Le Conseil Constitutionnel a validé le 27 septembre 2019 la suppression du fameux « verrou de Bercy » pour les infractions fiscales les plus graves. Cette disposition permettait jusqu’à présent à l’administration fiscale, et plus particulièrement au ministre du Budget, de garder la main sur les poursuites pénales en matière de fraude fiscale, par exception au principe de libre exercice de l’action publique par le ministère public.
Depuis le 23 octobre 2018, l’administration fiscale est désormais tenue de dénoncer automatiquement au procureur de la République les opérations de contrôle ayant conduit à des redressements « importants » afin que ce dernier décide si les faits dénoncés méritent ou non des poursuites pénales.
Les poursuites pénales pour fraude fiscale devraient donc être plus nombreuses à l’avenir et pourraient notamment concerner les résidents fiscaux français qui détiennent encore des comptes bancaires à l’étranger non déclarés.
Les conséquences de l’atténuation du « verrou » de Bercy
Jusqu’à présent, les plaintes pour fraude fiscale, délit réprimé par le Code général des impôts (CGI), étaient déposées par l’administration fiscale sur avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF). Il fallait donc que l’administration fiscale se décide à porter plainte contre un contribuable pour fraude fiscale, puis qu’elle soit suivie par la CIF (ce qui était généralement le cas), pour qu’un procureur de la République puisse mettre en mouvement l’action publique.
Le procureur de la République gardait néanmoins le monopole des poursuites pour les délits réprimés par le Code pénal, c’est-à-dire le blanchiment de fraude fiscale et l’escroquerie (à la TVA notamment). Désormais, le procureur de la République a automatiquement connaissance des délits de fraude fiscale lorsque les opérations de contrôle de l’administration fiscale se matérialisent par un rappel de droits supérieur à 100.000€ et par l’application des majorations de 80% ou 100% (voir de 40% dans certains cas de récidive). Connaissance prise de ces faits, le procureur de la République est libre de poursuivre, ou non, l’auteur des faits devant le tribunal correctionnel.
Le « verrou de Bercy » est néanmoins maintenu pour les infractions qui ne respecteraient pas cumulativement les deux seuils ci-dessus.
Une définition large de la fraude fiscale
Or le délit de fraude fiscale peut être assez facilement constitué dans la mesure où son champ d’application est très vaste. L’article 1741 du CGI définit en effet la fraude fiscale comme le fait, notamment, de s’être frauduleusement soustrait à l’établissement ou au paiement de l’impôt en ayant, par exemple, volontairement omis de faire sa déclaration fiscale dans les délais prescrits ou volontairement dissimulé une part des sommes assujetties à l’impôt !
Ce délit est très lourdement sanctionné puisque la peine maximale pouvant être prononcée par le juge est de 5 ans d’emprisonnement et de 500.000€ d’amende (montant pouvant être porté au double du produit de l’infraction), ces seuils étant portés à 7 ans d’emprisonnement et à 3M€ d’amende en cas de fraude fiscale « complexe », ce qui est le cas lorsque les faits délictueux ont été facilités par l’utilisation d’un compte bancaire ouvert à l’étranger.
L’obligation de déclaration des comptes ouverts à l’étranger
Il est en effet important de rappeler que les contribuables qui résident fiscalement en France ont le droit de détenir un compte bancaire (ou un contrat d’assurance-vie) à l’étranger mais qu’ils ont l’obligation de déclarer annuellement à l’administration fiscale ses références (par le dépôt du formulaire n°3916) et les revenus qu’ils génèrent ou qui sont encaissés par son intermédiaire (par le dépôt d’une déclaration n°2047 annexée à la déclaration de revenus).
A défaut, les sanctions (fiscales) peuvent être élevées puisqu’une amende de 1.500€ (voir de 10.000€ si le compte bancaire est ouvert dans un Etat « non coopératif ») s’applique par compte non déclaré sur une période de 4 années et que les rappels d’impôt afférents aux revenus étrangers non déclarés, qui peuvent eux être redressés sur une période de 10 années, sont assortis de l’intérêt de retard de 0,2% (ou 0,4% pour les années antérieures à 2018) et d’une pénalité de 80% (ou 40% pour les années antérieures à 2017) sans que celle-ci ne puisse être inférieure à 1.500€ ou 10.000€, étant précisé que dans le cas où la pénalité de 80% est applicable, l’amende pour défaut de déclaration de compte à l’étranger mentionnée ci-dessus ne l’est pas.
Précisons néanmoins que le délai de reprise de 10 années dont dispose l’administration fiscale pour redresser un contribuable détenant des avoirs non déclarés à l’étranger est réduit à 3 années seulement lorsque ce dernier peut apporter la preuve, par la fourniture de l’intégralité des relevés bancaires correspondants, que le total des avoirs qu’il détient à l’étranger sur des comptes non déclarés n’a pas excédé 50.000€ à un moment quelconque de l’année considérée.
Un intérêt certain à se régulariser spontanément et rapidement
Depuis le 1er janvier 2016, l’échange automatique d’informations (EAI) est entré en vigueur en France et les banques françaises transmettent annuellement à l’administration fiscale française les informations concernant les titulaires des comptes ouverts dans leurs livres (nom, adresse, numéro fiscal, numéro de compte, solde du compte, revenus générés par le compte, etc.) afin qu’elle les transmette à son tour aux administrations fiscales des Etats étrangers partenaires à l’EAI, ce qu’elle fait effectivement depuis le 30 septembre 2017.
Aujourd’hui, plus de 70 Etats étrangers, parmi lesquels le Brésil, le Canada, les Etats de l’Union Européenne et quelques Etats réputés « exotiques » tels que Jersey, Guernesey ou le Panama en font de même et partagent automatiquement avec la France les mêmes informations concernant les titulaires de comptes bancaires ouverts chez eux.
Il est donc devenu très difficile, pour ne pas dire impossible, d’avoir un compte bancaire ouvert à l’étranger et que ce dernier ne soit pas connu de l’administration fiscale française.
Les contribuables qui se trouvent dans cette situation ont donc fortement intérêt à se régulariser spontanément auprès de leur centre des impôts local. A défaut, l’administration fiscale pourra aisément réunir les informations les concernant, les redresser et, le cas échéant, transmettre automatiquement ou dans le cadre d’une plainte préalable les manquements constatés au procureur de la République afin que celui-ci engage des poursuites pénales.
En effet, même si les critères de transmission automatique au parquet ne sont pas réunis (voir les seuils ci-dessus), l’administration fiscale ne devrait plus hésiter à déposer plainte contre ceux qui n’ont pas saisi l’occasion de se régulariser auprès du STDR (la cellule de régularisation ouverte spécifiquement par Bercy entre 2013 et 2017 pour les résidents fiscaux français détenant des comptes ouverts à l’étranger non déclarés) contre l’assurance de l’absence de poursuites pénales…
Une démarche spontanée, même si elle ne peut pas totalement garantir l’absence de poursuites pénales, sera néanmoins à coup sûr beaucoup mieux accueillie qu’une démarche forcée.