Le juge de l'impôt vient d'apporter une réponse importante concernant la qualification fiscale des carrières dans le cadre du régime des sociétés à prépondérance immobilière (SPI), avec des répercussions directes sur le régime de déductibilité des provisions pour dépréciation des titres de participation.
Pour mémoire, en vertu de l'article 39-1-5° du CGI, une entreprise peut, en principe, constater une provision déductible de son résultat imposable lorsque la valeur de titres de participation qu'elle détient devient inférieure à leur prix de revient.
Toutefois, le législateur a introduit une mesure anti-abus visant à limiter cette déductibilité. Cette disposition prévoit que les dotations aux provisions sur l’ensemble des titres de participation ne sont pas déductibles à hauteur du montant des plus-values latentes existant sur d'autres titres de ce même ensemble.
Cette limitation procède de la logique selon laquelle les sociétés détenant principalement des biens immobiliers bénéficient généralement d'une appréciation de leurs actifs dans le temps, rendant artificielles les provisions pour dépréciation sur les titres de telles sociétés. Le législateur a ainsi voulu neutraliser les stratégies d'optimisation consistant à provisionner certains titres tout en conservant les plus-values latentes sur d'autres titres de même nature.
La doctrine BOFIP BOI-BIC-PROV-40-10-20-20 précise :
En application du vingtième alinéa du 5° du 1 de l'article 39 et du VI de l'article 209 du CGI, les dotations aux provisions pour dépréciation comptabilisées au titre de l'exercice sur l'ensemble des titres de participation de sociétés à prépondérance immobilière cotées, mentionnées au 3ème alinéa de l'article 219-I a du CGI et sur tous les autres titres de participation de société à prépondérance immobilière ne sont pas deductibles à hauteur des plus-values latentes existant à la clôture du même exercice, respectivement sur l'ensemble des titres de sociétés à prépondérance immobilière cotées, mentionnées au troisième alinéa de l'article 219-I a et sur l'ensemble des autres titres de participation de sociétés à prépondérance immobilière.
Rappelons que la qualification de SPI relève de l'article 219, a sexies-0 bis du CGI, qui définit ces sociétés comme celles dont l'actif est constitué pour plus de 50 % de sa valeur réelle par des immeubles, des droits portant sur des immeubles, des droits afférents à un contrat de crédit-bail immobilier ou par des titres d'autres sociétés à prépondérance immobilière. Une exception importante est prévue pour les immeubles affectés par l'entreprise à sa propre exploitation industrielle, commerciale, agricole ou à l'exercice d'une profession non commerciale.
Rappel des faits :
La société EI, filiale du groupe intégré SA E, détient des participations dans seize sociétés exploitant des carrières. Ayant constaté une perte de valeur de ces titres, elle a comptabilisé des provisions pour dépréciation au titre des exercices 2014 et 2015. L'administration fiscale, à l'issue d'une vérification de comptabilité, a remis en cause la déductibilité de ces provisions.
Elle a considéré que ces provisions pour dépréciation relevaient du régime fiscal du long terme conformément aux dispositions précitées des dix-septième et dix-huitième alinéas de l'article 39-5° du CGI.
La SA E a contesté les rehaussements d'impôt sur les sociétés estimant que les provisions pour dépréciation de titres de participations dont elle sollicite la déduction ne relèvent pas du régime fiscal du long terme. Elle fait valoir que les filiales dont l'activité est l'exploitation de carrières et dont les titres de participation ont fait l'objet des provisions en litige, sont à prépondérance immobilière, de sorte que le régime des plus et moins-values à long terme ne leur est pas applicable.
A cet égard, la SA Eiffage soutient, dans le dernier état de ses écritures d'appel, que les actifs constitués par les carrières que ses filiales exploitent, et tout particulièrement celles dont la valeur du gisement représente 50 % de la valeur totale de l'actif, sont constitutifs d'immobilisations et, partant, doivent figurer au numérateur du ratio de prépondérance immobilière. De tels actifs, selon elle, ne peuvent être regardés comme affectés directement à l'activité extractive dès lors qu'ils constituent l'objet même de cette exploitation, dans la mesure où les gisements sont consommés au fur et à mesure de l'exploitation.
L'enjeu de la contestation portait sur la qualification des sociétés exploitant les carrières comme SPI.
Le TA de Montreuil, puis la CAA de Paris, ont rejeté la demande de décharge de la société E. La cour a notamment jugé que les gisements des carrières, dès lors qu'ils ont vocation à être ultérieurement extraits, ne devaient pas être regardés comme des immeubles pour l'application du texte.
une carrière se décompose en deux éléments distincts, le premier étant le terrain de carrière ou tréfonds, immobilisation qui ne constitue pas elle-même l'objet de l'exploitation mais qui y est affectée comme moyen permanent d'exploitation, tout comme les installations immobilières permettant d'assurer l'activité extractive, le second étant constitué du gisement, c'est-à-dire des matériaux à extraire, lesquelles ne constituent pas une immobilisation mais un stock de biens meubles par anticipation. La SA Eiffage ne peut ainsi pas soutenir que la valeur des gisements exploités par ses filiales devrait figurer au numérateur du ratio de prépondérance immobilière, de sorte que les filiales dont la valeur du gisement représente plus de 50% de la valeur totale de l'actif constitueraient des sociétés à prépondérance immobilière. Elle n'est, en conséquence, pas fondée à soutenir que les provisions pour dépréciation des titres de participation de ces filiales seraient déductibles par application du régime de droit commun et non du régime du long terme.
En d'autres termes, la cour a fait prévaloir la destination économique future du bien (devenir un stock de matériaux, donc un bien meuble) sur sa nature juridique présente. C'est contre cette analyse que la société E s'est pourvue en cassation, soutenant que la cour avait commis une erreur de droit en méconnaissant la définition d'un immeuble par nature.
Le Conseil d'Etat vient d'accueillir le pourvoi de la société E et de censurer l'analyse de la Cour
Il a jugé que...
...les carrières constituent dans leur ensemble des biens immeubles de par leur nature même
...condamnant ainsi l'approche retenue par la cour d'appel qui dissociait les gisements de leur support foncier en fonction de leur destination économique.
Partant pour la haute juridiction administrative, en jugeant que les gisements n'étaient pas des immeubles au motif de leur extraction future, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
L'affaire étant renvoyée, la cour d'appel de Paris devra statuer en tenant pour acquis que les carrières sont des immeubles.
La question centrale deviendra alors celle du second temps du raisonnement prévu par l'article 219 : ces immeubles sont-ils, ou non, « affectés par l'entreprise à sa propre exploitation industrielle » ?
Si la réponse est positive, ils devront être exclus du calcul du ratio de 50 %, et les sociétés ne seront vraisemblablement pas qualifiées de SPI. La déductibilité des provisions sera alors admise.
Il pourrait en être ainsi étant donné qu'une une carrière est l'outil même de l'exploitation industrielle et commerciale de la société qui la détient....affaire à suivre.