Le juge de l'impôt nous rappelle, en matière d'apport-cession, qu'une acquisition réalisée par la société bénéficiaire de l'apport, même la veille de la cession des titres apportés, ne peut constituer le réinvestissement exigé par la loi, faute d'être financée par le « produit » d'une cession qui n'est pas encore intervenue.
L’article 150‑0 B ter du CGI que l'on ne présente plus prévoit un mécanisme de report d’imposition obligatoire des plus-values réalisées lors de l’apport de titres à une société contrôlée par l’apporteur personne physique.
Ce report d’imposition expire notamment lorsque les titres apportés sont cédés par la société bénéficiaire de l’apport dans les trois ans à compter de celui-ci.
Par exception, le report d’imposition est maintenu si la société prend l’engagement de réinvestir le produit de cession, dans un délai de deux ans à compter de cette cession, à hauteur de 60 % au moins de ce produit (50 % s'agissant des cessions intervenues avant le 1er janvier 2019), dans certaines entreprises opérationnelles listées dans la loi, cette condition de réinvestissement ayant vocation à prévenir les abus.
Rappel des faits :
M. C a apporté le 10 septembre 2013 des titres à sa holding, la SARL E, plaçant la plus-value en report sous le régime de l'article 150-0 B ter. La holding E a procédé à deux opérations successives : le 29 septembre 2014, elle a acquis des parts d'une autre société (SARL FC) et le 30 septembre 2014, soit le lendemain, elle a cédé les titres qui lui avaient été apportés en 2013.
La cession étant intervenue moins de trois ans après l'apport, l'administration a remis en cause le report d'imposition au titre de l'année 2014, estimant que la condition de réinvestissement n'était pas remplie.
- M.C conteste cette analyse en soutenant que l'acquisition réalisée le 29 septembre 2014 constituait bien le réinvestissement requis. Il estime que l'article 150-0 B ter n'exigeait pas expressément que la cession des titres apportés intervienne avant l'acquisition constitutive du réinvestissement.
- À titre subsidiaire, il soutient que l'administration ne pouvait lui reprocher l'absence d'un "engagement" formel de réinvestissement en 2014, dès lors que le décret d'application fixant les obligations déclaratives (futur article 74-0 L de l'annexe II au CGI) n'a été publié qu'en février 2016. Enfin, il estime que la déchéance ne pouvait, en tout état de cause, intervenir qu'en 2016, à l'expiration du délai de deux ans.
Pour l'administration, l'opération du 29 septembre 2014 ne pouvait, par définition, être un réinvestissement découlant du produit de la cession des titres, puisque cette cession n'avait eu lieu que le 30 septembre.
La Cour vient de rejeter la requête de M. C.
- Concernant l'absence d'obligation déclarative formelle, la Cour donne raison au contribuable. Elle constate qu'à la date des faits (2014), les dispositions réglementaires issues du décret de 2016 n'étant pas en vigueur, la SARL E n'était "soumise à aucune obligation déclarative" spécifique conditionnant le maintien du report.
8. Alors que le point VI de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, dans sa version applicable à l'année d'imposition en litige, prévoyait qu'un décret en Conseil d'Etat devait fixer les conditions d'application de l'article, et notamment les obligations déclaratives des contribuables, les dispositions de l'article 74-0 L de l'annexe II au code général des impôts, issues du décret n° 2016-177 du 22 février 2016, qui soumettent désormais la société bénéficiaire de l'apport à l'obligation de mentionner diverses informations dans une attestation annexée à sa déclaration de résultat de l'année de survenance d'un des évènements mentionnés à la première phrase du 2° du I de l'article 150-0 B ter du code général des impôts n'étaient pas en vigueur à la date de la cession. Par suite, la SARL Epex n'était soumise à aucune obligation déclarative conditionnant le maintien du report d'imposition dont elle bénéficiait.
- Sur le fond, la Cour juge que, si le contribuable se prévaut de l'acquisition du 29 septembre 2014 comme réinvestissement, cette opération...
...ne peut être regardée comme un réinvestissement au sens des dispositions précitées (...) dès lors qu'elle est intervenue antérieurement à l'apport des titres du 30 septembre 2014
Pour la Cour, l'article 150-0 B ter-I-2° vise l'engagement "d'investir le produit de leur cession". Le "produit" d'une cession n'existant qu'à compter de la réalisation de ladite cession, un investissement réalisé avant cette date ne peut, par définition, en constituer le réinvestissement.
La condition de maintien du report n'ayant pas été remplie (puisque l'unique réinvestissement invoqué n'était pas éligible et qu'aucun autre n'a été réalisé avant le 30 septembre 2016), la Cour confirme que la cession des titres le 30 septembre 2014, intervenant moins de trois ans après l'apport, a mis fin au report d'imposition.
Partant, pour la Cour, c'est à bon droit que l'administration a taxé la plus-value au titre de l'année 2014.