La taxe annuelle de 3% sur les sociétés … un impôt peu connu mais de plus en plus contrôlé

05/05/2023 Par Michelez Notaires
11 min de lecture

La taxe annuelle de 3% sur la valeur vénale des immeubles détenus par des entités juridiques, prévue par les articles 990 D et 990 E du Code Général des Impôts qui fête son 40ème anniversaire, est l’objet d’une jurisprudence et d’une actualité juridique nourries. Nous vous proposons un éclairage sur cet impôt encore trop méconnu du grand public.

 

Article de François Bonte, Notaire Associé et Clément Colombel, Notaire stagiaire, MICHELEZ Notaires, Paris

 

Détenir de l’immobilier, bâti ou non bâti, directement ou indirectement, en France est source de taxation. Le propriétaire immobilier le sait bien. Le véhicule sociétaire (notamment les sociétés civiles) est très souvent choisi pour ces acquisitions sans pour autant faire échapper le contribuable (associés) à la fiscalité applicable.

 

Taxe foncière, IFI, prélèvements sociaux, impôt sur les revenus et/ou impôt sur les sociétés,… la liste est loin d’être exhaustive mais le législateur fait toujours preuve de créativité pour instaurer de nouvelles taxes à la charge des propriétaires d’immobilier en France.

 

La Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a rappelé dans un arrêt du 27 janvier 2021[1] que l’article 990 D du CGI, constitutif de cette taxe, a été instauré avant tout pour dissuader les contribuables assujettis à l’ancien Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF) - désormais l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI) – d’échapper à une telle imposition en créant des sociétés dans un Etat n’ayant pas conclu de convention fiscale avec la France comportant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale, achetant des biens et droits immobiliers situés en France. Si l’intention du texte est avant tout de cibler les associés qui chercheraient à cacher leur immobilier français derrière des entités situés dans des paradis fiscaux, il convient d’être particulièrement vigilant dans la mesure où le champ d’application de la taxe est beaucoup plus large !

 

En quoi consiste cette taxe annuelle de 3% ?

 

La taxe annuelle de 3% a été instaurée afin d’inciter les sociétés (françaises ou étrangères) ou autres entités à déclarer les détenteurs ultimes de biens immobiliers en France (notamment dans une hypothèse d’interposition de nombreuses sociétés françaises ou étrangères détenus par des associé résident à l’étranger)[2].

 

L’idée est de prévoir à la fois une taxe d’un montant qui serait dissuasif et des exonérations au bénéfice des sociétés ou entités qui feraient preuve de suffisamment de transparence pour permettre effectivement à l’administration fiscale d’assurer un meilleur contrôle des associés, actionnaires ou autres membres détenant indirectement de l’immobilier français. Par l’effet dissuasif de la taxe, l’administration peut plus facilement les identifier.

 

Quelle est l’assiette de la taxe ?

 

Dans les situations où elle est due, la taxe de 3% est due chaque année sur la valeur vénale des immeubles détenus en France directement ou par d’autres entités interposées. Sont également concernés les droits de propriété démembrés. Le montant de la taxe est donc largement supérieur à celui de l’IFI que les récalcitrants chercheraient à éviter qui plafonne à 1,5%.

 

Quelles sont les structures ou personnes visées par cette taxe annuelle ?

 

Les structures concernées par cette taxe annuelle de 3% sont entendues au sens le plus large possible. L’administration fiscale y vise les structures juridiques à prépondérance immobilière dont le siège social serait situé en France[3] ou à l’étranger. Tout organisme assimilé peut également faire l’objet de cette taxe tels que des syndicats, des fiducies, des trusts, des fonds d’investissement non dotés de la personnalité morale, fondations de famille,…

 

La condition sine qua non à l’application de cette taxe est évidemment de détenir directement ou indirectement des droits immobiliers en France (des droits en pleine propriété mais également en démembrement viager ou temporaire…).

 

Comment être exonéré de cette déclaration annuelle ?

 

Cette taxe annuelle de 3% peut faire l’objet d’une exonération. L’exonération peut être :

  • « légale » (1), c’est-à-dire en raison de la qualité intrinsèque de la structure concernée,
  • ou « déclarative » (2), conditionnée par la souscription d’une déclaration.

