Jurisprudence UAP sur les garanties locatives : infléchissement ou confirmation ? Explication et détails par Pierre Appremont, avocat associé chez Wragge Lawrence Graham & Co et Paméla Le Jeune, avocat chez Wragge Lawrence Graham & Co.
Lors d’une vente d’immeuble à un investisseur, il n’est pas rare que ce dernier exige du vendeur une garantie locative. Celle-ci vise à couvrir l’éventuel écart entre le niveau de loyer attendu par l’acheteur (sur lequel il a basé son prix) et le loyer réel qui peut être plus faible, en cas de vacance ou de franchise de loyer par exemple.
Concernant l’analyse comptable et fiscale des versements effectués dans le cadre d’une garantie locative, plusieurs approches coexistent ; notamment :
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une approche économique : les paiements reçus sont des revenus (aussi bien en matière comptable que pour les besoins de la fiscalité directe (dont IS) ou de la TVA) puisque ces paiements ont bien pour objet d’assurer un revenu de substitution à l’investisseur ;
Cette approche correspond au souhait d’un certain nombre d’investisseurs, qui est de pouvoir afficher un résultat comptable et un rendement immédiat après l’acquisition de l’immeuble ;
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une approche juridique , entérinée par la jurisprudence UAP (CE 5 janvier 1994, n° 73875, 9e et 8e sous-sections réunies), rendue en matière de TVA : le seul lien juridique entre acheteur et vendeur étant la vente de l’immeuble, les versements effectués par le vendeur à l’acheteur correspondent à une modalité de réalisation de la vente et s’analysent comme une réduction du prix de vente de l’immeuble.
Sur le plan fiscal, la qualification de revenu ou de réduction de prix a différents impacts :
Qualification | IS | TVA |
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Revenu |
Imposable |
Incertitude car pas de contrepartie pour le bailleur. Si pas de TVA, impacts possibles sur les droits à déduction de l’acheteur sur la période |
Réduction de prix |
Non imposable. Réduction de la base amortissable future |
Oui si le prix de vente a été soumis à la TVA |
Dans ce contexte, une décision récente du Tribunal administratif de Montreuil (15 décembre 2014, n° 1303862, 1ère chambre, SAS Akerys Promotion), rendue en matière de TVA, est de nature à préciser certains critères de distinction entre les 2 approches.
Au cas particulier, la SAS Akerys Promotion (promoteur) accordait aux acquéreurs des garanties locatives revêtant 2 aspects :
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jusqu’à l’entrée du 1er locataire, garantie d’un revenu mensuel ;
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dès l’entrée du 1er locataire, garantie au moyen d’un contrat d’assurance ; sous réserve que l’acheteur :
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confie le mandat de gérer le bien immobilier en cause à un gestionnaire agréé par la SAS Akerys Promotion, et
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régularise le contrat d’assurance lié à cette garantie.
Les services fiscaux ont considéré que la SAS Akerys Promotion avait traité à tort en réduction de prix les sommes exposées au titre de ces garanties. Cette approche a été validée par les juges du fond, qui ont relevé que :
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la garantie de loyers proposée ne pouvait être regardée comme une stipulation du contrat de vente ayant pour effet de réduire le prix, le prix étant convenu, ferme et définitif, à l’article 4 du contrat et la garantie de loyers étant proposée dans l’encart qui figure à la fin du contrat de vente, après les articles du contrat et la signature des parties ;
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cette proposition de garantie de loyers trouvait sa contrepartie dans la réalisation de la condition à laquelle elle est subordonnée, à savoir confier la gestion locative du bien immobilier à un gestionnaire agréé par le vendeur ; il s’agit donc, selon les juges, d’une offre commerciale relative à une prestation de gestion locative, distincte de la vente, entraînant l’application de la TVA à cette prestation.
Même s’il ne s’agit que d’une décision de 1ère instance, les investisseurs qui souhaitent essayer de sécuriser le traitement en revenus des paiements reçus au titre d’une garantie locative peuvent s’en inspirer. Ainsi, le fait de lier la garantie locative non à la vente mais à un contrat annexe portant sur la gestion future de l’actif (sur la période de la garantie) est de nature à permette d’éviter une requalification en réduction de prix. Reste la question de la TVA, à trancher selon les cas.
L’idée pourrait ainsi être de détacher le mécanisme de garantie locative de la vente proprement dite et de le rattacher à la gestion locative future de l’actif immobilier. Pour caractériser la prestation de services, l’acheteur aurait une action à réaliser ; dans l’affaire "Akerys Promotion", cette action/prestation était de conclure un mandat de gestion locative avec un gestionnaire agréé par le vendeur et de conclure un contrat d’assurance.
Ceci dit, une telle piste ne devrait être explorée que lorsque l’actif immobilier est loué en TVA et que le vendeur maintient une activité soumise à la TVA . Si tel n’est pas le cas, cette piste serait en effet de nature à entraîner un surcoût par rapport à un traitement fiscal en réduction de prix :
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pour l’acheteur (pas de réduction de prix venant diminuer sa TVA d’acquisition), et/ou
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pour le vendeur (pas de déduction de la TVA acquittée sur les paiements effectués au titre de la garantie locative ou, du moins, risque de discussion avec les services fiscaux sur la possibilité d’effectuer une telle déduction).