Le juge de l'impôt s'est penché sur le régime fiscal des gains d'acquisition de stock-options et d'actions gratuites pour les contribuables ayant exercé une activité à l'étranger et revenu dans l'hexagone lors de la levée d'option et de la cession. Il rappelle les principes d'imposition en France en cas de changement de résidence fiscale et, surtout, la rigueur de la preuve exigée pour bénéficier d'un crédit d'impôt prévu par une convention fiscale bilatérale.
Pour mémoire, en droit fiscal interne, les articles 80 bis et 80 quaterdecies du CGI organisent respectivement l'imposition des gains de levée d'options et des gains d'acquisition d'actions gratuites. Ces dispositions prévoient un régime dérogatoire au principe général de l'article 12 du CGI selon lequel l'impôt est dû au titre de l'année de réalisation du revenu. En effet, l'imposition de ces avantages en nature est reportée et n'intervient qu'au moment de la cession des titres, sous certaines conditions de conservation.
Par ailleurs, le principe de territorialité de l'impôt français, énoncé à l'article 4 A du CGI, soumet les résidents fiscaux français à l'impôt sur l'ensemble de leurs revenus mondiaux, tandis que les non-résidents ne sont imposables qu'à raison de leurs revenus de source française. L'article 4 B du code précité précise les critères de détermination du domicile fiscal français, notamment la possession en France du foyer ou du lieu de séjour principal.
Enfin, sur le plan conventionnel, la convention fiscale franco-kazakhe du 3 février 1998 modifiée organise la répartition du pouvoir d'imposer entre les deux États. Son article 15 attribue en principe le droit d'imposer les salaires à l'État de résidence du bénéficiaire, sauf si l'emploi est exercé dans l'autre État contractant. L'article 23 prévoit un mécanisme d'élimination des doubles impositions par la méthode du crédit d'impôt.
Rappel des faits :
L'affaire concerne M. A salarié de la société Total qui a exercé une activité salariée au Kazakhstan du 1er janvier 2009 au 31 août 2014, période durant laquelle il était fiscalement domicilié dans cet État. C'est pendant cette période d'expatriation qu'il a bénéficié, par une décision du 14 septembre 2010, d'options de souscription d'actions Total au cours de 38,20 € et d'actions gratuites conditionnelles définitivement acquises le 14 septembre 2012 au cours de 41,67 €.
Le salarié est ensuite redevenu résident fiscal français à compter du 1er septembre 2014. Le 25 février 2015, soit quelques mois après son retour en France, il a procédé à la levée d'option et à la cession simultanée de 10 900 actions Total au cours de 45,50 €, réalisant un gain de levée d'option de 79 570 €. Parallèlement, il a cédé 1 420 actions gratuites au cours de 46,825 €, dégageant un gain d'acquisition de 59 171,14 €. Ces gains n'ont pas été déclarés dans sa déclaration de revenus 2015.
L'administration fiscale a redressé M. A. pour ces gains, considérant qu'ils étaient imposables en France au titre de l'année 2015. Après avoir initialement accepté ces rectifications, M. A. a formé une réclamation contentieuse, puis a fait appel du jugement du tribunal administratif de Versailles qui avait rejeté sa demande de décharge.
- Devant la Cour, M. A. soutient que la plus-value d'acquisition n'était pas imposable en France, car elle correspondait à une activité salariée exercée au Kazakhstan où il était fiscalement domicilié. Il s'est référé à une décision du Conseil d'État (n° 408763) et à l'interprétation administrative de la loi fiscale (BOI-RSA-ES-20-10-20-60 et BOI-RSA-ES-20-20-20), qui, selon lui, exonéraient les gains liés à une activité exercée hors de France dans un État conventionné. Il a également fait valoir que la convention fiscale franco-kazakhe n'était pas applicable en 2015 puisqu'il était résident français et y exerçait son activité à cette date.
Cette décision du Conseil d'État du 18 octobre 2017 concerne l'imposition d'un gain de levée d'options d'achat d'actions dans le contexte d'une situation internationale. M. A, résident français, avait bénéficié d'options d'achat d'actions de la société G en 2001 et 2003, puis était devenu résident fiscal britannique en 2006. Il a exercé ses options en 2008 et vendu immédiatement les actions, générant un gain que l'administration fiscale française a voulu imposer. La question centrale portait sur la détermination de la période d'activité rémunérée par l'attribution des options, au regard de la convention fiscale franco-britannique qui prévoit que les rémunérations ne sont imposables en France que si l'activité correspondante y a été exercée. La CAA de Versailles avait considéré que l'activité rémunérée par les options attribuées en 2003 correspondait aux trois années suivant cette attribution, réduisant ainsi l'imposition. Le Conseil d'État a cassé cette décision en précisant que l'activité rémunérée ne correspondait qu'aux deux années suivant l'attribution, période pendant laquelle le salarié devait obligatoirement rester dans l'entreprise pour conserver le bénéfice de ses options. Puisque M. A. exerçait son activité entièrement en France de 2003 à 2005, le gain de levée d'option correspondant aux options attribuées en 2003 est entièrement imposable en France.