1. Les exonérations légales :

Les entités juridiques[4] qui sont exonérées par leur seule qualité[5] de la taxe de 3% sont les suivantes :

  • Les États souverains ou autre personne morale de droit public ;
  • Celles qui ne sont pas à prépondérance immobilière[6];
  • Celles dont les actions, parts ou autres droits font l’objet de négociations significatives et régulières sur un marché réglementé ainsi qu’aux personnes morales dont ces entités détiennent directement ou indirectement la totalité du capital social.

2. Les exonérations déclaratives :

D’autres entités bénéficient d’une exonération si[7] :

  • Elles ont leur siège[8]
    • Dans l’Union européenne ou ;
    • Dans un pays tiers ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ;
    • Dans un Etat qui a conclu avec la France un traité leur permettant de bénéficier du même traitement que les entités qui ont leur siège en France.
  • Et si elles remplissent l’une des conditions suivantes[9] :
    • la quote-part d’immeubles ou de droits assimilés détenus directement ou indirectement en France est d’une valeur vénale inférieure à 100 000€ ou à 5% de la valeur vénale desdits biens ou autres droits ;
    • OU elles remplissent l’une des obligations suivantes[10]
  • Dépôt spontané chaque année :
    • Soit d’une déclaration de revenus n°2072 (pour les sociétés non soumises à l’IS telles que le plus souvent les SCI) ou d’une déclaration n°2038 en cas de « multipropriété».
    • Soit d’une déclaration spécifique n° 2746-SD avant le 15 mai. 
  • Ou encore elles souscrivent un engagement de communication à première demande : Si elles  ne font pas de déclaration de revenus et veulent se dispenser de la déclaration annuelle 2746-SD, les personnes morales peuvent encore prendre , dans les deux mois suivant la date d'acquisition de l'immeuble ou de la participation immobilière, l'engagement de communiquer à l'administration, sur sa demande, certaines informations concernant le ou les immeubles possédés et leurs actionnaires, associés ou autres membres détenant plus de 1 % des actions, parts ou autres droits. En pratique, cette obligation de déclaration est encore trop peu connue, notamment des particuliers détenant de l’immobilier de jouissance au travers de SCI.

 

Déclaration des bénéficiaires effectifs (DBE), exonération déclarative de la taxe de 3%, obligation déclarative immobilière : vers une obligation de transparence de plus en plus universelle ?

 

En plus de déclarer les actionnaires dans le cadre des articles 900 D et E du CGI, l’administration souhaite de plus en plus de transparence fiscale. L’obligation récente de déclaration des bénéficiaires effectifs (DBE) des sociétés s’inscrit dans la continuité de cette transparence. Cette dernière met en place des obligations de transparence financière qui découlent de la volonté de pouvoirs publics de lutter contre toutes les formes de blanchiment, de fraude et de lutte contre le terrorisme. Cette déclaration des bénéficiaires effectifs est obligatoire pour tout personne physique détenant directement ou indirectement plus de 25% du capital social ou des droits de vote d’une société non cotée immatriculée au RCS ou qui exerce un pouvoir de contrôle sur l’organisme de gestion, d’administration ou de direction de la société. Ce renforcement de la transparence se matérialise enfin par les nouvelles obligations de déclaration de l’occupation des actifs immobiliers qui concerne à la fois les particuliers et les sociétés ou autres entités détenant des biens immobiliers à usage d’habitation[11]. Toutes ces obligations déclarations se superposent malheureusement conduisant à un véritable millefeuille administratif.

 

Quelles règles en pratique ? La tolérance administrative : un seul joker en mains !

 

Une réponse ministérielle en date du 13 mars 2000[12] admet que les contribuables qui remplissent leurs obligations déclaratives dans le délai de la mise en demeure de régulariser leur situation par l’administration (soit dans les 30 jours) ou de manière spontanée en l’absence de mise en demeure préalable, peuvent être exonérés du paiement de la taxe. Cette mesure de tolérance ne s’applique qu’à la première demande de régularisation uniquement (BOI-PAT-TPC-30 n°20 en date du 4 octobre 2017).

