Le juge de l'impôt nous rappelle les conditions de déductibilité des charges et la répartition de la charge de la preuve entre le contribuable et l'administration fiscale, notamment concernant les contrats de prestations entre sociétés liées.
Pour mémoire, l'article 39-1 du CGI, le bénéfice net imposable à l'impôt sur les sociétés est établi sous déduction de toutes charges, comprenant notamment les frais généraux de toute nature. Pour qu'une charge soit fiscalement déductible, elle doit être engagée dans l'intérêt de l'entreprise, être effective, et être correctement comptabilisée.
Sur le plan procédural, la répartition de la charge de la preuve en matière fiscale obéit à des règles particulières. S'il incombe en principe à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Ainsi, il appartient au contribuable de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire que de la correction de leur inscription en comptabilité.
Cette justification doit porter sur la nature de la charge et sur l'existence et la valeur de la contrepartie retirée. Si le contribuable s'acquitte de cette obligation, l'administration doit alors prouver que la charge n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, que la contrepartie est dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que sa rémunération est excessive.
Rappel des faits :
La société FVR, qui exerce une activité de location de biens immobiliers, a acquis en 2007 un ensemble immobilier à Vélizy-Villacoublay, loué à la société T. En mai 2014, elle a vendu cet ensemble à un pool bancaire pour 90 M€, puis a souscrit un contrat de crédit-bail portant sur le même ensemble immobilier, continuant ainsi à sous-louer l'ensemble à T.
Le 10 janvier 2012, la société a signé avec la société OI un contrat d'asset management portant sur cet ensemble immobilier. Ce contrat prévoyait diverses prestations : élaboration de budgets et business plans annuels, communication d'informations sur les événements affectant l'immeuble, production de rapports trimestriels, supervision des prestations du property manager (la société AAM), assistance à la gestion administrative, comptable et financière, et conseil en matière de financement.
Sur la base de ce contrat, la société FVR a déduit en charges des honoraires annuels (124 075 € en 2014 et 124 608 € en 2015) ainsi qu'une commission sur cession (720 000 € en 2014).
Suite à une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2013 à 2015, l'administration fiscale a remis en cause le caractère déductible de ces charges, estimant que la réalité des prestations facturées n'était pas établie. Les impositions supplémentaires (TVA et CVAE) ont été mises en recouvrement par avis du 14 septembre 2018, avec application de la majoration de 40% pour manquement délibéré.
Après rejet de sa réclamation, la société a saisi le tribunal administratif de Paris qui, par jugement du 21 mars 2023, a rejeté sa demande. La société a alors fait devant la Cour administrative d'appel de Paris.
La société FVR soutient :
- qu'elle a produit des éléments documentaires et factuels indiscutables justifiant de la réalité des prestations reçues en exécution du contrat d'asset management (budgets, rapports trimestriels, courrier, courriel).
- que le tribunal a entaché son jugement d'insuffisance de motivation et de contradiction de motifs en écartant ces éléments et avait omis de statuer sur les arguments invoqués concernant la commission versée à Obélisque Immobilier.
- qu'en confirmant la position de l'administration, le tribunal a inversé la charge de la preuve et permis à l'administration de s'immiscer dans la gestion de la société.
- que la théorie de l'acte anormal de gestion ne s'applique pas en matière de TVA ; dès lors, la taxe facturée est déductible en tout état de cause.
De son côté, l'administration fiscale avançait que la société n'avait pas justifié de la réalité des prestations facturées et que le contrat d'asset management avait pour seul objet de permettre un prélèvement de trésorerie au profit d'OI sans contrepartie pour la société requérante. Elle s'appuyait sur plusieurs éléments :
- la société OI ne disposait d'aucun moyen matériel et humain autre que son gérant, qui était également gérant de la société Foncière Vélizy Rose ;
- une partie des prestations prévues au contrat était redondante avec celles confiées à la société AAM (property manager) ou avec les missions du dirigeant de la société requérante ;
- l'ensemble immobilier ne comportait qu'un unique locataire T ;
- pour la vente de l'ensemble immobilier et sa reprise en crédit-bail, la société avait eu recours à cinq autres prestataires extérieurs, dont elle avait pu justifier des prestations par des éléments concrets.
- les différentes sociétés avaient des intérêts liés : la société requérante était présidée par l'EURL REL dont l'associé gérant était également gérant d'OI (société créée par son frère), la société AAM étant cogérée par ce même gérant et sa sœur.
La Cour administrative d'appel de Paris vient de rejeter la requête de la société FVR confirme ainsi le jugement du tribunal administratif.
Sur le fond, la Cour reconnaît que l'administration était en droit de demander à la société de produire tous éléments de nature à justifier de la réalité des prestations facturées, même si celles-ci étaient basées sur des factures émises en exécution du contrat d'asset management.
La Cour constate que la société n'a produit que des copies de budgets et rapports financiers trimestriels, sans qu'il soit possible d'établir qu'ils avaient été élaborés par OI, ainsi qu'un courrier et un courriel adressés au gérant de cette société (qui était également gérant de la requérante). Ces éléments sont jugés insuffisants face aux nombreux indices concordants avancés par l'administration pour contester la réalité des prestations.
La Cour retient notamment :
- l'absence de moyens matériels et humains d'OI,
- la redondance des prestations avec celles du property manager ou du dirigeant,
- la simplicité de la gestion (un seul immeuble avec un seul locataire),
- le recours à d'autres prestataires pour l'opération de cession-crédit-bail,
- et les liens d'intérêts entre les sociétés concernées.
Pour la Cour, l'administration était fondée à remettre en cause la déduction des charges en cause au titre des années 2014 et 2015, sans que cela constitue une immixtion dans la gestion de l'entreprise.
Concernant la TVA, la Cour juge que, faute de justifier de la réalité des prestations facturées, la taxe ne peut être regardée comme ayant grevé les éléments du prix d'une opération imposable, et n'est donc pas déductible.
Enfin, s'agissant des pénalités, la Cour estime que l'administration a justifié l'application de la majoration de 40% pour manquement délibéré, en démontrant que la société avait délibérément supporté des dépenses étrangères à son intérêt, dans un contexte où elle ne pouvait ignorer l'absence de moyens réels de son prestataire et l'absence de justification économique du contrat.
Critères d'appréciation de la réalité des prestations de services dans le cadre de contrats entre sociétés liées.
Au-delà de l'existence formelle d'un contrat et de factures, les juges s'attachent à des éléments concrets :
- moyens matériels et humains du prestataire,
- absence de redondance avec d'autres prestations,
- nécessité économique des prestations au regard de l'activité du contribuable,
- production d'éléments tangibles démontrant l'exécution effective des prestations.