnaires des sociétés par actions simplifiées de droit français, de la liberté statutaire qui caractérise ces sociétés et que, par suite, l'absence d'émission de telles actions ne saurait constituer l'élément discriminant entre ces deux catégories de sociétés de droit français, au demeurant inopérant lorsque le capital est détenu par une seule personne, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit.

 

 

Réglant l'affaire au fond, le Conseil d'État a examiné les statuts de la société J.

 

  • Il relève que cette dernière a partiellement adopté les statuts types ("model articles") prévus pour les "private company limited by shares" britanniques et que ses statuts particuliers reproduisent des stipulations types qui sont inadaptées à une situation d'associé unique. Pour le Conseil d'État, cette adoption de statuts types est révélatrice d'une absence de la liberté statutaire qui caractérise les SAS françaises.

 

En conséquence, la société J est assimilable à une SARL unipersonnelle de droit français.

 

Partant, en l'absence d'option pour l'impôt sur les sociétés prévue à l'article 206-3-e du CGI, les résultats de la société devaient être imposés à l'impôt sur le revenu au nom de l'associé unique dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.

Cette qualification écarte également l'application de la retenue à la source prévue aux articles 115 quinquies et 119 bis du CGI, celle-ci ne s'appliquant qu'aux bénéfices distribués par les sociétés soumises à l'IS.

 

Il résulte de l'instruction, d'une part, que le certificat d'enregistrement de la société Joy Events mentionne qu'elle adopte partiellement les statuts types (" model articles ") prévus pour les sociétés relevant du statut de " private company limited by shares " et, d'autre part, que ses statuts particuliers, accessibles sur la base des données publiques britanniques, reproduisent des stipulations types, insusceptibles pour certaines d'entre elles de régir, en termes de constitution et de fonctionnement, la situation d'unicité d'associé qui la caractérise au cours des exercices et des années en litige. L'adoption de tels statuts types révèle ainsi que la société Joy Events n'a pas été constituée à l'aune de la liberté statutaire caractéristique des sociétés par actions simplifiées de droit français. Dans ces conditions, la société Joy Events est assimilable à une société à responsabilité limitée. Cette société comprenant un unique associé qui était, au titre des années en litige, une personne physique, ses résultats au titre de ces années étaient, en l'absence d'option en faveur de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés, imposables à l'impôt sur le revenu au nom de celui-ci dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ainsi qu'il résulte de l'article 8 du code général des impôts cité au point 3. Par voie de conséquence, les dispositions combinées de l'article 115 quinquies et du 2 de l'article 119 bis du même code cités au point 4, relatives à la retenue à la source prélevée sur les bénéfices réputés distribués à des associés non-résidents, ne lui étaient pas non plus applicables au titre des années en litige.

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié le lundi 28 juillet 2025 par La rédaction

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