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Evasion fiscale

Quand la preuve de l'activité effective de l'entité étrangère fait échec à l'application de l'article 209 B du CGI

Dans le cadre du contentieux relatif à l'application de l'article 209 B du CGI qui vise à lutter contre la localisation artificielle de bénéfices dans des territoires à fiscalité privilégiée, le juge de l'impôt nous rappelle que pour écarter l'application de la clause de sauvegarde, l'administration doit démontrer que les activités exercées par l'entité étrangère sont dépourvues de substance économique ou constituent principalement un montage d'évasion fiscale.

 

L'article 209 B du CGI prévoit que lorsqu'une personne morale établie en France détient directement ou indirectement plus de 50 % des droits dans une entité juridique établie hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié, les bénéfices de cette entité sont imposables à l'impôt sur les sociétés en France. Ce mécanisme, inspiré de la réglementation CFC (Controlled Foreign Company), vise à imposer en France les bénéfices réalisés par des entités contrôlées établies dans des États ou territoires non coopératifs ou à régime fiscal privilégié.

 

Cet article prévoit toutefois une clause de sauvegarde qui fonctionne différemment selon que l'entité détenue se situe dans l'UE ou hors UE.

  • Pour les entités établies dans un État membre de l'UE, l'administration doit démontrer l'existence d'un "montage artificiel" dont le but serait de contourner la législation fiscale française. Cette notion, issue de la jurisprudence européenne et notamment des arrêts Imperial Chemical Industries et Cadbury Schweppes, s'apprécie selon des critères objectifs. L'absence de montage artificiel se caractérise par la réalité de l'implantation physique (locaux, personnel, équipements) et l'exercice effectif d'une activité économique.
  • Le régime applicable aux entités établies hors UE repose sur un système plus comliqué organisé autour de plusieurs niveaux de sauvegarde. Le principe de base prévoit une exonération automatique lorsque l'entité tire ses bénéfices d'activités industrielles et commerciales effectives. Les activités industrielles concernent essentiellement la production et la transformation de biens, tandis que les activités commerciales englobent les achats-ventes, la location et les prestations de services, à l'exclusion des activités civiles et libérales par nature.

L'effectivité constitue un critère déterminant : sont exclues du bénéfice de l'exonération les entités sans implantation réelle ou ne réalisant pas d'opérations formant un cycle commercial complet. Le BOFIP vise explicitement les "boîtes aux lettres" dont les opérations sont effectivement réalisées par la société mère française.

 

Cette exonération automatique disparaît lorsque certains seuils sont franchis. Le seuil de 20 % concerne les revenus provenant d'opérations sur actifs financiers ou incorporels. Les opérations financières couvrent la gestion, le maintien et l'accroissement de titres, participations, créances et actifs analogues, incluant tous les instruments financiers. Les opérations sur actifs incorporels visent les redevances et plus-values liées à la propriété intellectuelle, industrielle ou artistique.

Le seuil de 50 % ajoute aux opérations précédentes les prestations de services intra-groupe, englobant tous les services administratifs, techniques, financiers ou commerciaux rendus aux membres du groupe. Une particularité notable réside dans l'effet "tout ou rien" de ces seuils : leur dépassement entraîne l'imposition de la totalité des bénéfices de l'entité étrangère, non de leur seule fraction "suspecte".

 

Même en cas de dépassement des seuils, les entreprises françaises conservent la faculté de démontrer que les opérations de leur filiale étrangère ont principalement un effet autre que fiscal. Cette preuve exige la production d'éléments matériels et quantitatifs permettant une comparaison objective entre les avantages fiscaux et les avantages économiques réels.

 

Rappel des faits :

La société R, spécialisée dans la distribution de produits pétroliers, i a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 31 décembre 2017 et 2018. Au cours de cette vérification, l'administration fiscale a considéré que les revenus réalisés par sa filiale E Ltd, localisée à l'île Maurice, devaient être imposés en France en application de l'article 209 B du CGI.

 

E Ltd, acquise en 1999 par la SAS R, est une société holding détenant les participations du groupe R notamment à Madagascar, au Sénégal et aux Comores. Cette société exerce pour le compte de ses filiales des prestations d'assistance administrative et technique, des activités de gestion de participations ainsi que de propriété intellectuelle. Il est établi que la SAS R détient 100 % des titres de la société E Ltd et que cette dernière est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A du CGI.

