Le droit fiscal connaît la force majeure : quelques indications

05/05/2020 Par Corinne LECOCQ
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Il conviendra d’accompagner le contribuable pour le guider entre les dispositions des ordonnances liées à la loi d’urgence sanitaire, les demandes de solutions particulières et … la force majeure.

Nous savons que l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 autorise le gouvernement, dans les conditions de l’article 38 de la Constitution, à prendre par ordonnance toute mesure, relevant du domaine de la loi, afin notamment de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation.

« Nous allons considérer le coronavirus comme un cas de force majeure pour les entreprises » a annoncé début mars le ministre de l’Economie et des Finances Bruno le Maire lors d’un point presse organisé avec la ministre du Travail Muriel Pénicaud et le ministre de la Santé, Olivier Véran. Cela visait en particulier les commandes publiques et l’absence de pénalités.

Qu’en est-il de cette notion en droit fiscal ?

Tout d’abord, rappelons si besoin et en bref que la force majeure se retrouve « en matière contractuelle, lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur » (art 1218 al 1 du Code Civil)

L’évènement doit répondre à différentes caractéristiques :

  1. Il doit entre-autre échapper au contrôle du débiteur de l’obligation ;

  2. Il ne devait pas pouvoir être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat ;

  3. Il résulte de faits qui ne peuvent être évités par des mesures appropriées ;

  4. Enfin, l’événement empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Plus simplement, l’évènement de force majeure est l’évènement irrésistible et imprévisible qui empêche la bonne exécution de ses obligations par une partie à un contrat pour des raisons indépendantes de sa volonté.

En matière fiscale, la force majeure peut être valablement invoquée par tout contribuable alors même que la loi ne vise pas expressément cette circonstance.

Et sur ce sujet, la Cour de cassation contrôle la qualification juridique des faits à laquelle se livre le juge du fond pour caractériser l’existence d’un cas de force majeure ayant fait obstacle au respect par un contribuable d’une condition de délai qui lui était impartie.

Le Conseil d’Etat dans un arrêt, en date du 21 septembre 2016.
[Conseil d’état, 21 septembre 2016, 9ème & 10ème chambre, n°386250, M. et Mme BAUD.]
, reconnait expressément le caractère de force majeure permettant à un contribuable de s’exonérer du respect d’une obligation légale. Dans cette affaire, les requérants n’avaient pu déposer leur déclaration d’impôt sur les revenus dans les délais impartis, car tous les documents justificatifs et projets de déclaration avaient été saisis dans le cadre d’une enquête dirigée par la brigade de répression de la délinquance économique et la brigade de répression de la délinquance contre les personnes. Cet événement a donc rendu impossible le dépôt dans les délais de la déclaration due sans que le débiteur de l’obligation ne puisse l’éviter.

La force majeure a été invoquée dans plusieurs contextes :

  • s’exonérer du non-respect d’obligations déclaratives afin d’éviter la taxation d’office ;

  • s’exonérer du non-respect d’une obligation liée à une exonération de taxe professionnelle subordonnée sur agrément au maintien de l’emploi.
    [Conseil d’état, 9ème et 8ème sous-section, 14 février 1994, n° 138619, Sté Gama]
    ;

  • non-respect de l’engagement de construction permettant d’être exonéré de droits d’enregistrement et de taxe de publicité foncière.footnote[Cour de cassation, chambre commerciale, 10 juill. 1989, n° 88-10386] ;

  • non-respect de la condition de revente dans les quatre ans pour le régime des marchands de biens.
    [Cour de cassation, chambre commerciale, 19 juin 1990, n° 89- 10.127]
    .

  • échapper à certaines pénalités du Code Général des Impôts (art 1736 du CGI par exemple) ou s’exonérer d’un délai subordonnant une réduction d’impôt (plusieurs dispositifs du CGI)

Cependant, si l’existence d’une condition légale au bénéficie du régime ne doit pas permettre d’écarter la force majeure - comme a tenté de le prétendre l’Administration Fiscale eu égard à la nature même d’une obligation légale -, il reste que les juridictions veillent à une stricte qualification de la force majeure, notamment en termes de causalité avec l’inexécution concernée et que le contribuable s’emploiera à justifier.

Par exemple , dans l’arrêt du 28 janvier 2016, la CAA de Douai a estimé que la force majeure caractérisée par une épidémie de chikungunya ayant sévi à la Réunion ne pouvait excuser l’inexécution de ses obligations par un contribuable dans la mesure où ce dernier ne caractérisait pas en quoi cette épidémie était la cause de l’inexécution de son obligation. Son obligation concernait la mise en location d’un bien immeuble dans un délai imparti pour bénéficier d’une réduction d’impôt. Cet arrêt rappelle donc le principe de l’existence du lien de causalité.

Nous retiendrons ici quelques critères issus de l’analyse des conclusions d’Émilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public :

  • l’existence d’une impossibilité absolue ;

  • La philosophie du dispositif concerné ;

  • la volonté du législateur qui a posé la condition objective.

En conclusion, dans le cas de la pandémie du COVID 19, le contribuable devra en matière fiscale pouvoir justifier du lien entre l’épidémie et le non-respect de son obligation légale issue du CGI en utilisant les critères que nous avons identifiés.

L’enjeu est de déterminer pour chaque cas, si le contribuable est dans le champ de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, si il doit envisager une solution particulière ou si la force majeure peut lui permettre de s’exonérer de son obligation.

 

Tribune de Corinne Lecocq, avocat Associée chez ORATIO rédigée en collaboration avec Mathilde Julienne avocate KBRC ORATIO