Le juge de l'impôt nous rappelle les conditions d'application de l'amende prévue à l'article 1740 A du CGI concernant la délivrance irrégulière de reçus fiscaux.
L'article 200 du CGI prévoit que les dons et versements effectués par les contribuables domiciliés en France à des organismes, publics ou privés, dont la gestion est désintéressée et qui ont pour activité principale la présentation au public d’oeuvres dramatiques, lyriques, musicales, chorégraphiques, cinématographiques et de cirque ouvrent droit à une réduction d’impôt.
Cette réduction d’impôt sur le revenu représente 66 % du montant des sommes, dans la limite de 20 % du revenu imposable
En contrepartie, l'article 1740 A du CGI sanctionne la délivrance irrégulière de documents permettant à un contribuable d'obtenir une déduction fiscale indue. Dans sa rédaction applicable au litige, cet article prévoyait une amende égale à 25% des sommes indûment mentionnées sur ces documents.
L'article 203 de la loi de finances pour 2019 a modifié l'article 1740 A du CGI pour le mettre en conformité, suite à la décision du Conseil Constitutionnel n° 2018-739 du 12 octobre 2018.
Afin de mieux proportionner l'amende administrative aux avantages fiscaux indûment obtenus, le taux de 25% a été remplacé par un taux égal à celui de la réduction ou du crédit d'impôt en cause. Lorsque ces derniers portent sur une déduction du revenu ou du bénéfice, l'amende est égale au montant de l'avantage indûment obtenu.
Il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel, dans sa décision QPC n° 2018-739 du 12 octobre 2018, a assorti la conformité de cette disposition d'une réserve d'interprétation majeure : l'amende ne s'applique qu'aux personnes ayant "sciemment délivré" des documents permettant à un contribuable d'obtenir un avantage fiscal indu.
Rappel des faits :
L'association OSI France Opérations, dont l'objet est le développement de l'éducation aux sciences et de la recherche scientifique dans une démarche de développement durable, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité pour la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017.
À l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale a remis en cause la possibilité pour l'association de délivrer des reçus fiscaux ouvrant droit à réduction d'impôt et lui a appliqué l'amende prévue à l'article 1740 A du CGI, calculée sur les sommes encaissées durant la période vérifiée.
L'association a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Bordeaux qui, par jugement du 17 mai 2023, a prononcé un non-lieu à statuer pour partie (en raison d'un dégrèvement partiel de 539 219 € intervenu en cours d'instance) et rejeté le surplus des conclusions.
L'association a fait appel devant la Cour administrative d'appel de Bordeaux pour contester la portion restante de l'amende, soit 328 792 €
L'association se prévaut du fait qu'elle rempli l'ensemble des conditions permettant à ses adhérents de bénéficier de réductions d'impôt sur leurs dons, répondant selon elle à la qualification d'organisme d'intérêt général à caractère éducatif et scientifique au sens de l'article 200 du CGI. Elle conteste l'application de l'amende prévue par l'article 1740 A du CGI en estimant n'avoir pas "sciemment délivré" des reçus fiscaux dans des conditions irrégulières. Elle se prévalait notamment d'un rescrit fiscal du 9 avril 2008 délivré à une association membre de l'ONG internationale Objectif Sciences International.
De son côté, l'administration fiscale a relevé que l'association qualifiait de "dons" l'ensemble des sommes perçues de la part des participants aux différents séjours qu'elle propose, alors que ces sommes correspondent en réalité à des prestations de service assorties de contreparties directes. L'administration a également mis en lumière l'argument commercial que constituait l'avantage fiscal sur le site internet de l'association, tout en relevant l'incohérence des explications fournies concernant la notion de don ou de contrepartie directe.
La Cour administrative d'appel de Bordeaux vient de rejeter la requête de l'association.
Concernant la qualification des sommes versées
La Cour a constaté que l'association organisait des séjours scientifiques présentés comme des "colonies de vacances scientifiques" ou des "camps de vacances scientifiques", et que les personnes souhaitant s'inscrire disposaient d'un "compte client" pour choisir différentes prestations.
Les sommes versées comportent donc une contrepartie directe et ne peuvent être considérées comme procédant d'une intention libérale, même si l'association soutient que ces sommes ne financent que 57% du coût total d'une mission.
La Cour a relevé par ailleurs que l'association distinguait comptablement les véritables dons (sans contrepartie) dans des comptes spécifiques (7713 "Libéralités perçues" et 7585 "Contributions volontaires").
Concernant caractère "sciemment" irrégulier de la délivrance des reçus fiscaux :
la Cour retient que l'association utilisait sur son site internet et ses supports de communication le bénéfice de la réduction d'impôt comme argument commercial, tout en définissant de façon incohérente la notion de don. Par ailleurs, l'existence dans sa comptabilité de comptes spécifiques pour les libéralités et contributions volontaires démontre sa connaissance de la notion de "don" ou de "libéralité".
La Cour en déduit l'intention de l'association de faire indûment bénéficier les participants à ses séjours du crédit d'impôt.
TL;DR
Distinction entre un don ouvrant droit à réduction d'impôt et un paiement assorti d'une contrepartie, même partielle: un versement comportant une contrepartie directe ne peut être considéré comme procédant d'une intention libérale, élément essentiel pour bénéficier de la réduction d'impôt prévue à l'article 200 du CGI.
Précisions sur l'application de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel concernant le caractère "sciemment" irrégulier de la délivrance des reçus fiscaux. La Cour déduit ce caractère intentionnel de plusieurs éléments concordants :
- l'utilisation de l'avantage fiscal comme argument commercial,
- la connaissance par l'association de la notion de don (comme en témoigne sa comptabilité),
- et l'incohérence de ses explications.