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Impôt sur les sociétés

Régime des sociétés mères et pertes de change : règles d'application en cas de dividendes libellés en devises

Le juge de l'impôt répond à la question de savoir si les pertes de change doivent être traitées comme des éléments accessoires du dividende et déductibles qu'à concurrence de la quote-part de frais et charges de 5%, ou comme des opérations distinctes relevant des règles de droit commun.

 

Le régime des sociétés mères, codifié aux articles 145 et 216 du CGI, permet l'exonération des dividendes reçus de filiales moyennant une quote-part forfaitaire de frais et charges fixée à 5%. Ce mécanisme vise à éviter la double imposition des bénéfices distribués au sein des groupes de sociétés.

Parallèlement, l'article 38-4° du CGI impose la prise en compte des écarts de conversion des devises à la clôture de chaque exercice, ces variations étant intégrées au résultat imposable selon les règles comptables de droit commun.

 

Rappel des faits :

L'espèce concerne le groupe S, dirigé par la société Etablissement S en qualité de société mère du groupe fiscalement intégré. Sa filiale Sa, spécialisée dans le stockage et la commercialisation de productions agricoles, a reçu un dividende de sa filiale tchèque Sat suite à une délibération du 31 octobre 2013. Ce dividende, libellé en couronne tchèque, a été comptabilisé pour une contre-valeur de 14 524 333 € le 1er novembre 2013, mais payé le 21 novembre suivant pour un montant inférieur en raison de la dépréciation de la devise tchèque dans l'intervalle.

 

La société Établissement S a été soumise à un contrôle fiscal qui a remis en cause :

  • Les modalités d'application du régime des sociétés mères concernant un dividende en couronnes tchèques perçu par sa filiale Sa.
  • La détermination des charges financières nettes du groupe, notamment s'agissant des intérêts versés par Sa dans le cadre de "conventions de compte courant" avec des agriculteurs.

À la suite de ces rectifications, la société s'est vu réclamer des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités.

 

Le TA de Montreuil a partiellement donné raison à la société concernant le régime des sociétés mères, mais a rejeté ses conclusions sur les charges financières nettes. La CAA de Paris a, quant à elle, fait droit à l'appel du ministre sur le régime des sociétés mères, remettant en cause la déduction intégrale de la perte de change, et a rejeté l'appel de la société sur la prise en compte des intérêts des conventions de compte courant. La société Établissement S s'est pourvue en cassation.

 

La société Établissement S estime

  • que la perte de change était pleinement déductible, indépendamment du régime mère-fille,
  • et que les intérêts perçus au titre des conventions de compte courant devaient être qualifiés de produits financiers venant en déduction des charges financières nettes.

De son côté l'administration fiscale soutient

  • que la perte de change constatée entre la décision de distribution et le paiement effectif du dividende ne pouvait être déduite qu'à concurrence de la quote-part de frais et charges de 5%, considérant que cette perte constituait un élément indissociable du dividende lui-même. Concernant les conventions de compte courant, l'administration considérait les intérêts comme des charges financières à réintégrer partiellement.

 

Le Conseil d'État a tranché cette controverse.

  • Concernant le régime des sociétés mères et les pertes de change :

Le juge de l'impôt rappelle d'abord que l'application du régime des sociétés mères intervient au titre de l'exercice au cours duquel la distribution a été décidée dans son principe et son montant, et porte sur le montant arrêté par la décision de distribution, non sur celui effectivement perçu. Le régime d'exonération s'applique au dividende tel qu'il a été délibéré, indépendamment des variations ultérieures.

Le Conseil d'État établit une distinction entre l'application du régime des sociétés mères et le traitement des pertes de change. Il précise que l'évolution du cours de change entre la décision de distribution et le paiement effectif conduit, indépendamment de l'application du régime mères, à la constatation d'une perte ou d'un gain de change soumis aux règles comptables et fiscales de droit commun. Cette perte de change, relevant des règles générales de comptabilisation des opérations en devises prévues à l'article 38-4° du CGI, est intégralement déductible du résultat de l'exercice de paiement.

 

En cas de distribution de dividendes libellés en monnaie étrangère, l'application du régime mère-fille porte sur le montant du dividende décidé, quelle que soit la variation de sa contre-valeur en euros.

Les pertes ou gains de change sont des éléments distincts qui sont, en application des règles comptables (auxquelles aucune règle fiscale ne déroge), intégralement déductibles ou imposables au titre de l'exercice de leur constatation.

 

Par conséquent, pour la haute juridiction administraive, la CAA de Paris a commis une erreur de droit en limitant la déduction de la perte de change à 5 % de son montant. Sur ce point, le Conseil d'État a annulé l'arrêt d'appel et confirmé la décharge prononcée par le TA.

 

  • Concernant le dispositif de plafonnement des charges financières nettes :

Le Conseil d'État a confirmé que les intérêts dus par la société Sa dans le cadre de "conventions de compte courant" avec les agriculteurs doivent être analysés comme la rémunération de sommes laissées à disposition, et non comme des pénalités de retard. Ces intérêts constituaient donc bien des charges financières au sens de l'article 212 bis III du CGI et devaient être incluses dans le calcul des charges financières nettes du groupe.

Cependant, le Conseil d'État a constaté que la cour d'appel avait commis une insuffisance de motivation en omettant de répondre à l'argumentation subsidiaire de la société selon laquelle les intérêts perçus par Sa en application de ces mêmes conventions devaient être qualifiés de produits financiers et venir en diminution du montant des charges financières nettes. Le montant des charges financières nettes est la différence entre le total des charges financières et celui des produits financiers. Partant, le Conseil d'État a annulé l'arrêt d'appel et renvoie l'affaire à la Cour administrative d'appel de Paris pour qu'elle se prononce sur ce point.

 

Rappelons que depuis 2020, le cadre législatif concernant la déductibilité des charges financières en France a connu des évolutions, principalement sous l'impulsion des directives européennes anti-abus (ATAD). Ces changements ont modifié les articles 212 et 212 bis du CGI

 

Publié le lundi 28 juillet 2025 par La rédaction

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