L'opération de réduction de capital non motivée par des pertes, suivie du rachat par la société de ses propres titres, constitue une voie légale permettant de bénéficier du régime fiscal plus favorable des plus-values mobilières. Toutefois, l'administration fiscale y voit souvent un procédé artificiel visant à déguiser une simple distribution de bénéfices. Un récent avis du Comité de l'abus de droit fiscal vient apporter un éclairage sur les critères permettant de distinguer l'optimisation légitime du montage abusif, en plaçant l'intention réelle du dirigeant et le contexte économique de l'opération au cœur de son analyse.
Cette affaire s'inscrit dans le cadre de l'application du régime des plus-values aux opérations de rachat de titres par les sociétés.
Pour mémoire, à la suite de la décision n° 2014-404 QPC du 20 juin 2014 du Conseil constitutionnel, le régime fiscal du rachat par une société de ses propres parts ou actions a été modifié par l'article 88 de la LFR pour 2014. Pour les rachats réalisés à compter du 1er janvier 2015, le résultat constaté par le porteur de parts ou actionnaire est imposé selon le seul régime des plus-values. En effet, l'article 112, 6° du CGI prévoit que ne sont pas considérées comme des revenus distribués les sommes ou valeurs attribuées aux associés ou actionnaires au titre du rachat de leurs parts ou actions. Le régime des plus-values prévu aux articles 150-0 A et suivants du CGI est alors applicable. Cette réforme visait à simplifier un système complexe qui distinguait auparavant, selon les circonstances, entre distributions et plus-values.
Pour autant, L'administration fiscale a vu dans cette évolution législative une opportunité d'optimisation fiscale qu'elle entend encadrer en considérant que toute opération de réduction de capital dépourvue de justification économique substantielle constitue un détournement du régime des plus-values....et donc un abus de droit fiscal (Art. L64 du LPF)
Rappel des faits :
Dans cette affaire, un gérant associé unique d'une EURL avait procédé, en 2016, à une augmentation de capital significative par incorporation de réserves, puis, quatre ans plus tard, en 2020, à une réduction de capital par rachat et annulation d'une partie de ses titres. Le gain retiré de cette opération a été logiquement soumis par le contribuable au régime des plus-values de cession de valeurs mobilières, lui permettant de bénéficier d'un abattement pour durée de détention de 85 %, aboutissant à une imposition bien plus faible qu'une distribution de dividendes.
Ladministration fiscale a contesté ce schéma sur le terrain de l'abus de droit fiscal. Elle soutenait que l'opération de réduction de capital, dénuée de tout intérêt économique pour la société, constituait l'aboutissement d'un montage artificiel dont l'unique but était de permettre à l'associé d'appréhender les liquidités de l'entreprise en éludant l'impôt sur les dividendes. Elle a donc requalifié la somme en distribution et appliqué la majoration de 80 %.
Le Comité de l'abus de droit fiscal, dont l'avis était sollicité a émis l'avis que, dans les circonstances de l’espèce, l’administration n’était pas fondée à mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal
- Tout d'abord, il rappelle un principe fondamental : le seul fait pour un contribuable de choisir la voie juridique et fiscale la moins imposée pour atteindre un objectif, en l'occurrence l'appréhension de réserves, ne saurait à lui seul caractériser un abus de droit. Le législateur a lui-même prévu et organisé le régime fiscal du rachat de titres comme une alternative à la distribution. Cette réaffirmation est essentielle car elle sanctuarise le droit à l'optimisation pour le contribuable.
En refusant d'établir une présomption d'abus de droit basée sur la seule recherche d'optimisation fiscale, le CADF sanctuarise le droit à l'optimisation pour le contribuable.
Ce choix bascule dans l'abus de droit si l'administration parvient à démontrer que l'opération s'inscrit dans un montage artificiel, contraire à l'intention du législateur, et poursuivant un but exclusivement fiscal.
Au cas particulier le Comité a constaté plusieurs éléments en faveur du contribuable :
- l'opération de réduction de capital était ponctuelle et non récurrente, un délai de quatre ans s'était écoulé depuis l'augmentation de capital, et les montants des deux opérations n'étaient pas identiques. Ces éléments factuels tendent à écarter la thèse d'un schéma "aller-retour" préparé de longue date.
Il a également pris en considération les justifications d'ordre non fiscal avancées par le contribuable :
- L'âge du dirigeant (57 ans), ses problèmes de santé et la perspective à moyen terme de la transmission de son entreprise ont été jugés comme des motifs valables et plausibles pour justifier l'opération.
Ces élémentsont permis de donner une substance économique et patrimoniale à la réduction de capital, au-delà du seul intérêt fiscal.
Le Comité en conclut que l'administration n'apporte pas la preuve qui lui incombe du caractère purement artificiel et exclusivement fiscal du montage.
L’administration a décidé de ne pas suivre cet avis. L’opération n'a pas poursuivi de motifs économiques valables et établis, elle répond à la seule volonté d’appréhender les réserves de la société sous le régime fiscal plus favorable des plus-values.
TL;DR
- Cet avis confirme que la validité d'une opération de rachat de titres par l'associé unique repose sur un faisceau d'indices où la chronologie des faits et, l'existence de motivations économiques ou patrimoniales crédibles, sont déterminantes. Les éléments de contexte personnel, professionnel ou patrimonial constituent autant d'arguments susceptibles de contrer une présomption d'abus de droit.
- Néanmoins, le fait que l'administration a décidé de ne pas suivre cet avis nous rappelle que, malgré la position du Comité, le contentieux sur ce sujet reste vif et que l'administration n'hésitera pas à porter le débat devant le juge