Successions internationales : dans quels cas un enfant peut-il être déshérité ?

30/03/2018 Par Equance
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Toute personne possédant une partie de son patrimoine à l’étranger est concernée par les règles de succession internationales en cas de décès. Ces règles, revenues au cœur de l’actualité depuis la succession Johnny Hallyday, méritent d’être mieux connues de la part des particuliers.

Réfléchir à sa succession n’est pas toujours chose aisée, mais cette question se pose dès lors que l’on possède un patrimoine complexe, en particulier si celui-ci n’est pas situé uniquement en France.

Depuis le 17 août 2015, date d’entrée en vigueur du règlement européen n°650/2012 sur les successions, la loi applicable aux successions internationales sur le plan civil est celle du pays de la résidence habituelle du défunt.

Ce règlement européen a une vocation universelle et s’impose donc à tous les pays signataires, soit 24 des 27 pays de l’Union (à l’exception de l’Angleterre, du Danemark et de l’Irlande). Toute personne décédée sur leur sol y sera soumise, quelle que soit sa nationalité, ainsi que tous les ressortissants de ces pays quel que soit le lieu de leur décès. Les pays non signataires confronteront le Règlement européen avec leurs propres règles de Droit International Privé.

La réserve héréditaire, un sujet conflictuel

Ce règlement peut néanmoins aboutir à des situations de conflits entre les lois successorales de deux pays. Comme l’ont illustré les affaires Johnny Hallyday et Maurice Jarre, le conflit peut notamment concerner la question de la réserve héréditaire. Celle-ci désigne le fait qu’une personne ne puisse pas déshériter ses propres enfants. En France, la réserve héréditaire s’applique, alors que cela n’est pas le cas dans le droit britannique ou américain par exemple.

Si la dernière résidence habituelle d’une personne française est située à l’étranger, dans un pays où la réserve héréditaire n’est pas reconnue, et que cette personne a décidé de léguer son patrimoine à une tierce personne sans tenir compte de ses propres enfants, la loi du pays concerné prime par rapport à la loi française et les enfants concernés ne disposent en principe d’aucun recours contre cette décision, y compris pour les biens situés en France.

En effet, l’exception d’ordre public international, qui peut permettre d’empêcher l’application d’une loi étrangère lorsque celle-ci est en désaccord avec la législation française, ne s’applique pas ici. Le 27 septembre 2017, dans l’affaire de la succession du compositeur Maurice Jarre, la Cour de cassation a en effet rendu un arrêt stipulant qu’« une loi étrangère (…) qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français » .

Quelles exceptions pour conserver la réserve héréditaire ?

Néanmoins, la Cour de cassation a prévu certaines exceptions, en évoquant les cas aboutissant à une « situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels » . En clair : il n’est pas possible de déshériter des ayants-droits français par application d’une loi étrangère si ceux-ci se retrouvent dans une situation de précarité économique.* Sont ainsi envisagés les cas où les enfants déshérités sont encore mineurs lors de la succession, ainsi que le cas des adultes handicapés.

L’application de la loi étrangère peut également être invalidée dans le cas où une personne a établi sa résidence principale à l’étranger peu de temps avant son décès tout en conservant des liens manifestement plus étroits avec la France qu’avec son nouveau lieu de résidence. Dans ce cas, il peut être considéré que le changement de domiciliation a été un moyen intentionnel de contourner la loi française applicable. Les « liens manifestes » en question désignent par exemple le fait que le conjoint de cette personne résidait toujours en France et/ou que la totalité de son patrimoine, en-dehors de sa résidence principale, était restée en France.

Aucune exception ne s’applique en revanche pour les personnes binationales, qui peuvent choisir librement si leur succession sera régie par la loi successorale de l’un ou l’autre des Etats dont elles possèdent la nationalité. Ce choix doit toutefois être formulé de manière expresse sous forme de testament ou de pacte successoral pour être incontestable.

Fiscalité successorale : un sujet indépendant

Quant à la fiscalité des successions internationales, celle-ci est traitée indépendamment, en se référant aux dispositions des conventions fiscales établies entre les pays concernés, ou à défaut en se référant aux conventions internationales. Ces textes permettent d’éviter une double imposition de la succession en permettant par exemple aux ayants-droits de bénéficier d’un crédit d’impôt dans l’un des deux pays concernés.

Un bien pourra donc être transmis en application de la loi d’un premier pays, tout en restant soumis à la fiscalité d’un second pays. Ce cas reste rare, la résidence habituelle du défunt restant généralement le pivot permettant de déterminer dans quel pays s’appliquera la fiscalité de la succession, allant de pair avec le traitement des autres questions successorales.

Enfin, il est important d’avoir à l’esprit qu’avant de liquider une succession, se pose la question de la liquidation du régime matrimonial. Celui-ci va lui-même subir les contraintes du droit international privé, notamment en ce qui concerne la mutabilité du régime matrimonial. Certaines conséquences restent encore méconnues en matière de protection du conjoint.

Par Olivier Grenon-Andrieu, président d’Equance

Tribune d’Equance du 27 mars 2018

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