- De son côté, l'administration fiscale faisait valoir que M. A redevenu résident fiscal français au moment de la cession des titres en février 2015, était légalement redevable de l'impôt français sur ces gains en application du principe de territorialité.
Concernant l'application de la convention fiscale franco-kazakhe, l'administration reconnaissait que les gains étaient théoriquement imposables au Kazakhstan en tant que rémunération d'une activité salariée exercée dans cet État. Toutefois, elle soulignait que le bénéfice du crédit d'impôt prévu par la convention était subordonné à la justification de l'acquittement effectif de l'impôt au Kazakhstan, condition que M. A ne remplissait pas.
La Cour vient de rejeter la requête de M. A, confirmant ainsi le bien-fondé des impositions.
Le juge nous rappelle, tout d'abord, qu'une convention fiscale internationale ne peut pas directement servir de base légale à une décision d'imposition, mais peut seulement faire obstacle à l'application de la loi fiscale nationale. Cette hiérarchie des normes imposait donc à la Cour de vérifier d'abord la validité de l'imposition au regard du droit français avant d'examiner l'éventuel obstacle conventionnel.
Sur la forme, M. A. ayant expressément accepté les rectifications proposées par l'administration dans un courrier du 14 septembre 2018 (à l'exception d'une majoration), il lui incombait, en application de l'article R. 194-1 du LPF, de prouver le caractère exagéré des impositions.
Concernant l'application de la loi fiscale française, la Cour a validé l'imposition des gains en France :
Elle a rappelé que l'article 80 bis et l'article 80 quaterdecies du CGI prévoient que l'imposition des gains de levée d'option et des gains d'acquisition d'actions gratuites intervient au titre de l'année de cession des titres. Or, à la date de la levée d'option et de la cession des titres (février 2015), M. A. avait son foyer fiscal en France depuis le 1er septembre 2014. Par conséquent, en vertu du principe de l'imposition des résidents sur l'ensemble de leurs revenus (article 4 A du CGI), l'administration était fondée à imposer ces gains en France. Le fait que l'activité justifiant l'attribution des titres ait été exercée au Kazakhstan était donc sans incidence.
Concernant l'application de la convention fiscale franco-kazakhe :
- la Cour a d'abord précisé que M. A. était bien soumis à la convention, en sa qualité de résident fiscal français en février 2015 (articles 1 et 4 de la convention).
- Puis, la Cour a examiné l'article 15 de la convention, relatif aux salaires et autres rémunérations similaires. Elle a jugé que les sommes en cause, provenant de la cession d'actions acquises alors que M. A. travaillait au Kazakhstan, étaient imposables dans cet état en application de cet article 15. Cependant, elle a rappelé que l'article 23 de la convention, qui vise à éliminer les doubles impositions pour la France, prévoyait que ces revenus, bien qu'imposables au Kazakhstan, devaient être pris en compte pour le calcul de l'impôt français. Dans ce cas, M. A. aurait eu droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français, égal au montant de l'impôt français correspondant à ces revenus, à condition qu'il justifie de l'acquittement de l'impôt au Kazakhstan. Or, M. A., à qui incombait la charge de la preuve, n'a pas justifié avoir acquitté cet impôt au Kazakhstan. En conséquence, le bénéfice du crédit d'impôt lui a été refusé.
Enfin, sur l'interprétation administrative de la loi fiscale (BOI-RSA-ES-20-10-20-60 et BOI-RSA-ES-20-20-20) :
la Cour a estimé que M. A. ne pouvait s'en prévaloir. Les commentaires administratifs invoqués prévoient en effet que le gain est imposable dans le ou les États où l'activité justifiant l'attribution de l'option a été exercée, sous réserve que la rémunération soit imposable dans cet État et que le bénéficiaire soit soumis à l'impôt dans cet État. La Cour a souligné que M. A. n'avait pas démontré avoir rempli l'ensemble des conditions fixées par la convention pour bénéficier du crédit d'impôt en France, notamment la preuve de l'acquittement de l'impôt au Kazakhstan. Les commentaires administratifs n'apportaient donc pas une interprétation différente des dispositions légales et conventionnelles applicables.
TL;DR
- Le juge nous rappelle le principe selon lequel l'imposition des gains sur instruments de rémunération différée s'apprécie au regard de la résidence fiscale du bénéficiaire au moment de la cession, indépendamment du lieu d'exercice de l'activité ayant justifié leur attribution.
- De même il nous rappelle que le bénéfice du crédit d'impôt conventionnel est subordonné à des conditions strictes, notamment la justification de l'acquittement effectif de l'impôt dans l'État de la source.