Le juge de l'impôt nous confirme, s'agissant des sommes issues d'un compte épargne-temps (CET) consignées auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) que la disponibilité fiscale s'apprécie au regard du pouvoir effectif de disposition du contribuable, indépendamment des modalités formelles de détention ou de gestion des sommes.
Pour mémoire, l'article 12 du CGI établit le principe fondamental de l'imposition des revenus selon leur disponibilité annuelle. Cette règle conditionne l'assujettissement à l'impôt sur le revenu à la réalisation ou à la mise à disposition des revenus au cours de l'année d'imposition. Le concept de disponibilité ne se limite pas au versement effectif des sommes mais englobe toutes les situations où le contribuable dispose, juridiquement ou factuellement, du pouvoir de percevoir les revenus.
La jurisprudence administrative a développé une conception extensive de la disponibilité, considérant comme imposables les sommes que le contribuable "a opéré, ou aurait pu, en droit ou en fait, opérer un prélèvement au plus tard le 31 décembre" de l'année d'imposition. Cette approche pragmatique privilégie la réalité du pouvoir de disposition sur les mécanismes juridiques formels.
Le compte épargne-temps, institué par les articles L. 3151-1 et suivants du Code du travail, permet aux salariés d'accumuler des droits à congés rémunérés ou de bénéficier d'une rémunération en contrepartie de périodes de congés ou de repos non prises. La monétisation des droits acquis sur un CET constitue une faculté offerte au salarié de convertir ses droits à congés en rémunération immédiate ou différée. Cette conversion crée un droit de créance du salarié sur son employeur, susceptible d'être traité selon différentes modalités : versement immédiat, alimentation d'un plan d'épargne ou consignation auprès d'un tiers.
Les articles D. 3154-5 et D. 3154-6 du Code du travail organisent les modalités de consignation des droits monétisés auprès de la Caisse des dépôts et consignations. Ce mécanisme, introduit pour sécuriser les droits des salariés en cas de difficultés de l'employeur, transfère la détention matérielle des sommes vers un organisme public tout en préservant les droits du bénéficiaire. L'article D. 3154-5 prévoit que la consignation s'effectue à la demande conjointe du salarié et de l'employeur, accompagnée d'une déclaration précisant les modalités de déblocage. L'article D. 3154-6 détermine les conditions de déconsignation, notamment la possibilité pour le salarié de récupérer tout ou partie des sommes "à tout moment" et "sur simple demande".
Rappel des faits :
Monsieur B. était titulaire d'un compte épargne-temps au sein de son entreprise, sur lequel il avait accumulé des droits à congés rémunérés. Le 28 décembre 2015, ces droits ont été monétisés pour un montant de 258 283 € et consignés auprès de la CDC, conformément aux dispositions du Code du travail.
Cette opération de consignation s'est effectuée dans le cadre d'un accord entre le salarié et son employeur, visant à sécuriser les droits acquis face aux risques économiques pesant sur l'entreprise. La déclaration de consignation précisait que les sommes pourraient être récupérées par le salarié "sur simple demande de sa part et sur justification de son identité".
Monsieur B. n'a pas déclaré cette somme dans ses revenus imposables au titre de l'année 2015, considérant que la consignation faisait obstacle à la disponibilité fiscale des sommes.
L'administration fiscale a diligenté un contrôle sur pièces de la déclaration de Monsieur B. au titre de l'année 2015, révélant l'existence des sommes consignées. Par une proposition de rectification du 7 août 2018, l'administration a procédé à la réintégration de ces sommes dans la catégorie des traitements et salaires, générant une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu.
Cette proposition de rectification exposait les motifs de la réintégration en s'appuyant sur le principe de disponibilité fiscale et en relevant que les modalités de déblocage ne créaient aucune indisponibilité réelle pour le contribuable. L'administration mettait en avant le caractère discrétionnaire du pouvoir de récupération des sommes.
Le contribuable, contestant cette imposition, a d'abord saisi le TA de Melun, qui a rejeté sa demande par un jugement du 9 novembre 2023. M. B a alors fait appel devant la Cour administrative d'appel de Paris.
Sur le fond, Monsieur B. soutenait que les droits consignés auprès de la Caisse des dépôts et consignations n'étaient pas disponibles au sens fiscal tant qu'il n'avait pas sollicité leur déblocage. Il s'appuyait sur les articles D. 3154-5 et D. 3154-6 du Code du travail pour arguer d'une indisponibilité juridique.
La Cour administrative d'appel de Paris, vient de rejeter la requête de M. B
Nous nous attarderons uniquement sur raisonnement de la Cour au "fond" (disponibilité des sommes consignées) en laissant de côté les arguments de forme relevés par M. B, qui n'ont pas emporté la conviction du juge.
- La cour a d'abord rappelé les principes fondamentaux de l'imposition des revenus au titre de l'impôt sur le revenu.
Conformément à l'article 12 du CGI, l'impôt est dû sur les revenus dont le contribuable "dispose" au cours de l'année. L'article 79 du CGI précise que les traitements et salaires concourent à la formation du revenu global. La jurisprudence constante interprète ces dispositions en considérant comme disponibles les sommes qui ont été mises à la disposition du contribuable, que ce soit par paiement ou par inscription à un compte sur lequel il a pu, en droit ou en fait, opérer un prélèvement au plus tard le 31 décembre de l'année d'imposition.
- Appliquant ces principes au cas d'espèce, la cour s'est appuyée sur les articles D. 3154-5 et D. 3154-6 du Code du travail précités qui régissent la consignation et le déblocage des droits acquis sur un CET.
L'article D. 3154-6 prévoit expressément que le déblocage des droits consignés peut intervenir...
...à la demande du salarié bénéficiaire ou de ses ayants droit, par le paiement, à tout moment, de tout ou partie des sommes consignées.
La cour a relevé que la déclaration de consignation elle-même précisait que
...les sommes pourront être remises par la Caisse des dépôts au salarié sur simple demande de sa part et sur justification de son identité.
Fort de ces constatations, la cour en a déduit que la perception des sommes litigieuses ne dépendait que de la seule volonté du requérant. Dès lors, ces sommes devaient être considérées comme ayant été mises à sa disposition au titre de l'année 2015.
TL;DR
Dès lors que le contribuable a la capacité de percevoir les fonds par une simple manifestation de volonté, sans condition suspensive ou potestative de la part d'un tiers, ces sommes sont réputées disponibles et donc imposables.
La consignation auprès de la Caisse des dépôts et consignations, dans le cadre d'un compte épargne-temps, n'est pas assimilée à un blocage rendant les sommes indisponibles fiscalement si le salarié conserve la maîtrise de leur déblocage à tout moment.