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Exonération des salariés expatriés : la nécessité d'établir un lien de subordination effectif avec l'employeur situé dans l'UE

Le régime d’exonération des salaires versés aux salariés envoyés à l'étranger est un dispositif important pour la mobilité internationale des résidents fiscaux français. Cependant, son application au sein de groupes de sociétés internationaux, où les liens contractuels formels peuvent différer de la réalité opérationnelle, est une source de contentieux récurrents. Le juge vient d'ailleurs de nous rappeler que le bénéfice de ce régime est subordonné à la capacité du contribuable de prouver, par un faisceau d'indices concordants, la réalité du lien de subordination avec un employeur situé dans l'EEE...et au cas d'espèce il n'y est pas arrivé.

 

Le législateur a instauré, pour les salariés envoyés à l'étranger par un employeur établi en France et qui conservent leur domicile fiscal en France, un régime d'exonération totale ou partielle à l’impôt sur le revenu de leurs traitements et salaires perçus en rémunération de l'activité exercée à l'étranger.  Ce régime d'exonération est prévu à l’article 81 A du CGI.

 

L’employeur doit être établi en France, ou dans un autre État membre de l'UE, ou dans un État partie à l'accord sur l'EEE ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales

 

L’employeur s’entend de l’entité juridique à laquelle le salarié est contractuellement lié.

L’employeur doit disposer en France, dans un autre État membre de la l'UE, ou de l'EEE ayant conclu un convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale avec la France, de son siège social ou d’un établissement au sens de la définition qui en est donnée en matière d'impôt sur les sociétés (BOI-IS-CHAMP-60-10-10), c’est-à-dire une entité qui se caractérise, en principe, par l’existence d’un organisme professionnel dont l’installation présente un certain caractère de permanence et qui possède une autonomie propre.

C’est entre cet employeur et le salarié exerçant une activité à l’étranger que doit exister le lien contractuel pour que ce dernier puisse prétendre au bénéfice des dispositions de l’article 81 A du CGI.

BOI-RSA-GEO-10-10, n°90 et s

 

 

La jurisprudence a précisé que la notion d'employeur ne s'arrête pas à la seule signature d'un contrat de travail. Le juge de l'impôt peut, et doit, rechercher quel est l'employeur de fait, c'est-à-dire l'entité qui exerce le pouvoir de direction, de contrôle et de sanction caractérisant le lien de subordination.

 

Dans le cadre d'un groupe international, il est donc possible pour un salarié, formellement employé par une filiale locale hors UE/EEE, de revendiquer que son véritable employeur est la société mère ou une autre entité du groupe située dans la zone éligible. Toutefois, cette revendication inverse la charge de la preuve, et il incombe alors au salarié de démontrer la réalité de ce lien hiérarchique et fonctionnel...et la preuve n'est pas aissée à apporter.

 

Rappel des faits :

Un couple de résidents fiscaux français (Les époux C) contestait des rehaussements d'impôt sur le revenu pour les années 2015 à 2017, ainsi que leur imposition initiale pour 2019. Le litige portait sur le refus de l'administration d'admettre l'exonération des revenus perçus par M. C pour son activité de "senior toolpusher" sur une plateforme de forage en Angola.

Pour justifier sa demande d'exonération, le contribuable soutenait que, bien que son activité se déroulât en Angola et que certains documents le liaient à une filiale locale, son véritable employeur, au sens de l'article 81 A, était la société ENSCO plc, tête de groupe dont le siège était à Londres, donc au sein de l'Union européenne pour les années considérées.

L'administration fiscale, se fondant sur les documents fournis par le contribuable (certains rédigés en anglais ou en portugais et non traduits), a estimé que M. C était employé par la filiale angolaise, la société Sonamer Perfuracoes Lda, ou par une autre entité du groupe non localisée dans la zone UE/EEE. Elle a donc refusé l'exonération.

Après le rejet de leurs réclamations, les contribuables ont saisi le TA de Pau, qui a rejeté leurs demandes.

 

C'est dans ce contexte qu'ils ont fait appel devant la CAA de Bordeaux.

 

 

La Cour d'appel vient de rejeter l'appel des époux C confirmant la position de l'administration et des premiers juges.

  • La Cour a jugé que pour bénéficier de l'exonération, il ne suffit pas d'avoir un contrat avec une filiale locale (en Angola) appartenant à un groupe dont la société-mère est dans l'Union européenne (à Londres). Le contribuable doit prouver que son employeur réel (c'est-à-dire l'entité qui exerce le véritable pouvoir de direction et de contrôle) est bien situé dans un territoire éligible (UE/EEE).

     

     

En examinant les preuves, la Cour a constaté que :

    • Les documents fournis étaient insuffisants et ambigus (Les lettres d'emploi initiales, organigramme, certificats de formation, notes de service). La plupart ne permettaient pas d'identifier avec certitude la société-mère londonienne comme étant l'employeur.

    • Des éléments contredisaient la thèse des requérants, notamment le fait que les impôts sur le salaire étaient payés en Angola par la filiale locale

    • Un seul document (une lettre de bonus) émanait clairement de la direction londonienne, ce qui a été jugé insuffisant pour prouver un lien de subordination permanent et effectif.

La Cour relève qu'aucun des documents fournis par les époux C ne permet d'attribuer de manière certaine une autorité hiérarchique à la société de Londres. Soit ils sont génériques et portent un logo "ENSCO" sans préciser l'entité juridique, soit ils se rapportent à des périodes antérieures ou postérieures aux années d'imposition en litige, soit ils ne démontrent pas un pouvoir de direction continu.

 

En l'absence de preuve que les responsables hiérarchiques de M. C et que les décisions relatives de sa carrière émanaient de Londres, la Cour conclut que les conditions de l'exonération ne sont pas remplies.


 

Pour les salariés expatriés dans une situation similaire, il est impératif de constituer en amont un dossier solide. Celui-ci devrait idéalement inclure :

  • Un contrat de travail en bonne et due forme avec l'entité européenne ;

  • Des organigrammes précis montrant un rattachement hiérarchique direct à des supérieurs basés dans la zone UE/EEE ;

  • Des évaluations annuelles, des instructions et des correspondances émanant clairement de la direction européenne ;

  • Toute preuve démontrant que le pouvoir de décision (objectifs, rémunération, carrière) est exercé depuis l'Europe et non depuis le lieu d'activité.

Publié le mardi 14 octobre 2025 par La rédaction

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