Rejet d'une demande visant à suspendre l'exécution de commentaires BOFIP relatifs à la retenue à la source sur les produits distribués par des sociétés françaises suite à l'article 96 de la LF pour 2025 (qui a renforcé le dispositif anti-abus dans le cadre de la lutte contre l'arbitrage de dividendes). Le juge des référés a estimé que la condition d'urgence, n'était pas remplie, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le doute sérieux quant à la légalité de la doctrine.
Pour mémoire, en application de l’article 119 bis-2 du CGI les revenus distribués donnent lieu à l’application d’une retenue à la source lorsqu’ils bénéficient à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France dont le taux dont le taux est fixé par l'article 187 du CGI. Toutefois, la plupart des conventions fiscales prévoient un taux réduit, souvent 10 % ou 15 %, auquel peuvent prétendre les résidents des États concernés.
Afin d'échapper à cette retenue à la source, l'arbitrage de dividendes s'est développé comme une pratique d'optimisation fiscale utilisant deux mécanismes distincts. Le premier, dit "montage interne", consiste à prêter temporairement les actions à un résident français, généralement une banque, qui peut recevoir les dividendes sans retenue à source avant de les reverser indirectement à l'actionnaire étranger moyennant commission. Le second, appelé "montage externe", exploite les conventions fiscales plus avantageuses en prêtant les actions à des résidents de pays, qui bénéficient d'une retenue à la source nulle.
Pour contrer ces pratiques, l'article 119 bis A du CGI a été introduit en 2019 (Art. 36 de la LF pour 2019). Il établit une présomption de distribution soumise à retenue à la source pour toute cession temporaire d'actions de moins de 45 jours. Cette mesure s'applique aux versements réalisés par des personnes établies ou domiciliées en France au profit de bénéficiaires non-résidents. Un mécanisme de remboursement existe néanmoins si le contribuable peut prouver que l'opération avait une justification économique légitime autre que l'évitement fiscal. Le dispositif s'accompagne d'obligations déclaratives renforcées pour améliorer le contrôle des transactions.
Toutefois, comme l'ont souligné de nombreux parlementaires lors des débats sur le PLF2025 le dispositif instauré en juillet 2019 pour contrecarrer cette pratique est incomplet. En effet, il se limite aux montages financiers consistant en un prêt « réel » de l’action possédée par un individu assujetti à une banque. Il ignore cependant les mécanismes plus complexes.
Partant, l'article 96 de la LF pour 2025 a institué un article 26 bis qui aménage l'article 119 bis A afin de combler les failles du dispositif anti « CumCum »
- La première modification importante concerne la notion de bénéficiaire. Le texte remplace, à l'article 119 bis du CGI, la formulation "lorsqu'ils bénéficient à" par "lorsque leurs bénéficiaires effectifs sont". Ce changement permet de mieux identifier les véritables destinataires des dividendes, au-delà des simples intermédiaires financiers.
- Ensuite, le dispositif élargit considérablement le champ d'application de la retenue à la source. Il ne se limite plus aux seuls versements directs mais englobe désormais tout "transfert de valeur", une notion nouvelle définie comme la part du produit d'actions effectivement perçue par une personne non résidente en France, quelle que soit la forme de cette perception. Cette définition large permet d'appréhender l'ensemble des montages financiers complexes, y compris ceux utilisant des produits dérivés ou des chaînes d'intermédiaires. Le texte précise notamment au b) du 2° que sont concernés les cas où le versement est lié à :
- une cession temporaire desdites actions ou parts
- une opération donnant le droit ou faisant obligation [...] de revendre ou de restituer [...] lesdites actions ou parts
- un accord ou instrument financier ayant [...] un effet économique similaire à la possession desdites actions ou parts
Le texte instaure également un principe de retenue à la source systématique de 30%, même lorsque la convention prévoit une exonération :
Lorsque les produits des actions et parts sociales et les produits assimilés mentionnés aux articles 108 à 117 bis et les revenus mentionnés au 1 du I du présent article sont versés à une personne qui est établie ou a sa résidence dans un État ou un territoire ayant signé avec la France une convention d’élimination des doubles impositions qui ne prévoit pas ou exonère de retenue à la source ces produits, la personne qui effectue le versement des produits applique, lors de la mise en paiement, le taux de retenue à la source prévu à l’article 187.
Ce mécanisme s'accompagne d'une procédure de remboursement conditionnée. Comme le précise le 2° du II nouvellement créé, le remboursement n'est possible que si
le bénéficiaire respecte l'ensemble des conditions fixées par la convention d'élimination des doubles impositions applicable
Cette approche inverse la charge de la preuve : ce n'est plus à l'administration de prouver l'abus, mais au bénéficiaire de justifier son droit à l'exonération.
L'administration fiscale a publié le 17 avril dernier un rescrit fiscal au BOFIP-Impôts qui apporte des précisions sur le nouveau dispositif fiscal anti-abus de la loi de finances pour 2025. Le paragraphe 4 de ces commentaires, en particulier, stipule que les établissements payeurs ne sont pas tenus de prélever la retenue à la source, de manière préventive, pour les opérations intervenues sur des marchés réglementés, s'ils ne connaissent pas effectivement la contrepartie.
Cette précision s'appuie sur un avis du Conseil d'État du 27 janvier 2025.
L'Association A, dont l'objet statutaire inclut la lutte contre la fraude fiscale et toute atteinte à la probité, a saisi le juge des référés du Conseil d'État afin de suspendre l'exécution de ces commentaires administratifs.
L'association A invoque l'urgence, arguant que le maintien des commentaires contestés entraînerait une perte de recettes fiscales significative et irrémédiable pour l'État. Selon l'association, cette interprétation erronée permettrait aux contribuables de ne pas acquitter la retenue à la source due, pénalisant ainsi les finances publiques et la lutte contre la fraude fiscale. Elle a également fait valoir un doute sérieux quant à la légalité des commentaires, les estimant entachés d'incompétence (restriction du champ d'application de la loi fiscale) et d'erreur de droit (ajout à la loi en méconnaissance de l'article 119 bis A du CGI et de l'intention du législateur). L'association a même suggéré un détournement de pouvoir.
Le Ministère de l'Économie et des Finances a conclu au rejet de la requête, contestant l'intérêt à agir de l'A et, subsidiairement, l'urgence et l'existence d'un doute sérieux sur la légalité des commentaires.
Le Juge des référés du Conseil d'État s'est d'abord penché sur la condition d'urgence. Il a rappelé que l'urgence s'apprécie objectivement, au regard de l'atteinte suffisamment grave et immédiate à un intérêt public. L'association A a mis en avant la perte de recettes fiscales définitives pour l'État si la doctrine contestée continuait à s'appliquer en attendant le jugement au fond.
Cependant, le Juge des référés a constaté que le recours pour excès de pouvoir introduit par l'association serait examiné au fond
au plus tard au cours du dernier trimestre de l'année en cours.
Au vu de ce délai relativement court pour un jugement au fond, le juge a considéré que la mise en œuvre de ces commentaires administratifs pendant cette période n'était pas de nature à caractériser une situation d'urgence suffisamment grave et immédiate pour justifier la suspension.
Le Juge des référés a ainsi pu rejeter la demande de suspension sans avoir besoin d'examiner la condition relative à l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité des commentaires administratifs contestés.