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Evasion fiscale

Le droit d'exploitation de l'image ne constitue pas une créance au sens de l'article 123 bis du CGI

Le juge de l'impôt vient s'agissant du dispositif anti-abus de l'article 123 bis du CGI d'apporter des précisions concernant les modalités d'appréciation de la prépondérance des actifs financiers d'une entité étrangère, en particulier lorsque son actif principal est un droit incorporel, tel qu'un droit à l'image.

 

Pour mémoire, l'article 123 bis du CGI permet d'imposer les résidents fiscaux français à raison des bénéfices réalisés par des entités étrangères soumises à un régime fiscal privilégié, lorsque ces résidents en détiennent au moins 10% des actions, parts, droits financiers ou droits de vote. Les revenus de ces entités sont alors réputés constituer des revenus de capitaux mobiliers imposables entre les mains du résident français, proportionnellement à sa participation.

 

L'objectif poursuivi par le législateur est d'empêcher que des contribuables domiciliés en France ne soustraient à l'impôt français des revenus en les faisant appréhender par des structures établies dans des juridictions à fiscalité privilégiée.

 

La condition qui est au cœur du présent litige, concerne la nature de l'actif de l'entité étrangère. L'article 123 bis ne s'applique en effet que si l'actif ou les biens de l'entité sont principalement constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants. Cette exigence vise à cibler les structures patrimoniales passives, c'est-à-dire celles dont l'objet principal consiste en la détention et la gestion d'actifs financiers, par opposition aux structures qui exercent une activité économique réelle. Le seuil de prépondérance a été fixé par la jurisprudence 50% de la valeur totale des actifs.

 

Le BOFIP BOI-RPPM-RCM-10-30-20-10, n°320 précise

 

Sont seuls concernés par le dispositif les bénéfices ou revenus positifs des personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables dont l'actif ou les biens sont principalement constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants.

Il convient de considérer qu'il en est ainsi lorsque les éléments de cette nature constituent plus de 50 % de l'actif ou des biens de l'entité étrangère.

Dès lors que les actifs ou les biens d'une entité sont principalement constitués de biens visés au premier alinéa du 1 de l'article 123 bis du CGI, l'ensemble des revenus ou bénéfices de la structure étrangère concernée relève des dispositions de l'article 123 bis du CGI même si ces bénéfices ou revenus proviennent principalement de biens autres que ceux précités.

 

Rappel des faits :

L'affaire soumise au Conseil d'État met en jeu M. B, joueur de football professionnel, et son épouse Mme A, tous deux résidents fiscaux français. Dans le cadre de l'optimisation de la gestion de ses droits d'image, M. B. a constitué une société de droit panaméen S, qu'il détenait à 100%. Cette structure a pour objet l'exploitation commerciale du droit à l'image du joueur, actif incorporel de valeur significative compte tenu de la notoriété de l'intéressé. Le mécanisme reposait sur une concession par M. B. à S de l'exploitation de son droit à l'image, permettant ainsi à cette dernière de conclure des contrats de partenariat et de publicité avec des entreprises tierces et de percevoir les rémunérations correspondantes.

À la suite d'un contrôle fiscal portant sur l'année 2015, l'administration a considéré que les revenus perçus par S au titre de l'exploitation du droit à l'image devaient être imposés entre les mains des époux B. en France sur le fondement de l'article 123 bis du CGI. L'administration estime que toutes les conditions d'application du dispositif sont réunies, et notamment que l'actif de la société panaméenne est principalement constitué d'actifs financiers, en se fondant sur la situation comptable de cette entité.

Après notification d'une proposition de rectification en 2018 et mise en recouvrement des impositions supplémentaires, les époux B. ont contesté le redressement devant le TA de Paris. Leur stratégie contentieuse reposait sur la contestation de la condition de prépondérance financière de l'actif de S. Ils soutenaient que l'actif principal de cette société n'était pas constitué d'actifs financiers au sens de l'article 123 bis, mais d'un actif incorporel substantiel représenté par le droit d'exploitation de l'image du joueur. Pour étayer leur argumentation, ils produisaient une expertise établie par un professionnel qualifié, évaluant ce droit à l'image à 9,3 M€ au 31 décembre 2015. Cette valorisation, mise en regard des autres actifs de la société constitués principalement de dépôts et comptes courants, faisait ressortir que le droit à l'image représentait 55,5 % de l'actif total de S, plaçant ainsi les actifs financiers en position minoritaire.

