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Impôt sur les sociétés

Intention de démolir préexistante à l'acquisition de l'immeuble : de l'impossibilité de déduire la perte et l'amortissement

Le juge de l'impôt précise et confirme les conditions dans lesquelles la valeur nette comptable (VNC) d'un immeuble démoli peu après son acquisition doit être incorporée au prix de revient du terrain et ne peut être déduite en tant que perte exceptionnelle. 

 

Pour mémoire, l'article 38-2 du CGI définit le bénéfice net comme :

la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés.

En principe, la destruction d'un bâtiment inscrit à l'actif fait ressortir une perte égale à sa valeur comptable résiduelle, déductible du résultat imposable. Toutefois, cette règle connaît une exception majeure lorsque l'acquisition du bâtiment a été réalisée dans le seul but de procéder, après sa démolition, à une construction nouvelle ou à un aménagement du terrain. Dans ce cas, la valeur de l'ancien bâtiment doit être incorporée au prix de revient du nouveau bien.

 

De même, l'article 39-1-2° du CGI autorise la déduction des amortissements

réellement effectués par l'entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation.

Toutefois, pour être amortissable, un bien doit contribuer durablement à l'activité de l'entreprise.

 

Rappel des faits :

La SCI JCJ, créée le 6 mai 2015 avec pour objet la location de terrains et de biens immobiliers, a acquis le 30 septembre 2015 un ensemble de parcelles supportant des entrepôts d'une surface de plus de 13 000 m² et des terre-pleins, situés dans la zone portuaire du Havre. Peu après cette acquisition, la SCI a démoli la quasi-totalité des entrepôts, ne conservant qu'une surface de bâtiment de stockage de 971 m². L'espace ainsi libéré a été transformé en terre-pleins destinés au retournement de camions, notamment ceux de la société de transport JCH, locataire de la SCI et ayant le même gérant qu'elle.

À la suite d'un examen de comptabilité et d'un contrôle sur pièces, l'administration a rehaussé le bénéfice déclaré par la SCI au titre de l'exercice clos en 2016 en rejetant la déduction :

  • d'une somme de 1 647 866 € correspondant à la valeur nette comptable résiduelle des parties démolies des entrepôts, que la société avait comptabilisée en charge exceptionnelle ;
  • d'une somme de 21 094 € correspondant au montant de l'amortissement appliqué par la société aux parties démolies.

La SCI JCJ a contesté ces rehaussements devant le tribunal administratif de Rouen qui, par un jugement du 26 mars 2024, a rejeté sa demande.

 

La société a alors fait appel devant la CAA de Douai.

 

La SCI JCJ fait valoir deux arguments principaux :

  • Concernant la déduction de la perte exceptionnelle : la démolition d'un bâtiment inscrit à son actif, qui ne présentait pas le caractère d'une opération fictive, avait fait naître une perte qu'elle pouvait régulièrement inscrire en comptabilité comme une charge exceptionnelle à hauteur de 1 647 866 €, déductible de son résultat imposable.
  • Concernant l'amortissement : l'immeuble ayant été inscrit à son actif jusqu'à sa démolition et faisant partie de son activité conformément à son objet social, il pouvait régulièrement donner lieu à la comptabilisation d'un amortissement.

 

La Cour vient de confirmer le jugement du tribunal administratif rejetant la requête de la SCI JCJ.

 

  • S'agissant de la déduction de la perte

La Cour rappelle d'abord le principe selon lequel la destruction d'un bâtiment inscrit à l'actif fait ressortir une perte déductible égale à sa valeur comptable résiduelle, tout en précisant l'exception à ce principe : lorsque l'acquisition du bâtiment a été faite dans le seul but de réaliser, après sa démolition, une construction nouvelle ou un aménagement du terrain, la valeur de l'ancien bâtiment doit être incorporée au prix de revient du nouveau bien.

 

Pour apprécier l'intention de la SCI JCJ, la Cour retient deux éléments déterminants :

    • La société avait déposé une demande de permis de démolir dès le 13 mai 2015, soit avant même l'acquisition de l'ensemble immobilier intervenue le 30 septembre 2015 ;
    • À la suite de la démolition, les terrains libérés ont été transformés en terre-pleins pour le retournement de camions, notamment ceux de la société de transport JCH, locataire de la SCI JCJ et ayant le même gérant.

La Cour en déduit que la SCI JCJ doit être regardée comme ayant acquis les parcelles

dans le seul but de réaliser une opération visant à la démolition de la quasi-totalité de ces bâtiments et de disposer, à leur place, d'un terre-plein utilisé comme aire de retournement.

Elle précise également que les bâtiments de stockage "n'ont ainsi jamais eu vocation, pour la société, à faire l'objet d'une utilisation propre".

 

Partant, la Cour confirme que l'administration était fondée à réintégrer dans le résultat imposable la charge exceptionnelle de 1 647 866 € correspondant à la VNC de la partie démolie des entrepôts, cette somme devant être incorporée au prix de revient des terre-pleins réalisés.

 

  • S'agissant de la déduction de l'amortissement

La Cour constate que la SCI a amorti, au titre de son exercice clos en 2016, les bâtiments mis au rebut à la suite de leur démolition à hauteur de 21 094 €.

Elle relève que l'administration a remis en cause cet amortissement au motif que les bâtiments, voués à la démolition dès leur acquisition, n'avaient aucune valeur dès cette acquisition et n'avaient fait l'objet d'aucune utilisation par la SCI pour les besoins de son activité professionnelle.

La Cour estime que la SCI JCJ, qui a la charge de la preuve, n'a pas démontré qu'elle était fondée à déduire cet amortissement, s'étant bornée à soutenir, sans autre précision, que les bâtiments avaient été inscrits à l'actif avant leur démolition et qu'ils étaient..

...dans l'activité conformément à l'objet social.

 

Sur le plan pratique, cet arrêt invite nous invite à une grande vigilance dans le traitement fiscal et comptable des opérations d'acquisition-démolition. Il convient notamment :

  • de conserver les éléments permettant de justifier l'intention initiale d'exploitation du bien avant toute démolition (baux, factures d'exploitation, etc.) ;
  • d'être attentif à la chronologie des opérations, notamment au moment du dépôt des demandes d'autorisation de démolir ou de construire ;
  • de documenter l'utilisation effective des bâtiments avant leur démolition pour pouvoir justifier des amortissements pratiqués.

 

Publié le vendredi 11 avril 2025 par La rédaction

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