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Impôt sur les sociétés

Déduction des provisions pour dépréciation de créances intra-groupe : les indices économiques doivent prévaloir sur les données comptables

Les sociétés mères de groupes intégrés peuvent constituer des provisions pour dépréciation de créances intra-groupe afin de tenir compte d’éventuelles difficultés financières de leurs filiales. Une nouvelle décision vient nous rappeler la rigueur du contrôle du juge de l'impôt s’agissant du caractère décisif des justificatifs produits pour établir la probabilité de la perte.

 

Le fondement légal de la déductibilité des provisions se trouve à l'article 39-1-5° du CGI, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code. Ce texte autorise la déduction des :

provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice.

La jurisprudence a précisé que trois conditions cumulatives doivent être réunies pour qu'une provision soit fiscalement déductible :

  • La perte ou la charge doit être nettement précisée quant à sa nature et susceptible d'être évaluée avec une approximation suffisante;
  • Elle doit apparaître comme probable eu égard aux circonstances constatées à la clôture de l'exercice;
  • Elle doit se rattacher par un lien direct aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise.

Dans le cas spécifique des provisions pour dépréciation de créances, la jurisprudence a développé une approche pragmatique, accordant une attention particulière à la situation financière réelle du débiteur et à sa capacité à rembourser la créance à la date de clôture de l'exercice.

La simple inscription comptable de provisions, ou la seule présence d’une situation nette négative dans les comptes d’une filiale, ne suffit pas à prouver ce caractère probable. Le contribuable doit établir que la créance n’a pas de perspective réaliste de recouvrement, au regard des éléments connus à la date de clôture.

 

Rappel des faits :

La SAS TR, société mère d'un groupe fiscalement intégré, avait pour objet la gestion de ses actifs financiers et la fourniture de prestations administratives et financières à ses six filiales (Azurbac, Com'Bac, Davibac, Sobar, Chantaco 2 et Vogabac), qui exploitaient des établissements de restauration.

À la suite d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 30 septembre 2015, 2016 et 2017, l'administration fiscale a remis en cause les provisions pour dépréciation de créances comptabilisées pour des montants de 951 847 €, 719 959 € et 436 638 € au titre de ces trois exercices respectifs. Elle a estimé que le caractère probable de la dépréciation n’était pas suffisamment étayé.

Ces créances résultaient de conventions de gestion centralisée de trésorerie et d'avances intra-groupe conclues le 15 mai 2007 et le 5 janvier 2017, qui prévoyaient la possibilité pour les parties de pratiquer entre elles des opérations de trésorerie moyennant le versement d'intérêts à la société prêteuse.

Après avoir vu sa réclamation rejetée, la société a saisi le TA de Grenoble, qui a rejeté sa demande de décharge des impositions et intérêts de retard résultant de la réintégration de ces provisions par un jugement du 19 janvier 2024.

 

La SAS TR a fait appel devant la CAA de Lyon.

 

Elle soutient que les dotations aux provisions pour dépréciation de créances à caractère financier étaient déductibles en raison de la situation nette négative de ses six filiales, qui justifiait selon elle le caractère probable des pertes.

 

L'administration fiscale, quant à elle, conteste la déductibilité de ces provisions au motif que les circonstances constatées à la clôture des exercices concernés ne rendent pas probable la perte des créances détenues par la SAS TR sur ses filiales. Elle s'appuie notamment sur plusieurs éléments concrets démontrant la capacité de remboursement des filiales : le règlement effectif de créances commerciales, le développement d'activités nouvelles avec l'ouverture de restaurants, et l'existence de résultats d'exploitation ou de résultats nets positifs pour certaines filiales.

 

La Cour vient de rejeter la reqête de la SAS TR.

 

Elle confirme la réintégration fiscale de ces provisions. Pour chacune des filiales concernées, la cour relève que, nonobstant des capitaux propres négatifs ou des déficits ponctuels, l’activité laissait apparaître des paiements effectifs à la société mère ou des perspectives d’amélioration sensible. En outre, lorsqu’une filiale ne présentait pas de perspectives bénéficiaires pour l’exercice en cause, la société requérante ne produisait pas d’éléments suffisamment précis démontrant l’impossibilité de recouvrer la créance.

  • Pour la société Azurbac, la Cour relève que malgré un déficit comptable en 2015, la filiale avait réglé des créances commerciales au cours de l'exercice et avait débuté l'exploitation de deux restaurants dans un camping, lui permettant de dégager des résultats d'exploitation positifs et des bénéfices dès les exercices suivants.
  • Concernant la société Com'Bac, la Cour constate que son résultat d'exploitation et son bénéfice de l'exercice clos en 2015 étaient positifs, s'élevant respectivement à 84 661€ et 64 091€. Elle souligne également que la SAS TR avait elle-même repris l'intégralité de la provision au cours des exercices suivants, les déclarations de résultats de Com'Bac faisant ressortir des bénéfices importants en 2016 et 2017.
  • Pour la société Davibac, la Cour observe également des résultats d'exploitation et des bénéfices positifs pour l'exercice 2015, ainsi que la reprise ultérieure de la provision par la société mère elle-même, les déclarations de résultats de Davibac continuant à faire ressortir des résultats positifs en 2016 et 2017.
  • S'agissant de la société Sobar, la Cour reconnaît un déficit comptable important pour l'exercice 2015, mais relève que cette filiale avait néanmoins réglé des créances commerciales durant les trois exercices vérifiés et avait ouvert un nouveau restaurant à Chambéry, le déficit diminuant d'ailleurs progressivement sur les exercices suivants.
  • Pour la société Chantaco 2, malgré un déficit comptable et une situation nette négative en 2017, la Cour souligne qu'elle avait réglé ses créances commerciales et avait acquis un fonds de commerce à Val Thorens pour un montant significatif de 1 090 000 €.
  • Enfin, concernant la société Vogabac, la Cour relève que son résultat pour l'exercice 2017 était nettement positif et qu'elle avait également honoré ses créances commerciales.

Au vu de ces éléments, la Cour conclut que l'administration était fondée à réintégrer les provisions litigieuses dans les résultats imposables de la SAS TR.

 

TL;DR

  • La seule existence d'une situation nette négative ou d'un déficit comptable ne suffit pas à justifier la déductibilité d'une provision pour dépréciation de créance. L'appréciation du caractère probable de la perte doit reposer sur une analyse plus globale et concrète de la situation réelle du débiteur.
  • La Cour met en lumière plusieurs indices pertinents pour apprécier la capacité de remboursement d'une filiale : l'existence de règlements effectifs de créances commerciales, le développement de nouvelles activités économiques (ouverture de restaurants, acquisition de fonds de commerce), l'évolution positive des résultats d'exploitation ou des bénéfices, et la diminution progressive des déficits.
  • La Cour semble également accorder une attention particulière au comportement même de la société mère qui a constitué les provisions. En relevant que la SASTR avait elle-même repris certaines provisions au cours des exercices suivants, la Cour suggère que ce comportement contredit l'affirmation initiale quant au caractère probable des pertes.
  • Enfin, le fait que les filiales aient pu honorer leurs créances commerciales constitue, aux yeux de la Cour, un indice sérieux de leur capacité à rembourser également leurs dettes financières, malgré une situation comptable parfois déficitaire.

 

 

 

 

Publié le vendredi 28 février 2025 par La rédaction

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