Par un jugement du 23 juin 2022, le TA de Paris a donné raison aux contribuables et prononcé la décharge des impositions établies au titre de l'article 123 bis. Les premiers juges ont considéré que le droit d'exploitation concédé à la société panaméenne constituait un actif incorporel distinct des créances visées par le texte, et que sa valorisation à hauteur de 9,3 M€ conduisait à retenir que les actifs financiers ne représentaient pas plus de 50% de l'actif total. Cette analyse faisait obstacle à l'application du dispositif anti-abus.

L'administration fiscale a fait appel de ce jugement devant la CAA de Paris. Dans son arrêt du 13 décembre 2024, la cour a confirmé le jugement de première instance et rejeté l'appel du ministre. La juridiction d'appel a validé l'approche consistant à retenir la valeur réelle du droit à l'image telle qu'elle résultait de l'expertise produite par les contribuables, dès lors que l'administration n'avait pas utilement critiqué la méthodologie d'évaluation retenue ni la valorisation qui en résultait. 

 

Le Ministre s'est pourvu en Cassation.

  • Il soutient que la CAA  aurait commis une erreur de droit en retenant la valeur réelle du droit à l'image pour déterminer si le seuil de 50% d'actifs financiers était atteint. Selon l'administration, c'est la situation comptable de la société qui devait servir de base à cette appréciation, conformément aux principes généraux d'évaluation des actifs. Or, sur le plan comptable, le droit concédé à la société S ne faisait pas l'objet d'une inscription pour un montant équivalant à sa valeur de marché, ce qui aboutissait mécaniquement à une prépondérance apparente des actifs financiers inscrits au bilan.
  • L'administration suggérait également que ce droit à l'image, générateur de revenus futurs, pouvait s'analyser comme une créance au sens large, et devait donc être intégré dans la catégorie des actifs financiers visés par l'article 123 bis. 

 

Le Conseil d'Etat vient de rejeter le pourvoi du ministre.

 

  • Concernant la qualification du droit d'exploitation de l'image

Le Conseil d'État confirme que ce droit incorporel ne constitue pas une créance au sens de l'article 123 bis du CGI.

    • Une créance se définit juridiquement comme un droit permettant à son titulaire, le créancier, d'exiger d'une autre personne, le débiteur, l'exécution d'une prestation, généralement le paiement d'une somme d'argent. Elle suppose donc l'existence d'un rapport d'obligation entre deux personnes déterminées et porte sur une prestation définie.
    • Le droit d'exploitation de l'image présente une nature juridique différente. Il s'agit d'un attribut du droit à l'image, lui-même composante du droit au respect de la vie privée et du droit de la personnalité. Ce droit confère à son titulaire la faculté d'autoriser ou d'interdire l'utilisation de son image à des fins commerciales, et corrélativement de percevoir une rémunération en contrepartie de cette autorisation. Mais il ne s'agit pas d'une créance au sens patrimonial classique : c'est un actif incorporel dont la valeur dépend de multiples facteurs incluant la notoriété de la personne, la durée d'exploitation envisageable, les perspectives de revenus futurs, et qui s'apparente davantage à un droit de propriété intellectuelle qu'à une créance.

En excluant le droit à l'image de la catégorie des créances, le Conseil d'État permet de le comptabiliser parmi les actifs non financiers de l'entité étrangère, ce qui peut faire obstacle à la condition de prépondérance financière lorsque ce droit présente une valeur significative.

 

  • Concernant les modalités d'évaluation du seuil de prépondérance. de 50%

Pour la haute juridiction l'appréciation du seuil de 50 % doit se faire en retenant la "valeur réelle" des éléments d'actif, et non leur simple valeur comptable.

L'administration ne peut, en l'absence d'argumentation du contribuable, se fonder sur la valeur comptable. Mais inversement, si le contribuable produit une évaluation de la valeur réelle, c'est sur cette base que le débat doit se porter. Or, en l'espèce, le ministre n'avait pas critiqué devant la CAA la méthode de valorisation de l'expertise produite par les contribuables. Partant, il n'était plus recevable à le faire pour la première fois en cassation.

 

Pour le Conseil d'Etat, la cour a pu, sans erreur de droit, retenir la valeur réelle de 9,3 M€ pour le seul droit à l'image, tout en conservant la valeur comptable des autres actifs financiers (dépôts, comptes courants), car il n'était pas soutenu que leur valeur réelle s'en écartait. Le seuil de 50 % d'actifs financiers n'étant pas atteint (puisque l'actif incorporel représentait 55,5 %), l'article 123 bis était inapplicable.

 

 

Publié le vendredi 14 novembre 2025 par La rédaction

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