Suite à cette vérification, l'administration a rehaussé la base imposable de la société R au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2018, considérant que les bénéfices d'E Ltd devaient être réputés constituer des revenus de capitaux mobiliers imposables en France.

 

La SCA R, en tant que société mère du groupe fiscalement intégré R, a contesté cette imposition en demandant la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales, pour un montant de 831 301 €

  • La société se prévaut de la clause de sauvegarde prévue par l'article 209 B-III, soutenant que la localisation de la société E Ltd à l'île Maurice n'avait pas pour effet et pour objet la localisation de bénéfices dans un État à fiscalité privilégiée.
  • Elle a également invoqué la clause de sauvegarde visée par les dispositions du deuxième alinéa du paragraphe III de l'article 209 B, arguant qu'E Ltd exerce une activité commerciale de prestations de services intragroupe et, depuis l'acquisition de Galana en 2017, de gestion de redevances de marque. Cette argumentation tend à démontrer le caractère effectif et commercial des activités exercées par la filiale mauricienne.
  • Enfin, la société R a soulevé un moyen tiré de la contrariété de l'article 209 B du CGI à la libre circulation des capitaux, invoquant ainsi le droit de l'Union européenne pour contester l'application de la législation anti-évasion française.

Le tribunal administratif de Montreuil a adopté une analyse favorable à la société R, reconnaissant le bien-fondé de son recours à la clause de sauvegarde.

 

Le tribunal a d'abord rappelé les faits établis, relevant qu'E Ltd est une société holding détenant les participations du groupe R notamment à Madagascar, au Sénégal et aux Comores, exerçant des prestations d'assistance administrative et technique, des activités de gestion de participations ainsi que de propriété intellectuelle. 

 

L'élément déterminant de la décision réside dans la reconnaissance par le tribunal du caractère effectif des activités exercées par E Ltd.

  • Le juge de l'impôt a relevé que la société R soutenait que les bénéfices réalisés par E Ltd provenaient de prestations d'assistance administrative et technique réalisées dans ses différentes filiales africaines par des salariés de la société résidant dans le pays d'implantation desdites filiales et, depuis 2017, de la gestion de la marque Galana.
  • Il a insisté sur le fait que ces activités sont effectives (élément que l'administration ne conteste pas).

Cette reconnaissance de l'effectivité des activités a joué un rôle essentiel dans l'application de la clause de sauvegarde.

 

Le juge a également relevé qu'E Ltd disposait de trois salariés permanents résidant à l'île Maurice depuis 2017, accomplissant des prestations de gestion comptable, de conformité et de logistique, ainsi que deux administrateurs.

 

Sur cette base, le tribunal a conclu que la société requérante devait être regardée comme établissant que les opérations réalisées par Eccleston Co Ltd sur les exercices vérifiés n'avaient pas principalement pour effet et pour objet d'éluder des bases d'imposition en France.

 

Cette conclusion a ainsi permis l'application de la clause de sauvegarde prévue par l'article 209 B-III al.1 du CGI.

 

Le tribunal a accordé la décharge demandée, tout en rectifiant le montant réclamé par la société requérante. Alors que celle-ci sollicitait une décharge de 831 031 euros, le tribunal a relevé que seule une somme de 807 976 euros avait été mise à sa charge selon l'avis de mise en recouvrement du 30 juillet 2021, accordant la décharge à concurrence de ce montant rectifié.

 

L'arrêt confirme que l'administration fiscale ne peut se contenter d'une approche purement formelle pour écarter l'application de la clause de sauvegarde. Elle doit démontrer que les activités exercées par l'entité étrangère sont dépourvues de substance économique ou constituent principalement un montage d'évasion fiscale. À l'inverse, le contribuable doit établir la réalité et l'effectivité des activités exercées par sa filiale étrangère.

 

La décision met en évidence plusieurs éléments factuels déterminants pour l'appréciation de la clause de sauvegarde :

  • la présence de salariés permanents dans le pays d'implantation de la filiale,
  • l'exercice d'activités de gestion effective auprès des filiales opérationnelles,
  • et la réalisation de prestations d'assistance administrative et technique

constituent autant d'indices d'une activité effective.

La gestion de propriété intellectuelle, comme la marque Galana mentionnée dans l'arrêt, peut également constituer une activité commerciale substantielle.

 

Publié le jeudi 3 juillet 2025 par La rédaction

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