 

Cette tolérance n’est donc que temporaire. La Cour de Cassation fait preuve d’une grande fermeté en cas de « récidive », lourdement sanctionnés par une taxation d’office[13]. Et une toute récente réponse ministérielle Masson du 7 mars 2023 confirme que « le bénéfice de la tolérance administrative (sera limitée à) l’omission déclarative de bonne foi tout en admettant, dans le même temps, que des erreurs ou insuffisances déclaratives puissent être commises de bonne foi »[14]. Le caractère très restrictif de cette tolérance appelle à la plus grande prudence.

 

Nos conseils :

 

Nous attirons l’attention tout particulière des propriétaires immobiliers français détenus par des structures interposées situées tant en France qu’à l’étranger, sur le fait que les juges retiennent une application sévère de la taxe annuelle de 3% en cas de récidive ou en cas de déclaration erronée ou effectuée tardivement.

Depuis 2021[15], l’administration fiscale autorise la déclaration de ces informations par téléprocédure. Pour les sociétés étrangères, un dépôt du formulaire ad-hoc est nécessaire. Ces nouveaux processus de télédéclarations viennent simplifier le contrôle de l’administration sur le parc immobilier français par le biais de recoupements automatisés notamment Les contrôles risquent ainsi de s’intensifier avec une tolérance minimale pour les récalcitrants. Mieux vaut donc anticiper et prendre le minimum de risques !

 


 

 

[1] Cass. com. 27 janvier 2021, n°18-21315

[2] Article 990 E du Code Général des Impôts

[3] A l’exception du cas particulier des sociétés d’attribution.

[4] Au sens des personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables.

[5] Article 990 E 1°) et 2°) du CGI

[6] Au sens du a) du 2° de l’article 990 E du CGI / ce qui signifie que l’actif immobilier français de la structure représente moins de 50% de l’ensemble des actifs (mobiliers ou immobiliers) français détenus directement ou indirectement.

[7] Article 990 E 3°) du CGI

[8] S’agissant des fiducie, trust ou fonds d’investissements, ces derniers sont réputés être établis dans l’Etat ou le territoire de la loi à laquelle ils sont soumis (BOI-PAT-TPC-20-20 n°50 du 5 octobre 2016). – Il convient d’entendre par « siège » : le centre de direction effective de l’entité.

[9] Nous ne traitons pas ici d’autres exonérations propres aux institutionnels (régimes de retraite, SPPICAV, …)

[10] article 990 D 3°) d) et e) du CGI

[11] Article publié par FiscalOnline « Attention propriétaires : Déclarez ou payez ! » Nouvelle obligation déclarative pour les propriétaires immobiliers. » le 17 mars 2023 – François BONTE et Clément COLOMBEL, MICHELEZ Notaires, PARIS

[12] Rép. min. n° 39372, JO AN 13 mars 2000, Loncle : Dr. fisc. 2000, n° 21, act. 100155

[13] Cass. Com. 4 novembre 2020 n°18-11.771. Dans un arrêt de la Cour de Cassation de 2020, les juges ont estimé qu’une société Luxembourgeoise détenant une participation dans une SCI de droit français était exonérée de la taxe annuelle des 3% sous réserve de la communication à l’administration fiscale, annuellement, des informations relatives à l’actionnariat de la société ainsi qu’à la détention immobilière en France de cette dernière. En raison d’une première infraction s’agissant de la déclaration annuelle de ces informations, la société a récidivé en 2005 entrainant une proposition de rectification de la part de l’administration fiscale. Les juges de cassation ont été dans le sens de l’administration fiscale en imposant à la société Luxembourgeoise le paiement de la redevance annuelle de 3% sur la valeur vénale des biens immobiliers qu’elle détient, même indirectement.

[14] Article publié dans Option Finance le 17 avril 2023 intitulé « Taxe de 3% sur la valeur vénale des immeubles détenus par les sociétés Gare aux déclarations incomplètes ou erronées ! » par Pierre DEDIEU et Chloé DELION.

[15] L’article 76 de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de la loi de finances rectificative pour 2017

Article de François BONTE et de Clément Colombel (Michelez Notaires)