Le juge nous rappelle les conditions de déductibilité des pertes sur créances détenues sur une société en nom collectif (SNC). En raison de la responsabilité solidaire des associés d'une telle société, une perte ne peut être considérée comme définitivement irrécouvrable que si le créancier démontre l'impossibilité pour l'ensemble des associés de faire face aux dettes sociales
Pour mémoire, l'article 38-2 du CGI définit le bénéfice net comme la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de l'exercice, ajustée des apports et prélèvements. Cette définition comptable sert de base au calcul du résultat fiscal.
L'article 39-1 du CGI précise que le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, incluant notamment les frais généraux de toute nature. Par application combinée de ces deux textes, les pertes sur créances devenues définitivement irrécouvrables peuvent être déductibles du résultat fiscal.
S'agissant des amortissements, l'article 39-1-2° du CGI autorise la déduction des
amortissements réellement effectués par l'entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation".
Ces dispositions fiscales doivent également être appréciées à la lumière du droit des sociétés, notamment l'article L. 221-1 du Code de commerce qui dispose que les associés en nom collectif "répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales".
Rappel des faits :
La société LD, qui exploite un hypermarché sous l'enseigne E. Leclerc à Langon, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos aux 28 février 2015, 2016 et 2017. À l'issue de ce contrôle, l'administration a procédé à deux redressements principaux contestés par la société :
- La réintégration, au titre de l'exercice clos le 28 février 2016, d'une perte sur créance irrécouvrable de 217 152 € constatée lors de la liquidation de la société BE, SNC portugaise dont la requérante était associée.
- La réintégration, au titre de l'exercice clos le 28 février 2017, d'un amortissement exceptionnel de 256 465 € comptabilisé en prévision d'un projet de déménagement de son activité de bricolage-jardinage.
La société LD a formé une réclamation contentieuse qui a été rejetée par l'administration fiscale, puis a saisi le TA de Bordeaux d'une demande de décharge partielle des impositions supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés mises à sa charge.
Concernant la déductibilité de la perte sur créance irrécouvrable
La société requérante soutient que la perte enregistrée à la clôture de l'exercice correspond à sa part dans les pertes de la société BE après liquidation de celle-ci. Pour justifier la déductibilité de cette charge, elle produit :
- Les statuts de la société BE, attestant sa qualité d'associée et sa responsabilité indéfinie et solidaire des dettes sociales
- La résolution de l'assemblée générale du 17 novembre 2014 décidant la dissolution anticipée de cette société
- La décision de clôture de la liquidation prise par l'assemblée générale du 22 juin 2015, établissant un actif net négatif de 1140 935 €
- La décision d'affecter les pertes aux associés par imputation sur leurs comptes courants d'un montant de 1143 333 €
L'administration fiscale, de son côté, considére que la société n'a pas suffisamment établi le caractère définitif et certain de cette charge, faute d'avoir démontré que les autres associés de la société BE ne pouvaient répondre des dettes sociales auxquelles ils étaient solidairement tenus.
Concernant la déductibilité de l'amortissement exceptionnel
La société requérante justifie la comptabilisation d'un amortissement exceptionnel par un projet de déménagement de son magasin de bricolage-jardinage de la zone commerciale de Moleon vers celle de Mazères. Elle s'appuie sur :
- L'accord du conseil de parrainage donné le 9 juin 2016 pour ce déplacement dans un délai de deux ans
- L'obtention d'une promesse unilatérale de vente des terrains nécessaires signée par la communauté de communes du Sud Gironde le 27 mai 2016
L'administration fiscale estime que ce projet de déménagement n'avait qu'un caractère éventuel à la date du 28 février 2017, car il nécessitait encore l'obtention de l'accord de la commission départementale d'équipement commercial et un permis de construire. Elle considére donc que l'amortissement exceptionnel avait été prématurément comptabilisé.
Le tribunal vient de rejeter l'ensemble des conclusions de la société requérante.
Sur la déduction de la perte sur créance irrécouvrable
Le tribunal rappelle d'abord les règles gouvernant la charge de la preuve en matière fiscale : il appartient au contribuable de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Cette justification doit porter sur la nature de la charge, l'existence et la valeur de la contrepartie retirée.
Le tribunal considère qu'en l'espèce, pour établir que la charge correspondant à la perte alléguée était certaine, la société requérante devait démontrer deux éléments cumulatifs :
- Que les autres associés de la société BE ne pouvaient répondre des dettes de celle-ci auxquelles ils étaient également indéfiniment et solidairement tenus
- Le montant exact de cette perte
En l'absence de tout élément produit en ce sens, le tribunal juge que l'administration fiscale était fondée à procéder à la réintégration de cette somme dans le résultat imposable.
qu'il appartenait à la société requérante, pour établir que la charge correspondant à la perte de 217 152 euros alléguée était certaine, dans son principe de démontrer que les autres associés de la société Bobadela Expansion ne pouvaient répondre des dettes de celle-ci auxquelles ils étaient également indéfiniment et solidairement tenus, et d'en justifier également le montant. En l'absence de tout élément produit en ce sens, l'administration fiscale a pu légalement procéder à la réintégration de cette somme dans son résultat imposable.
Sur la déduction de l'amortissement exceptionnel
Le tribunal constate que le projet de déménagement invoqué par la société requérante ne présentait qu'un caractère éventuel à la date du 28 février 2017, puisqu'il nécessitait encore l'obtention de l'accord de la commission départementale d'équipement commercial et un permis de construire. Il en déduit que l'administration était fondée à estimer que cet amortissement exceptionnel avait été fiscalement prématurément comptabilisé.
TL;DR
- Concernant les pertes sur créances irrécouvrables détenues sur une société en nom collectif, le jugement rappelle l'importance d'une analyse approfondie de la situation des autres associés. En effet, la solidarité qui caractérise cette forme sociale implique que la perte ne peut être considérée comme définitive que si le créancier démontre l'impossibilité pour les autres associés de faire face à leurs obligations. Cette exigence se justifie par la nature même de la SNC, forme juridique dans laquelle les associés sont indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales.
- S'agissant des amortissements exceptionnels liés à un projet de déménagement, le jugement confirme qu'ils ne peuvent être fiscalement admis que si le projet présente un caractère suffisamment certain à la date de clôture de l'exercice. La simple obtention d'un accord de principe et d'une promesse de vente ne suffit pas lorsque le projet reste soumis à des autorisations administratives substantielles. Le tribunal adopte ainsi une position rigoureuse qui s'inscrit dans la lignée de la jurisprudence traditionnelle exigeant que l'amortissement corresponde à une dépréciation effective et définitive à la date de clôture de l'exercice.