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Revenus professionnels

Le juge l'impôt précise la date de rattachement des produits pour les prestations de services à exécution successive

Cette nouvelle décision nous éclaire relativement aux modalités de rattachement des produits pour les prestations de services à exécution successive (discontinues), en particulier lorsque le client renonce contractuellement à la poursuite de ces services.

 

L'article 38 du CGI pose les principes de rattachement des produits aux exercices fiscaux, avec des règles spécifiques pour les prestations de services. L'article 38-2 bis du CGI prévoit que les produits correspondant à des créances sur la clientèle ou à des versements reçus à l'avance en paiement du prix sont rattachés à l'exercice au cours duquel intervient l'achèvement des prestations pour les fournitures de services. Toutefois, pour les prestations discontinues mais à échéances successives échelonnées sur plusieurs exercices, les produits doivent être pris en compte au fur et à mesure de l'exécution.

 

Cette disposition établit un principe d'imposition des produits au moment de l'achèvement des prestations, tempéré par une règle spécifique d'étalement pour les prestations discontinues s'échelonnant sur plusieurs exercices.

 

La question centrale posée au Conseil d'État portait sur la définition de "l'achèvement" d'une prestation discontinue dans le cas où le client interrompt le service avant son terme prévu, alors qu'il a payé l'intégralité du prix d'avance.

 

 

Rappel des faits :

La SARL M, dont le capital était détenu par M. et Mme DB, Mme AB. et M. CB proposait à ses clients des services de cures d'amincissement se composant de plusieurs séances réparties sur une durée de 15 à 20 mois. Ces prestations étaient intégralement payables d'avance par le client à la signature du contrat.

Suite à une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, l'administration fiscale a réintégré au résultat de l'exercice clos le 31 décembre 2015 des recettes d'un montant total de 261 637 €. Ces sommes correspondaient aux prix de séances de cures d'amincissement non encore effectuées mais payées d'avance par les clients, que la société avait comptabilisées en tant que produits constatés d'avance.

L'administration considérait que ces sommes constituaient le règlement de séances se rattachant à des cures devant être regardées comme déjà achevées en 2015, notamment celles interrompues par les clients depuis plus de trois mois.

La société M ayant opté pour le régime d'imposition des sociétés de personnes (Art. 239 bis AA du CGI), le rehaussement de son résultat a donné lieu à des suppléments d'impôt sur le revenu au nom des associés dans la catégorie des BIC, à proportion de leurs droits dans la société, ainsi qu'à des contributions sociales supplémentaires.

Le TA de Grenoble a donné raison aux contribuables en les déchargeant des impositions supplémentaires. La cour administrative d'appel de Lyon a ensuite, sur appel du ministre, annulé ces jugements et rétabli l'intégralité des impositions contestées.

 

Les contribuables se sont alors pourvus en cassation contre ces arrêts.

 

Ils contestent l'analyse de l'administration en soutenant que les prestations n'étaient pas achevées tant que la totalité des séances n'avaient pas été réalisées ou que le client n'avait pas expressément renoncé à en bénéficier. Ils faisaient valoir que la société, par une pratique commerciale constante, accordait à ses clients la possibilité d'obtenir la réalisation des soins même après une interruption de plus de trois mois. À titre subsidiaire, ils soutenaient que seules les sommes correspondant aux cures interrompues entre le 1er octobre 2014 et le 30 septembre 2015 pouvaient être rattachées à l'exercice clos en 2015.

 

L'administration fiscale soutient que les produits correspondant à des séances de cures interrompues par les clients depuis plus de trois mois doivent être considérés comme définitivement acquis à la société et, par conséquent, être rattachés à l'exercice au cours duquel cette interruption était intervenue. Elle s'appuie sur les CGV de la société qui prévoent qu'une interruption des soins supérieure à trois mois par le client impliquait, sauf cas de force majeure ou motif justifié, la perte des soins restant à effectuer.

 

Le Conseil d'État pose d'abord un principe important :

Le simple geste commercial qu'une société est susceptible de consentir librement à un client, en acceptant de mener jusqu'à son terme l'exécution d'une prestation à laquelle le client est contractuellement réputé avoir renoncé et a perdu tout droit, ne saurait avoir pour effet, quand bien même il relèverait d'une pratique constante de cette société, de repousser la date de fin d'exécution de cette prestation, au sens et pour l'application des dispositions précitées, au-delà de celle à laquelle le client ne peut plus juridiquement prétendre à l'accomplissement de la prestation.

 

Sur le principe du redressement, le Conseil d'État confirme l'analyse de la cour administrative d'appel.

 

Il admet que les CGV de la société prévoyaient bien qu'une interruption des soins supérieure à trois mois impliquait, sauf cas de force majeure ou motif justifié, la perte des soins restant à effectuer. En conséquence, une cure interrompue depuis plus de trois mois devait être considérée comme achevée, sans que la pratique commerciale consistant à accorder aux clients la possibilité d'obtenir ultérieurement les soins n'ait d'incidence sur la qualification juridique et fiscale de la situation.

 

En revanche, sur l'étendue du redressement, le Conseil d'État censure partiellement l'arrêt de la cour. Il considère que seules pouvaient être rattachées à l'exercice clos en 2015 les sommes rémunérant des séances de cures dont le client a perdu au cours de cet exercice le droit d'obtenir l'exécution, c'est-à-dire celles ayant été interrompues entre le 1er octobre 2014 et le 30 septembre 2015 et dont l'interruption a duré plus de trois mois. Le Conseil d'État ramène ainsi le montant du rehaussement de 261 637 € à 73 222 € somme non contestée par le ministre.

 

Si le contrat prévoit que le client perd le droit à l'exécution d'une prestation après une certaine durée d'interruption, cette prestation doit être considérée comme fiscalement achevée à l'expiration de ce délai, même si l'entreprise accepte, à titre commercial, d'exécuter ultérieurement la prestation.

 

Deuxièmement, elle rappelle l'importance du principe d'annualité de l'impôt en précisant que les produits correspondant à des prestations devant être considérées comme achevées au cours d'exercices prescrits ne peuvent être rattachés à un exercice non prescrit. Seuls les produits des prestations achevées au cours de l'exercice vérifié (ou des exercices non prescrits) peuvent faire l'objet d'un redressement.

 

Si le client a contractuellement perdu le droit d'obtenir l'exécution d'une prestation, le produit correspondant est considéré comme définitivement acquis et doit être rattaché à l'exercice au cours duquel ce droit a été perdu, indépendamment des gestes commerciaux ultérieurs.

 

Cette décision est particulièrement importante pour les entreprises proposant des prestations de services s'échelonnant sur plusieurs exercices avec paiement anticipé (centres de remise en forme, établissements d'enseignement, abonnements de longue durée, etc.). Elle les invite à être particulièrement attentives à la rédaction de leurs conditions générales de vente et à la cohérence entre leurs pratiques commerciales et leurs méthodes comptables et fiscales.

Pour les praticiens, elle souligne l'importance d'analyser finement les clauses contractuelles relatives à l'interruption des prestations et d'identifier précisément la date à laquelle le client perd contractuellement le droit à l'exécution des prestations, cette date marquant l'achèvement fiscal de la prestation et le rattachement définitif du produit correspondant.

Enfin, cette décision illustre l'application du principe de rattachement des produits au fur et à mesure de l'exécution pour les prestations discontinues à échéances successives, en précisant que ce rattachement doit tenir compte des clauses contractuelles déterminant la fin de l'obligation d'exécuter ces prestations.

 

Publié le jeudi 22 mai 2025 par La rédaction

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