Le juge de l'impôt vient de nous rappeler que l'existence d'une convention de trésorerie de groupe et la comptabilisation d'écritures réciproques ne suffisent pas à justifier la déductibilité d'une provision pour créance douteuse lorsque la réalité des flux financiers dément l'apparence comptable.
Pour mémoire, les dispositions de l'article 39-1-5° du CGI, applicables en matière d'impôt sur les sociétés par renvoi de l'article 209 du même code, subordonnent la déductibilité des provisions à plusieurs conditions cumulatives. La perte ou la charge provisionnée doit être nettement précisée, rendue probable par des événements en cours, et effectivement constatée dans les écritures de l'exercice.
S'agissant des provisions pour créances douteuses, le contribuable doit établir l'existence même de la créance avant de pouvoir justifier du risque de non-recouvrement.
Parallèlement, l'article 38-2 du CGI définit le bénéfice imposable comme la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de l'exercice. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total du passif constitué notamment par les créances des tiers et les provisions justifiées. Il incombe au contribuable de justifier l'inscription d'une dette au passif de son bilan.
Rappel des faits :
L'Eurl E exerçe une activité d'édition de livres et de calendriers. Son capital est détenu par la société civile Holding G, elle-même propriété des époux A en qualité d'associés majoritaires. Cette holding détient également une seconde filiale, la Sarl BSG, active dans la restauration rapide.
Le 3 mai 2017, les trois sociétés avaient conclu une convention de trésorerie conférant à la Holding G un rôle de centralisatrice, lui permettant d'utiliser dans l'intérêt de chacune des sociétés leurs excédents de trésorerie éventuels.
Au titre de l'exercice clos le 31 octobre 2018, l'Eurl E a inscrit dans sa comptabilité une créance de 217 155 € au compte 451 au nom de sa maison mère, la Holding G. Elle a constitué une provision pour créance douteuse de 180 000 € au motif du risque de non-remboursement de cette somme. Par ailleurs, une somme de 33 533 € figurait au passif du bilan comme dette envers la Holding G.
La vérification de comptabilité a fait apparaître que l'essentiel des flux financiers transitant par le compte 451 correspondait en réalité à des prélèvements personnels effectués par M. et Mme A. Le solde réel de ce compte s'avérait en définitive créditeur de 3 900 € seulement, et non débiteur de 217 155 € comme l'affirmait la société.
À l'issue du contrôle, l'Eurl E a fait l'objet d'une cotisation supplémentaire d'IS au titre de l'exercice 2018, assortie de la majoration de 40% pour manquement délibéré. Cette rectification portait sur deux chefs distincts de redressement :
- d'une part, la réintégration de la provision pour créance douteuse de 180 000 € jugée non déductible,
- d'autre part, la réintégration d'un passif injustifié de 33 533 €.
La réclamation contentieuse de la société ayant été rejetée par l'administration, l'Eurl E a saisi le TA de Rennes d'une demande de décharge. Par un jugement du 5 février 2025, le tribunal a rejeté l'ensemble de ses conclusions.
La société a fait appel de la décision.
Le cœur du litige porte sur la validité de la provision constituée par E en raison du risque de non-recouvrement d'une créance détenue sur sa société mère.
- L'Eurl E soutient que les fonds en cause correspondaient à une opération de financement intragroupe dans le cadre de la convention de trésorerie du 3 mai 2017. Elle fait valoir que sa trésorerie constituait la seule ressource disponible pour financer la société BSG et que seule cette dernière devait être considérée comme sa débitrice, M. et Mme A n'ayant jamais considéré être propriétaires de ces fonds. La société invoque également les écritures comptables réciproques des trois entités du groupe, la Holding G ayant comptabilisé en miroir une dette de 217 155 € envers l'EurlL E et une créance de 212 945 € sur la société BSG
- De son côté, l'administration fiscale, maintient que la vérification de comptabilité avait révélé la véritable nature des flux : des prélèvements personnels des associés, extérieurs à toute logique de financement intragroupe.
La Cour administrative d'appel vient de confirmer le redressement
Concernant la provision
- La CAA de Nantes relève d'abord que la convention de trésorerie du 3 mai 2017, si elle conférait effectivement à la Holding G un rôle de centralisatrice, ne prévoyait nullement l'intervention de tiers et ne donnait aucun mandat personnel à M. et Mme A pour effectuer des prélèvements.
- La cour constate ensuite qu'il ne résulte pas de l'instruction que les époux A auraient reversé aux autres sociétés du groupe les sommes prélevées sur la trésorerie de l'Eurl E.
- La juridiction d'appel écarte par ailleurs l'argument tiré des écritures comptables réciproques. Elle juge que la seule circonstance que les comptabilités de l'Eurl E et de la Holding G enregistrent en miroir une créance et une dette corrélatives, et que la Holding et la société BSG fassent de même pour un montant au demeurant différent, ne permet pas d'établir la réalité de la créance alléguée.
Les seules circonstances que les comptabilités de l'EURL Editheo et de la société civile Holding de Guibourg enregistrent en miroir une créance de 217 155 euros de la première à l'égard de la seconde et que les comptabilités de la société civile Holding de Guibourg et de la société Beep Saint Germain enregistrent toutes les deux une créance de 212 945 euros, au demeurant d'un montant différent, de la première à l'égard de la seconde, ne permet pas d'établir la réalité de la créance litigieuse alléguée.
- La cour ajoute que la société E ne fait état d'aucune justification crédible sur l'utilité que présentaient pour elle ces opérations ni sur les contreparties qu'elle en aurait tirées, de sorte que la provision litigieuse n'a pas été constituée dans le cadre d'une gestion normale.
- L'existence d'écritures comptables réciproques entre sociétés d'un même groupe ne saurait, à elle seule, établir la réalité des créances et dettes correspondantes. La symétrie formelle des comptabilités ne dispense pas le contribuable de justifier de la substance économique des opérations enregistrées.
- La décision souligne aussi l'importance de la rédaction des conventions de trésorerie intragroupe. Au cas particulier, l'absence de clause autorisant l'intervention des associés personnes physiques a privé la société de la possibilité d'invoquer ce cadre conventionnel pour justifier les prélèvements effectués par les époux A.